Les illusions de la demi-mesure

Avant-propos

Le mot « mesure » vous fait rêver ? Vous avez raison, la grande mesure, c’est beau. Mais si vous ne savez pas la différence entre grande mesure (bespoke) et demi-mesure (made-to-measure), il vaudrait mieux que vous restiez prudents. D’une part, ces mots ne sont la garantie de rien du tout puisque n’importe qui peut se les approprier. Ensuite, l’ambiguïté du mot sur-mesure, permet de détourner l’aura de qualité superlative désormais portée par le mot mesure. Soyons clairs : la grande mesure, c’est de l’artisanat, c’est 80 heures pour réaliser un costard et du travail à la main. Ça coûte un bras. Ou même plus, demandez à François Fillon. La petite mesure, c’est moins cher, mais comme ça comporte une bonne dose de travail à la main et que ça ne sort pas de machines roumaines, c’est pas donné non plus.
En revanche la demi-mesure, ça peut être n’importe quoi. Certes, vous avez des gens sérieux qui proposent une bonne sélection de tissus, qui savent prendre des mesures, faire des retouches et qui font fabriquer dans des manufactures avec un cahier des charges convenable. Mais, souvent, vous allez vous retrouver avec un costard thermocollé dans des tissus d’entrée de gamme.

Costume bespoke (« grande mesure ») à 395£ : l’entubage à prix plancher. Le tissu, la doublure fantaisie et « un style original » tout ça sur une feuille placardée à la fenêtre avec un petit coup de stabilo pour faire sérieux. Alléchant.
Costume bespoke (« grande mesure ») à 395£ : l’entubage à prix plancher. Le tissu, la doublure fantaisie et « un style original » tout ça sur une feuille placardée à la fenêtre avec un petit coup de stabilo pour faire sérieux. Alléchant.
La grosse machine marketing : le bon goût à l’italienne avec des bellâtres à l’œil ténébreux qui portent des tissus qui brillent dans des pubs pleines d’un second degré ou de force. Prometteur.
La grosse machine marketing : le bon goût à l’italienne avec des bellâtres à l’œil ténébreux qui portent des tissus qui brillent dans des pubs pleines d’un second degré ou de force. Prometteur.

Avec un marketing plus ou moins spectaculaire, les marques de demi-mesure tentent de vous vendre du rêve. Elles sollicitent donc les influenceurs qui ne cessent de découvrir « la nouvelle pépite aux prix très placés », et cela même si le produit est identique aux autres marques et sans éclat particulier. On voit sur la toile de jeunes influenceurs demeurés donner des conseils sartoriaux et parler sans cesse d’artayeur alors qu’ils ont porté trois costards Devred dans leur vie. Autoproclamés « experts », ils se jettent sur la demi-mesure avec l’empressement énamouré d’un écologiste face à un cassoulet au tofu. Piochant leurs fameuses « règles de l’élégance » dans les tutos anarchiques d’autres blogueurs ignares, ils singent les codes de l’élite aristo-bourgeoise de l’entre-deux guerres et vous parlent de tenue « formelle » comme s’ils portaient la queue de pie toutes les semaines. Un conseil : n’écoutez pas leurs conseils.
Il est tentant de se laisser éblouir par l’emploi des mots mesure, atelier, artisanat, art tailleur : ce sont des appâts évoquant un monde disparu, sans plus de réalité contemporaine que la queue-de-pie sus-nommée. Le petit tailleur de quartier, ça n’existe plus : les costumes sont désormais fabriqués dans des usines. Les véritables tailleurs artisanaux qui existent encore fabriquent à un niveau de prix qui ne peut pas être celui de la demi-mesure. Ou alors dans des pays lointains ou la main d’œuvre est payée comme vous n’aimeriez certainement pas qu’on vous rémunère.

Comme pour les chaussures dont vous avez entendu parler ici, il faut savoir que la plupart des marques font fabriquer dans les mêmes usines, avec un cahier des charges plus ou moins variable. Inutile de chercher à décrire la cartographie des usines : cela change fréquemment. Il y a de nombreux fabricants, que les magasins parisiens utilisent abondamment, notamment Formens (Roumanie) et Studio Tailleur (Portugal), mais il y a aussi des ateliers italiens chinois, indiens, coréens… Et puis, par ailleurs, certaines des marques qui conçoivent les patronages et les outils de vente, qui réalisent la fabrication et proposent aux magasins leurs produits, comme Munro Tailoring (Pays-Bas), fabriquent eux-mêmes dans des usines différentes.
Le problème, c’est moins l’origine que la nature des produits : vous n’avez aucune idée du niveau de prestation que chaque marque exige de l’usine. On peut vous vendre de l’entoilage, mais sans aucune garantie de sa qualité ni d’ailleurs de ce que cela désigne (un plastron en poils de cul collé sur un tissu synthétique ?). On peut vous vendre de jolis tissus pour la ceinture du pantalon mais avec une toile de renfort minable qui s’affaisse tout de suite (contrairement à une canapina de qualité avec une rigidité qui donne de la forme à la ceinture).

C’est beau, les gadgets, mais ça sert à quoi ?À donner une impression de qualité. « Impression », c’est le mot important.
C’est beau, les gadgets, mais ça sert à quoi ?À donner une impression de qualité. « Impression », c’est le mot important.

Il faut d’abord savoir qu’une boutique en demi-mesure n’est en rien une boutique de tailleur. Vous pouvez ouvrir votre bouclard sans la moindre connaissance dans le domaine : il suffit d’avoir un peu de trésorerie et l’arrogance de vouloir vous faire passer pour un arbitre des élégances. En fait, avec un grand miroir, une machine à café et des ciseaux de tailleur négligemment posé dans un coin, ça fait la blague. Si, en plus, vous avez un canapé Chesterfield, vous pouvez prétendre à recréer le Club des Cinq (José Camps, André Bardot, Di Nota, Socrate et Gaston Waltener, étendu à Max Ezveline, Claude Rousseau, Henri Urban, Francesco Smalto — oui, c’était autre chose que le club des Glandin & Mereloye, Laniero, Boggio & Cie).

Ça marche pareil qu’un restaurant : une fois que vous avez le décor, vous achetez le contenu tout préparé et vous faites un vague assemblage. Ce qui compte, c’est que le pigeon ait l’impression d’avoir bien mangé et d’être bien habillé. En général, le client est content, ou se force à l’être parce qu’il a lâché 1500 boules pour un costume fabriqué en Roumanie avec un col mal emboîté, des boutons mal alignés, un excédent de tissu sous les aisselles et les dorsaux trop serrés (exemple vécu, faut payer pour apprendre).

Le fonctionnement d’une boutique en demi-mesure est simple : on prend les mesures (plus ou moins bien) à l’aide d’un gabarit qu’on a acheté auprès d’un fabricant, on lui envoie la fiche et il le fabrique dans son atelier familial artisanal aux méthodes ancestrales usine. Les marques qui fabriquent ne sont pas les exécutants du gentil tailleur. C’est plutôt l’inverse : elles disposent de l’outil de production et proposent aux boutiques un ensemble des prestations qui vont du contenu marketing à la réalisation des vêtements en passant par le design, la gamme de produits et jusqu’à l’argumentaire que le vendeur postpubère vous refilera quand il n’est pas occupé à se branler devant des photos du Pitti avec des étoiles dans les yeux.

Parce qu’en réalité, la boutique ne sait rien faire du tout. Elle achète à peu près l’ensemble de ce qu’elle vous présente : les cahiers avec les belles images, les liasses de tissus, les gabarits, les accessoires, etc. Le fabricant fournit aussi des manuels d’aide à la prise de mesure. La prise de mesure, pour le faux tailleur qui a eu une formation de trois mois, consiste à vous faire enfiler une veste ou un pantalon en prêt-à-porter (le gabarit) et à ajuster en retirant un centimètre par-ci, par-là. Le fabricant livre un manuel avec la liste des défauts potentiels et la résolution approximative des problèmes (« si c’est trop serré là, alors relâchez d’un centimètre »). Evidemment, ce processus se fait sans que l’usine ait jamais vu le client et le vendeur qui prend vos mesures n’a jamais tenu une aiguille dans les mains et ne connaît pas forcément les contraintes matérielles de la fabrication. En général (il y a quand même d’heureuses surprises avec certaines maisons dont le personnel a pu recevoir une formation de tailleur), il n’est d’ailleurs pas du tout qualifié pour adapter un patronage à la morphologie ou la posture du client : et si le patronage est lui-même moyen, ça ne risque pas de s’améliorer.
Et ne comptez pas sur des essayages intermédiaires : il faudrait renvoyer le costume, ce qui serait coûteux. On fait au mieux, on cache les problèmes au client et, si vous avez de la chance, on accepte de faire des retouches qui seront confiées au couturier en bas de la rue. On est loin du rêve de perfection artisanale qu’on vous a fait miroiter à l’aide de photographies en noir et blanc, d’images de ruban et de craie de tailleur. Donc, vous aurez vraisemblablement un vêtement à votre taille, mais avec des plis, du mauvais goût et une absence totale de proportion.

Or, la vraie grande mesure n’a rien à voir. Ce qui différencie la grande-mesure de la demi-mesure, c’est que « grand » implique un processus vraiment artisanal, c’est-à-dire la création d’un patron correspondant à la morphologie du client et non une vague adaptation d’un gabarit préexistant. Dans la grande mesure, on fait plusieurs essayages et le travail est essentiellement réalisé à la main. La qualité de l’apiécement est sans commune mesure, ainsi que la mise en valeur de la silhouette et le cachet qui ressort d’un vêtement dont les détails ont été travaillés et non bâclés. Le prix n’est pas le même, évidemment.

Dans la demi-mesure, on peut certes choisir un croisé ou un deux boutons, tel ou tel type d’épaule, des poches plaquées ou à rabats, des boutons en corozo ou en imitation corne : les décisions paraissent infinies et, pour le débutant qui ne s’était jamais posé ces questions, cela parait le summum de la personnalisation, le vêtement unique, l’originalité absolue. Rendez-vous compte, vous pouvez même choisir une doublure avec des motifs rigolos ou une ceinture intérieure de pantalon avec un tissu fantaisie. Seulement, voilà, si l’on vous propose les gadgets et tout ce qui est standardisable, tout ce qui relève véritablement du style du vêtement n’est pas abordé. De coupe, il n’est jamais question.
Car le patronage qui sert à faire les costumes de tous les clients ne changera pas. S’il vous venait l’envie de descendre le niveau du cran, la ligne de l’anglaise, de modifier l’aplomb de la manche, l’orientation de la couture d’épaule, le dessin du revers, vous vous trompez d’adresse. Tel tailleur en ligne vous propose un bas de pantalon « étroit-moyen-large » : ça c’est de la mesure précise ! Votre posture, la taille des mollets, la morphologie de la jambe ? Bof, du moment que ça rentre. Quant à réclamer un pantalon à taille haute, une fourche et des montants confortables, vous n’y pensez pas, on n’est pas tailleur, non plus. Une pince ou deux, on peut, mais faut pas pousser plus loin.
Cependant, les modifications liées à la réalisation du vêtement sont parfois prévues dans les manuels des fabricants, mais il n’y a guère de vendeurs qui soient capables de juger de l’emmanchement (qui peut pourtant être monté ou descendu) ou de détails que l’usine devra prendre en compte à distance. Les documents proposés par les marques / fabricants ont pour raison d’être le fait même que les vendeurs des magasins ne soient pas des tailleurs puisqu’ils expliquent comment identifier et corriger des défauts dont un tailleur compétent n’aurait pas besoin d’être averti. On trouve donc des outils spécifiquement conçus pour permettre à des vendeurs de magasin de se former à la prise de mesure, au repérage et à la correction des défauts. Ces documents, souvent bien réalisés, servent à minimiser les défauts les plus criants, mais ne remplacent pas une véritable formation tailleur. L’écart entre la demi-mesure et la grande mesure est donc, au fond, que le client à affaire, dans le premier cas, à un vendeur et dans l’autre, à un tailleur.

Consignes de base pour savoir comment mesurer la taille d’un pantalon. Les fabricants semblent savoir à qui ils s’adressent alors ils les prennent par la main…
Consignes de base pour savoir comment mesurer la taille d’un pantalon. Les fabricants semblent savoir à qui ils s’adressent alors ils les prennent par la main…
L’identification des problèmes par les documents du fabricant, même décrits en détail, nécessite un œil, une capacité de jugement et une expérience qui ne sont pas forcément entre les mains du vendeur.
L’identification des problèmes par les documents du fabricant, même décrits en détail, nécessite un œil, une capacité de jugement et une expérience qui ne sont pas forcément entre les mains du vendeur.

Fondamentalement, le fait que la prise de mesures et la fabrication soient dissociées constitue un problème que certains magasins parviennent à résoudre assez bien, s’ils ont des vendeurs expérimentés, et que d’autres choisissent de régler par l’approximation. Un magasin en demi-mesure qui compliquerait trop les possibilités relevant de la coupe, prendrait le risque d’erreurs plus nombreuses. S’il acceptait trop d’essayages avec des retouches, il y laisserait sa marge. L’intérêt est donc de vous faire croire que tout va bien. De toute manière, le vendeur ne voit pas non plus les défauts, alors tout le monde il est content et la vie est belle. Pour une description des catastrophes, reportez-vous à un article précédent. Et puis, bon, le costume s’adresse en général à quelqu’un qui va à un mariage et qui le portera avec des chaussures pointues.

Expérience personnelle chez une marque qui prétend que « Italians do fit better » : avec la même prise de mesures ( !), une veste de costume aux manches trop longues et un manteau aux manches trop courtes et trop serrées et à la jupe trop courte : et impossibilité de corriger en relâchant la largeur de la manche faute de tissu à l’intérieur (ils coupent au plus juste). L’aplomb douteux du croisé, la cassure au milieu du revers sont d’autres péripéties stylistiques qu’on ne s’imagine pas devoir avaler quand on commande de la demi-mesure en croyant aux miracles. Sans parler du beau costume bleu désormais immettable parce qu’il cloque de partout malgré un supposé entoilage « en crin de cheval cousu en utilisant la technique de la picchiettatura avec une aiguille en crochet appelée rostriglione » : j’avoue, à l’époque, j’y ai cru. Mais, bon, à l’usage, quand un tissu fait des bulles, ça sent le thermocollé, quand même, non ?
Autre expérience d’une grande marque italienne de prêt-à-porter proposant un service de demi-mesure : un trois-pièces convenable, mais avec un pantalon fuselé et à taille basse qui rend l’ensemble complètement déséquilibré.

Mais pour vous refiler une illusion, la boutique doit s’appuyer sur le marketing. Le fabricant est donc susceptible de fournir à la boutique des catalogues présentant les tissus, les modèles de vêtements et recommande de « booster les ventes » en mettant en avant ses produits de saison. Régulièrement la boutique se fait harceler par la retape du fabricant qui lui enjoint de fourguer des manteaux déperlants l’hiver, des chemisettes affreuses l’été, des sneakers de merde toute l’année — mais attention, sur-mesure, hein. Du moment que vous pouvez ajouter vos initiales ou faire broder un petit cœur, ça montre que vous n’êtes pas un pégreleux comme les autres.
Parmi les outils marketing, des tenues complètes sont proposées avec le bon goût d’Italiens d’école de commerce (ou de droit). La boutique reçoit les images qui sont censées être « inspirantes » et paye un supplément pour les personnaliser avec son logo. Bon : il y a des dizaines d’autres boutiques avec les mêmes images, le même superbe costume de mariage « pour être élégant en toutes circonstances »… et les mêmes arguments. Certains fabricants fournissent aussi un petit cours d’histoire du vêtement — enfin, « histoire », c’est surtout des clichés lapidaires qu’on trouve sur internet, c’est pas Fernand Braudel — voire une présentation d’un tisserand : on fournit au magasin le narratif clé en main (« une maison historique soucieuse de l’environnement, fidèle aux méthodes de fabrication authentiques »). Dans ces documents, le détail le plus anodin reçoit un nom technique pour bien épater le gogo : la couture des jeans, c’est plus classe quand le vendeur vous dit que c’est un point de chaînette… On ira jusqu’à créer une différence entre modèles « standard » et « sartorial » : on rajoute une surpiqûre, une poche monnaie et un point d’arrêt avec une couture fantaisie et votre jeans, pourtant parangon de la banalité, devient le sommet du graal du paroxysme de la sophistication intemporelle de l’artayeur.

Ces fabricants peuvent aussi vous proposer une gamme en prêt-à-porter : le magasin compose ainsi un vêtement d’après les possibilités offertes par l’atelier et est obligé de commander un certain nombre de pièces à la taille pour que cela soit rentable. On perçoit bien la finalité des fabricants qui est, au fond, de rentabiliser la production en limitant les complications. La tendance est d’ailleurs chez ces enseignes à proposer, à côté de la mesure, de plus en plus de pièces casual — pulls, jeans, vestes de travail — ce qui contredit la vocation de la véritable mesure laquelle repose sur la précision de la coupe pour mettre en avant la silhouette. Le vêtement casual, par définition, n’a pas pour mission de travailler des tissus nobles et de construire une prestance morphologique. On remplace donc la précision du travail de tailleur par la personnalisation industrialisée (oxymore, oui, oui) destinée à flatter le client qui veut acheter haut de gamme et pouvoir dire « mon tailleur ». Le costume sur-mesure n’y est plus alors qu’un produit parmi les autres qui sert à promouvoir une image de marque fondée sur une forme de distinction.

L’art tailleur ou la personnalisation ?… Tout ça pour finir par s’habiller de manière banale avec des pièces ne faisant pas appel au savoir-faire tailleur.
L’art tailleur ou la personnalisation ?… Tout ça pour finir par s’habiller de manière banale avec des pièces ne faisant pas appel au savoir-faire tailleur.

Conclusion

Le mieux pour ces magasins est de parvenir à vendre aussi des pièces qui relèvent du prêt à porter puisqu’elles ne dépendent pas de la mesure : écharpes, bonnets, sneakers, accessoires divers : là, au moins, impossible de se planter dans la prise de mesure. L’idée est de vous habiller « des pieds à la tête » en vendant de la « personnalisation » (custom) : ce n’est pas un hasard si le terme commence à se substituer à l’idée de mesure qui renvoie trop à l’idée d’une perfection tailleur qui, au fond, n’est pas l’objet de ce processus.

En définitive, l’avantage de la demi-mesure, c’est de choisir son tissu et les détails de son costume. C’est à peu près tout. Sinon, pour la mesure proprement dite, le style, la coupe, on se demande s’il ne vaut pas mieux une bonne retouche sur de la seconde main…

Marques recommandables à Paris : Les Francs-Tireurs (conseiller compétent), Artling (qui possède sa propre usine), Jean-Manuel Moreau (petite mesure réalisée par Orazio Luciano et pantalons faits main par Alberto Voglio), Atelier de Luca (petite mesure). Scabal, Maison Pen et Clotilde Ranno ont fait des choses bien.

État des lieux du marché de la maroquinerie

Cet article s’adresse avant tout à ceux qui veulent apprendre comment s’est structuré le marché de la maroquinerie en France et quel est son état actuel. Nous traitons ici essentiellement de la maroquinerie “fine” ou “de luxe”. Nous ne parlons donc pas de la maroquinerie “rustique”. Par définition il s’agit d’un article long et technique, n’hésitez pas à le lire en plusieurs parties.

Il existe principalement deux grandes traditions de la maroquinerie. La maroquinerie “fine” (à gauche), et la maroquinerie “rustique” (à droite), au sens non péjoratif du terme. Cette maroquinerie utilise beaucoup le repoussage et est par exemple très populaire chez les médiévistes ou aux États-Unis. Nous traitons uniquement de la maroquinerie fine. (Source : 20 minutes / tandy museum)
Il existe principalement deux grandes traditions de la maroquinerie. La maroquinerie “fine” (à gauche), et la maroquinerie “rustique” (à droite), au sens non péjoratif du terme. Cette maroquinerie utilise beaucoup le repoussage et est par exemple très populaire chez les médiévistes ou aux États-Unis. Nous traitons uniquement de la maroquinerie fine. (Source : 20 minutes / tandy museum)

Avant-propos

Le cuir est l’une des plus vieilles ressources naturelles de l’humanité. L’archéologie moderne permet de suivre l’évolution de ce matériau à travers les millénaires. Ainsi des outils vieux de plus de 400 000 ans destinés au travail du cuir ont été récemment découverts lors de fouilles dans les environs de Rome. Autre exemple, une chaussure en cuir vieille de 5 500 ans, a été trouvée en 2008 sur le site archéologique Areni-1, situé en Arménie. Il s’agit de la plus ancienne chaussure en cuir connue à ce jour. L'histoire du cuir est étroitement liée au progrès de l'humanité, le cuir n’a cessé de servir l’homme et c’est toujours vrai à notre époque. Toutefois en raison de l’apparition de nouveaux matériaux et du progrès technique l’utilisation du cuir a changé. Elle est de moins en moins utilitaire et de plus en plus décorative. C’est en partie pour cette raison qu’à notre époque la maroquinerie est plus une affaire de statut que de besoin. Il se trouve que les gens qui cherchent à exprimer leur statut social par leur vestiaire le font essentiellement par l’achat de marques. Et il n’y a aucun problème à cela, l’expression du statut passe nécessairement par la reconnaissance par les pairs. Reconnaissance en partie obtenue grâce à l’identité forte et au pouvoir d’évocation des marques. Cela veut dire que nous avons aujourd’hui toute une masse de ploucs qui s'imaginent dur comme fer que Vuitton, Chanel et compagnie c'est le soleil et qu’il n’existe rien d’autre. Pour beaucoup il importe peu de savoir qui fabrique quoi et comment. Si c’était le cas personne ne paierait 800€ les bracelets petit H fabriqués en moins de deux avec des chutes de cuir destinées à la poubelle. L’important c’est le H et l’idée qu’il véhicule, pas autre chose.

$315 le pendentif petit H réalisé à l’emporte-pièce en 3 secondes (littéralement). Un moyen efficace de rentabiliser les chutes de cuir. (Source : Hermès)
$315 le pendentif petit H réalisé à l’emporte-pièce en 3 secondes (littéralement). Un moyen efficace de rentabiliser les chutes de cuir. (Source : Hermès)
Vous préférez un bracelet en chutes de croco ? Pas de problème. C’est $800. Au moins le fermoir est en palladium, c’est d’ailleurs probablement ce qui coûte le plus cher sur ce bracelet. (Source : Hermès)
Vous préférez un bracelet en chutes de croco ? Pas de problème. C’est $800. Au moins le fermoir est en palladium, c’est d’ailleurs probablement ce qui coûte le plus cher sur ce bracelet. (Source : Hermès)

L’objectif de cet état des lieux va être d’expliquer comment fonctionne le marché actuel de la maroquinerie, en trois grands axes. Qui sont les acteurs, ce qu’ils fabriquent et comment ils le fabriquent. Il ne s’agit pas d’un guide des marques ou d’un article expliquant en détails les méthodes de fabrication utilisées dans le milieu. Cet article va traiter indifféremment de la maroquinerie industrielle et de la maroquinerie artisanale afin de refléter au mieux la réalité du marché actuel. Cela peut sembler arbitraire tant il existe un gouffre entre les deux mais à partir du moment où l'industriel prétend posséder les qualités de l'artisanal il n'est pas injuste de lui mettre le nez dans sa merde.

Que recouvre la maroquinerie ?

Avant de s’attaquer au cœur du sujet il est important de revenir sur la définition même de la maroquinerie. Les secteurs professionnels qui transforment le cuir et les peaux sont aujourd’hui regroupées dans ce que l’on appelle la filière cuir, les mégisseries, les tanneries, les bottiers, maroquiniers… tous en font partie mais la maroquinerie occupe une place distincte puisqu’elle regroupe une multitude d’activités. La maroquinerie au sens le plus large et vague du mot correspond à une famille de professions qui ont en commun de travailler le cuir ou des matériaux de substitution du cuir (on pense par exemple à la toile PVC Vuitton ou à la lozine de la même marque), pour confectionner des objets d'usage personnel couvrant une gamme étendue.
Il n'existe pas dans le vocabulaire de distinction entre la maroquinerie traditionnelle et la maroquinerie industrielle. La différenciation n’est donc pas aussi simple qu’entre les bottiers et les chausseurs par exemple. Un bottier fabrique une chaussure de façon artisanale alors qu’un chausseur est un fabricant industriel. Alors certes il arrive de temps en temps qu’un chausseur se dise bottier mais c’est comme pisser sur quelqu’un et tenter de le convaincre que c’est de la pluie, l’imposture est grossière. Cela n'empêche pourtant pas les chausseurs industriels de s’attribuer régulièrement des qualités qu'ils n'ont pas, sans que personne ne moufte. Mieux, des cons leurs donnent même une tribune pour le faire. Imaginez maintenant un peu la jungle que c'est dans la maroquinerie où cette distinction n’existe pas, on dirait les abords du stade de France un soir de finale de Ligue des Champions avec sa horde “d'Anglais” sanguinaires.

D'un point de vue historique, pour une même profession -fabricant de sac- il existe deux termes qui chacun représentent un métier. Il y avait tout d’abord le sellier dont le nom est lié au monde du cheval. Dans le cadre du compagnonnage, "sacul" est le nom donné au sellier. Ce surnom aurait pour origine l'expression des soldats sous l'Empire qui appelaient "sac au cul" le sellier qui allait de compagnie en compagnie pour réparer et fabriquer les sacs qui servaient à caler le cul sur le cheval : la selle. L'apparition du "cheval vapeur" remet en question le travail de beaucoup de selliers. Certains s’adaptent et changent de métier pour fabriquer divers objets en cuir principalement à usage féminin. Ils donnent naissance aux selliers-maroquiniers que l’on connaît aujourd’hui.
Il y a ensuite le maroquinier, appelé maroco chez les compagnons. Le terme "maroquinier" désigne dans un premier temps celui qui tanne le cuir de chèvre : le maroquin. Cuir qui était utilisé dès le XIème siècle pour les reliures de livre notamment dans le sud de l'Espagne à Cordoue. Au début du XXème siècle, le "maroquin" désigne aussi un portefeuille, sorte de sac fait d'une feuille de cuir pliée, dans lequel on glisse des billets.

En France la maroquinerie est un secteur d’activité qui se porte bien, tellement bien que ça en est presque suspect si on le compare au reste de l'industrie nationale. Après des années passées à brader ses secteurs stratégiques et à délocaliser tout ce qui pouvait l'être la France est à la ramasse dans beaucoup de domaines, même là où elle ne s'en sortait pas trop mal il y a encore quelques années. Dieu merci, nous avons des sacs à mains. En cas de conflit mondial nos troupes d'élite sont d’ores et déjà équipées de sacs Birkin tactiques et ça n'est qu'une question de temps avant que les hommes du 3ème RIMA ne reçoivent les nouveaux modèles de Kelly furtifs. L'excellence Française sauvera le monde.
Alors certes, je déconne, je déconne, mais le fait est que la maroquinerie Française, notamment de très haut de gamme (comprendre par là très cher, mais pas forcément très bien faite) rayonne à l'international. En 2021, les importations de l’industrie française de la maroquinerie s’élèvent à 3,4 milliards d’euros pendant que les exportations culminent à 10 milliards d’euros, la balance commerciale de la filière est donc excédentaire. De façon globale 14,8% des articles de maroquinerie exportés dans le monde viennent de France. D'après le Conseil National du Cuir (CNC) les ventes de sacs à main, évaluées à 6,3 milliards d’euros, représentent 63% des exportations du secteur et ont progressé de 34% en 2021. Cela permet à la France de se positionner en 3ème position dans le palmarès des principaux exportateurs mondiaux d’articles de maroquinerie, derrière la Chine et l’Italie.

Qui sont les acteurs du marché ?

Au même titre que pour le costume, le soulier et bien d’autres domaines, le marché de la maroquinerie est divisé entre les industriels et les artisans. Avec néanmoins quelques spécificités.

Les grands groupes du luxe composés d’industriels.

Quand on parle de maroquinerie l'image des grands groupes du luxe vient immédiatement en tête, pour beaucoup de gens cette association est pratiquement automatique. Dans le petit monde du vêtement classique demandez à quelqu’un de vous citer un bottier réputé indépendant, et vous entendrez parler de quelques noms. Demandez la même pour un maroquinier, vous risquez le blanc. Demandez maintenant à une femme, qui reste quand même la principale cliente du milieu, le résultat sera le même. C’est bien simple la maroquinerie est tellement dominée par les groupes du luxe que les deux sont devenus indissociables. D’après les chiffres du CNC en 2020 les trente-deux entreprises qui emploient plus de 200 salariés réalisent 86% des facturations du secteur et emploient un peu moins des trois quarts des salariés. Il s’agit d’une constante, si l’on remonte à 2015 les vingt-cinq entreprises qui employaient plus de 200 salariés réalisaient 82% des facturations du secteur et employaient un peu moins des deux tiers des salariés. À eux seuls Hermès emploient directement 4 300 ouvriers dans une filière qui en compte environ 24 000, soit 18 % de toute la main d’œuvre pour une seule et unique entreprise. Si vous ajoutez leurs sous-traitants français, cette part dépasse allègrement les 20 %. La domination est totale.

Vous pouvez trouver les rapports du CNC très facilement sur leur site. (Source : CNC)
Vous pouvez trouver les rapports du CNC très facilement sur leur site. (Source : CNC)

Rétablissons en passant une vérité étonnamment inconnue de beaucoup. Au risque d’en décevoir certains, non vos sacs griffés Lancel, Dior, Longchamp, Céline, Louis Vuitton, Goyard etc etc ne sont pas fabriqués à la main. Ça n’est pas le sujet, mais si vous devez retenir au moins une chose de cet article c’est bien celle-ci.

D’où viennent les grands groupes du luxe ?

En dehors de l’exception notable d’Hermès et de quelques autres, les fondations des grands groupes du luxe ne sont pas à chercher du côté des artisans célèbres dont ils usent et abusent des noms. Les racines de LVMH ne se situent pas chez Louis Vuitton malletier attitré de l’impératrice Eugénie qui en 1854 s’établit à son compte en région Parisienne. En réalité les grands groupes du luxe sont une création relativement récente puisqu’ils s’affirment véritablement au début des années 90. Mais leurs origines sont beaucoup plus anciennes et remontent à la fin de la seconde guerre mondiale. À partir des années 30/40 une nouvelle ère commence pour le luxe, un véritable secteur économique s’orientant de plus en plus vers la production de masse commence à apparaître. Une transition s’opère et l’on assiste à un glissement de l’artisanat de luxe vers l’industrie du luxe. Ce processus est très bien documenté et a déjà fait l’objet de nombreuses études on peut entre autres citer les recherches de Marc de Ferrière le Vayer, spécialiste d’histoire des entreprises et d’histoire des techniques.

Les atelier d'Asnières de Louis Vuitton vers 1888. Louis Vuitton est assis à la place du conducteur. Son petit-fils est allongé sur la malle lit du premier plan. En dehors de l’activité résiduelle de malletier qu’a la marque aujourd’hui, il est évident que le lien entre l’entreprise à ses débuts et ce qu’elle est aujourd’hui est ténu. (Source : Louis Vuitton)
Les atelier d'Asnières de Louis Vuitton vers 1888. Louis Vuitton est assis à la place du conducteur. Son petit-fils est allongé sur la malle lit du premier plan. En dehors de l’activité résiduelle de malletier qu’a la marque aujourd’hui, il est évident que le lien entre l’entreprise à ses débuts et ce qu’elle est aujourd’hui est ténu. (Source : Louis Vuitton)

L'idée d'industrie du luxe n'est pas née du jour au lendemain. Elle s'est forgée au fil des années, des crises et bien évidemment de l'évolution du progrès technique. Au lendemain de la Première Guerre mondiale on commence à voir émerger l'idée de pouvoir distribuer en masse des produits raffinés, c'est le cas par exemple avec la parfumerie et le succès de Coco Chanel ou de la famille Guerlain. Mais à cette époque le luxe est encore majoritairement associé au savoir-faire et à la rareté. Alors que l'industrie est associée à la diffusion la plus large possible à bas prix. La contradiction entre les deux est évidente, mais l'enjeu pour les industriels l’est également. Il s'agit pour eux de trouver un équilibre entre le savoir-faire et la production de masse en intégrant de nouveaux procédés de fabrication afin de tirer les prix vers le bas. Cela afin de toucher une toute nouvelle clientèle, la classe moyenne. Seulement, l’industrialisation du luxe va être stoppée net par la Seconde Guerre mondiale. Au sortir de la guerre certains industriels, dont Guerlain, n'ont qu'une envie c'est de reprendre cette marche vers le luxe industrialisé. Mais les fonctionnaires du Plan (les planificateurs de l'économie chargés de lire l'avenir dans le marc de café) ont d'autres priorités. C'est pour cela que dès 1947, Lucien Lelong et Jean-Jacques Guerlain (fils de Jacques Guerlain) vont travailler à la création du Comité Colbert qui verra finalement le jour en 1954. Il s'agit au début d'un groupe de pression qui espère obtenir le redémarrage du secteur du luxe industriel, et qui petit à petit va se transformer en lobby dont le but est de défendre et promouvoir une industrie du luxe qui souhaite être le symbole de la France à l’étranger. Aujourd’hui le comité Colbert existe toujours et son dada c'est plutôt la lutte contre la contrefaçon qui fait du tort aux actionnaires, pas tellement la protection des traditions. Traditions qui empêcheraient de sortir toujours plus de merdes plus vite.

Les 92 membres du comité Colbert tous secteurs confondus. En réalité ils sont beaucoup moins que cela puisque 13 % des marques membres appartiennent à LVMH. Si vous prenez le département “mode”, les indépendants ne sont pas bien nombreux entre LVMH, Chanel, L’Oréal, Hermès, Mayhoola... (Source : Comité Colbert)
Les 92 membres du comité Colbert tous secteurs confondus. En réalité ils sont beaucoup moins que cela puisque 13 % des marques membres appartiennent à LVMH. Si vous prenez le département “mode”, les indépendants ne sont pas bien nombreux entre LVMH, Chanel, L’Oréal, Hermès, Mayhoola... (Source : Comité Colbert)

Christian Dior sera véritablement l’un des premiers à montrer la voie. Il avait compris comme beaucoup d’autres que le marché intermédiaire représentait une manne financière considérable, mais il fallait encore trouver le moyen de taper les classes moyennes. Il décide alors de vendre ses idées mais aussi son nom à des entreprises qui pourraient diffuser l'évangile selon Saint Dior à ceux qui ne pouvaient autrement pas se permettre d’acheter ses créations. Il commence par des bas de fabrication américaine, car comme nous venons de le voir l'industrie française ne s'est pas encore tout à fait remise de la guerre. Il décide d’utiliser son propre nom et c’est ainsi qu’en 1949 sont nées les bas Dior et avec eux la notion de licence en tant qu'option commerciale viable dans le monde du luxe. Dior considérait la concession de licences comme un moyen d'étendre l'activité de sa marque à un public plus large sans en assumer le coût ou les responsabilités de gestion. Il contactait les principaux fabricants dans des domaines particuliers et négociait des accords pour qu'ils produisent des articles portant le nom magique. En contrepartie, Dior recevait une redevance sur les ventes. En 1951, Dior exploitait des licences pour de nombreux produits de maroquinerie (des sacs à main, portefeuilles, gants) mais également des chemises pour hommes, des écharpes, des chapeaux, etc etc.

Deux anciens assistants de Dior, et malheureusement dépravés notoires, Pierre Cardin et plus tard Yves Saint Laurent, vont réellement pousser jusqu’au bout l’idée de licence. Yves Saint Laurent lance en 1966 une ligne de prêt-à-porter à bas prix appelée Rive Gauche qui ciblait les jeunes, son public favori. En 1967 il publiera également un livre intitulé “La Vilaine Lulu” qui raconte ses autres manières de cibler les plus jeunes, que l'on m’arrête à la sortie si ce que je dis n'est pas vrai. De son côté Cardin a un amour immodéré de l’argent, ce qui le conduit à mettre son nom sur absolument tout, y compris des poêles à frire. C’est à cette époque que l’on a vraiment totalement changé le paradigme de la mode et du luxe. Auparavant, tout était simple, les artisans fabriquaient des produits très chers que l’aristocratie ou la bourgeoisie achetait encore plus cher et cela servait à perpétuer le cycle. Désormais, il existe un nouveau modèle pyramidal dicté par les industriels. Tout au sommet ils ont leur fabrication iconique en petite série pour les vrais riches, leur production industrielle pour la classe moyenne, et une large gamme de produits sous licence pour ceux qui sont au bas de l'échelle. Le Ponzi appliqué au luxe, où ce sont les échelons inférieurs qui permettent de financer les ateliers de Pantin ou d’Asnières qui fournissent les échelons supérieurs.

Illustration du modèle pyramidal chez Vuitton vous avez d’un côté le produit industriel pour les classes moyennes qui est fabriqué à la chaine. (Source : LVMH)
Illustration du modèle pyramidal chez Vuitton vous avez d’un côté le produit industriel pour les classes moyennes qui est fabriqué à la chaine. (Source : LVMH)
Et de l’autre les ateliers historiques d’Asnières qui se chargent de la bagagerie, des commandes spéciales et qui hébergent un véritable savoir-faire. (Source : Usinenouvelle)
Et de l’autre les ateliers historiques d’Asnières qui se chargent de la bagagerie, des commandes spéciales et qui hébergent un véritable savoir-faire. (Source : Usinenouvelle)
Saint Laurent ainsi qu’un extrait de la vilaine Lulu. L’ouvrage, réservé aux initiés, est publié en 1967, une époque où certaines personnes ne cachaient plus leurs fantasmes. Et dire que certains se plaignent de Tintin au Congo. (Source : la vilaine Lulu)
Saint Laurent ainsi qu’un extrait de la vilaine Lulu. L’ouvrage, réservé aux initiés, est publié en 1967, une époque où certaines personnes ne cachaient plus leurs fantasmes. Et dire que certains se plaignent de Tintin au Congo. (Source : la vilaine Lulu)
Est-ce que tous les industriels se valent ?

Il serait injuste de mettre les industriels dans le même sac, bien qu’ils aient tous plus ou moins suivis la même évolution au fil des ans, tous n’ont pas les mêmes standards. Certes, il est également vrai qu’ils ont tous tendance à mentir comme des arracheurs de dents mais certains sont plus investis dans la maroquinerie que d’autres. Pour Hermès par exemple la maroquinerie représente environ 50 % de leur chiffre d’affaires. Il est donc normal que la marque ne traite pas ce domaine comme peuvent le faire d’autres concurrents. Il est également évident que tous les industriels ne véhiculent pas la même image. Or on le sait, ce qui intéresse les ploucs c’est l’image. Certaines marques ont dilué leur réputation à force de multiplier les licences, Cardin et Saint Laurent sont de bons exemples, aujourd’hui il faut être sacrément limité pour considérer ces marques comme ayant une image de luxe. Elles n’ont d’ailleurs plus aucun savoir-faire à mettre en vitrine. Alors que Vuitton par exemple ont encore leurs malles fabriquées dans leur atelier à Asnières dans les règles de l’art. Hermès ont également retenu un certain savoir-faire. Quand les marques n’ont pas totalement massacré leur renommée elles misent énormément sur les apparences. C’est le cas justement de Vuitton qui font beaucoup de simagrée, ils entubent le trèpe mais avec des gants blancs, c’est fait en douceur dans des boutiques feutrées. Le niveau de service est en général proportionnel aux prix pratiqués. L’un des dilemmes rencontrés par beaucoup de marques pour ne pas diluer totalement leur image réside dans la relation d’ils entretiennent avec la rareté ou non de leurs produits. Je cite le document d’enregistrement universel propre à LVHM “Les Maisons du Groupe se concentrent sur la créativité de leurs collections, le développement de produits iconiques et intemporels, l’excellence de leur distribution et le renforcement de leur présence en ligne, tout en préservant leur identité.” Traduction, il ne faut pas dénaturer la poule aux œufs d’or, mais il faut qu’elle ponde quand même le plus possible.

Répartition du chiffre d’affaires d’Hermès par secteurs en 2020. (Source : Hermès)
Répartition du chiffre d’affaires d’Hermès par secteurs en 2020. (Source : Hermès)
La même répartition chez LVMH, malheureusement le groupe réunit ensemble les secteurs mode et maroquinerie (Source : LVMH)
La même répartition chez LVMH, malheureusement le groupe réunit ensemble les secteurs mode et maroquinerie (Source : LVMH)

On le sait que la valeur est en partie corrélée avec la rareté, le luxe a certes changé, mais il n’a pas changé au point où la rareté a totalement perdu de son importance. Enfin tout est relatif, les sacs Vuitton ont la réputation d’être des sacs de catins tant ils sont courants dans la profession et ça ne semble pas déranger grand monde. Mieux, la marque a l’air de prendre ça comme un compliment. Je rappelle à tout hasard qu’en 2013 Louis Vuitton avait réalisé en collaboration avec Love magazine un court-métrage promotionnel où des mannequins de la marque jouaient le rôle de gagneuses. Ça n’est pas surprenant quand on sait que le directeur créatif de la marque était à l’époque un dépravé notoire, décidément…

Louis Vuitton fournisseurs officiels du marché de la luxure monnayable. Remarquez dans luxure il y a “luxe”, ça colle. (Source: Love magazine).

Chez Hermès on ne saurait faire des scandales de ce genre. La marque a une autre spécialité qui est celle de volontairement frustrer ses clients quitte à les éconduire. C’est d’ailleurs pour cela que j’ai toujours une once de respect pour eux, l’argent ne suffit pas à être client. À partir des années 2000 Hermès va mettre en place une stratégie de “rareté organisée” pour ses sacs les plus iconiques. La marque sait bien que 90 % des clientes qui franchissent le seuil d’une boutique le fait pour acheter un Kelly ou un Birkin. Dès lors comment s’assurer que ces modèles très demandés retiennent leur cachet et surtout leur exclusivité ? Simple, il suffit de refuser de les vendre. Ou plus exactement de prétexter qu’ils ne sont pas en stock dans la spécification demandée par le client, et ça même s’ils sont disponibles. Pour se couvrir face au Code de la consommation Hermès argue du fait que la demande dépasse leur capacité de production.
La marque a ensuite différentes méthodes pour “résoudre le problème de disponibilité” en fonction de la boutique. Il y a tout d’abord le système de loterie, vous demandez à avoir un rendez-vous et les places sont distribués au hasard parmi les candidats. Le rendez-vous en lui-même ne garantit rien, il est tout à fait possible que si vous demandez un Kelly sellier bleu le vendeur disparaisse dans la réserve pendant 30 minutes et revienne avec un Kelly retourné vert fluo, même s’il y a bien un sellier bleu en stock, il ne vous sera tout simplement jamais proposé.

Message du système de loterie Hermès qui évoque les difficultés de production de la marque. Il faut tout de même noter que ce système est en place depuis plus de 20 ans maintenant. Malgré la construction de nouvelles usines et la mécanisation, Hermès ne parviendrait donc toujours pas à satisfaire la demande. Sont-ils incapables ou sont-ils simplement menteurs ? (Source: Sartorialisme)
Message du système de loterie Hermès qui évoque les difficultés de production de la marque. Il faut tout de même noter que ce système est en place depuis plus de 20 ans maintenant. Malgré la construction de nouvelles usines et la mécanisation, Hermès ne parviendrait donc toujours pas à satisfaire la demande. Sont-ils incapables ou sont-ils simplement menteurs ? (Source: Sartorialisme)

Certaines boutiques fonctionnent sur une base de “premier arrivé premier servi” avec un système de liste d’attente qui peut s’étendre sur plusieurs années. D’autres laissent la possibilité aux clientes de remplir une liste de souhaits, qui ne garantit en aucun cas qu’elles recevront le sac convoité. Il s’agit plus ou moins d’un système de notification qui permettra au magasin de contacter la cliente, si un jour, par chance, ils ont un sac aux bonnes spécifications (ou approchantes) en boutique. Pour Hermès c’est une façon de maintenir le contact et de proposer à la vente d’autres produits, que les clientes achètent en espérant que cela débouche un jour sur la proposition du sac rêvé.
C’est là que l’astuce se manifeste dans toute sa splendeur, elle joue sur l’envie et la frustration. De fait les clientes éconduites, vont avoir deux types d’attitudes : soient elles vont claquer la porte et voir ailleurs, soit elles vont dédier toute leur énergie à l’acquisition du sac rêvé. Et puis de toute façon même celles qui claquent la porte finissent parfois par y revenir. Beaucoup vont tenter de “construire une relation avec la marque”, ou plus exactement d’avoir un historique d’achat en s’imaginant que cela va augmenter leurs chances. Elles vont alors acheter beaucoup de petites choses (celles sur lesquelles Hermès réalise le plus de marge) en espérant qu’à la fin du parcours initiatique se trouve le sac tant convoité. C’est là qu’Hermès fait d’une pierre deux coups, d’un côté ils préservent la valeur de leurs sacs iconiques, et de l’autre ils écoulent leurs produits à forte marge. Certaines clientes font en sorte d’être reconnues par les vendeurs (quitte à les harceler), d’autres inventent des techniques absurdes proches du vaudou. C’est pour cette raison que vous trouvez sur Youtube un nombre considérable de débiles plus ou moins hystériques qui font des vidéos se plaignant d’avoir été “insultées par Hermès” et qui expliquent que leur expérience client a été la pire chose de leur vie et qu’en raison de cela elles sont devenues grosses et ou dépressives. Je n’invente rien et je vous mets un florilège juste en dessous. À noter qu’Hermès exerce une parité stricte, les hommes sont traités de la même façon surtout dès qu’il s’agit des portefeuilles mais c’est valable pour le sac à missive et bien d’autres pièces. La marque a ainsi envoyé chier Fok, le créateur de l’arnaque qu’est Styleforum, et ce dernier n’a pas manqué d’aller pleurer sur son safespace virtuel comme quoi c’était injuste. Rien que pour avoir mis cet étron à sa place Hermès mérite une certaine forme de respect.

Petit florilège d'un genre en pleine expansion sur Youtube, les dingues "maltraitées" par Hermès avec les thumbnails qui transpirent le 80 de QI.

Si nous avons expliqué comment les industriels ont envahi le luxe nous n’avons pas expliqué comment la maroquinerie spécifiquement avait été conquise. Pourquoi les grands groupes contrôlent la maroquinerie ? La réponse est simple, la maroquinerie se meurt. Comment ça la maroquinerie se meurt ? Ne viens-je pas de dire que la maroquinerie est une industrie qui se porte bien et qui génère des milliards ? N’est-ce pas paradoxal ? Pas du tout. Malgré la bonne santé affichée des grandes marques internationales, les petits acteurs du luxe sur lesquels elles reposent sont aujourd’hui fragilisés, à tel point que certaines filières de fabrication d’objets de luxe et de formations sont soit disparues ou sur le point de disparaître. La maroquinerie se meurt de la même façon que les ébénistes du faubourg Saint Antoine sont morts. Pourtant les Parisiens ont toujours des meubles dans leurs appartements. Seulement plutôt que d’acheter une salle à manger à un ébéniste ils achètent de l’aggloméré Ikea tout naze. En quelque sorte les ébénistes ont été grand remplacés par l’ameublement froid et sans âmes nordique. Il en va de même pour la maroquinerie traditionnelle qui a été grand remplacée par la maroquinerie sans frontière et sans talent de LVMH. Une bonne partie de la filière a été décimée sans que cela n’émeuve personne et cela sur des décennies, mais aujourd’hui que les actionnaires ont besoin de vendre toujours plus de sacs toujours plus vite, ils se plaignent de ne pas trouver d’artisans…

Les petites entreprises et les artisans

Les maroquiniers traditionnels se font rares alors qu’ils constituaient avant le cœur du métier, cela s’explique par de nombreuses raisons. La situation des petites entreprises et des indépendants fabricant des produits de luxe pour la bourgeoisie, autrefois florissantes est plus que menacée par de nouveaux enjeux économiques, des nouvelles attentes sociales et une transformation fondamentale des espaces urbains comme des fonctions qui s'y déploient. La mondialisation ou encore la tertiarisation de la société avec son dénigrement systématique des formations manuelles sont bien évidemment des causes. Mais il existe aussi des raisons plus directes qui expliquent cette mutation et qui sont en rapport avec l'histoire industrielle Française comme nous venons de le voir par exemple avec la création du comité Colbert et la transition qui s’est opérée de l’artisanat de luxe à l’industrie du luxe.

Un atelier en banlieue Parisienne de maroquinerie/bagagerie dans les années 30, en dehors des piqueuses au premier plan tout le travail est effectué à la main. (Source:Sartorialisme)
Un atelier en banlieue Parisienne de maroquinerie/bagagerie dans les années 30, en dehors des piqueuses au premier plan tout le travail est effectué à la main. (Source:Sartorialisme)

Cette transition est vraie pour le monde du luxe en général, mais pour la maroquinerie il faut également ajouter le fait que les métiers de l'accessoire subissent la mode plus qu'ils ne la créent. Ils sont en expansion quand leur produit est à la mode et en crise quand il ne l'est plus. Dès lors, lorsque le marché se contracte, les plus compétitifs survivent, même s’ils ne sont pas les plus qualitatifs. À ce petit jeu les géants industriels sont beaucoup plus solides que n'importe quel artisan. Artisans dont la nature même est en partie responsable de leur disparition, ayant un caractère fortement individualiste ils sont attachés à leur liberté et sont en général peu intéressé par l’idée de s’unir dans le travail comme dans l'administratif. Il existe des initiatives de ce genre mais elles sont en général d’un succès limité, par exemple la fédération Française de la maroquinerie a une force de frappe totalement risible par rapport à celle du Comité Colbert qui est aux premières loges du pouvoir.
Comité dont le nombre de marques représentées ne fait que s'accroire alors que les entreprises participantes sont de moins en moins nombreuses puisqu'elles se rachètent entre elles et forment des groupes gigantesques. Un petit nombre de mains détient aujourd'hui la quasi-totalité de l'industrie du luxe mondial, entre les colonnes l'union fait la force.

Ainsi derrière les unes fanfaronnes des médias annonçant la belle santé de la maroquinerie Française, les chiffres toujours rassurant du CNC ou les résultats financiers astronomiques des groupes du luxe, la tendance globale est assez sombre puisque le “fleuron français” est bâti sur des fondations vermoulues, pour ne pas dire totalement pourries.

Le premier indicateur de cette décomposition est bien évidemment le nombre d’entreprises en lui-même. Ce dernier a baissé de façon dramatique au fil des ans. Vous allez me dire qu’avec l’amélioration de la mécanisation, la tertiarisation et la mondialisation il est normal que le nombre d’entreprises baisse avec le temps. Certes, mais le même phénomène n’a pas été observé avec la même violence chez les Italiens qui ont été parfaitement capable de préserver un tissu industriel fort dans le domaine de la maroquinerie ou vestimentaire en général, c’est donc bien un problème Français et non une sorte de fatalité irrémédiable.
En recoupant les chiffres publiés par les différents organismes de la filière cuir il est assez facile de suivre l’évolution du nombre d’entreprises de maroquinerie en France. Ce chiffre est beaucoup plus fiable que celui du nombre d’ouvriers. D’une part les comptages n’était pas toujours effectués de façon fiable et régulière, d’autre part la maroquinerie a eu pendant des années une forte tradition du travail à domicile, voire même plus généralement du travail au noir.
Il est important de préciser une chose, en 2013 le CNC a décidé de changer sa façon de compter les entreprises du secteur maroquinier. Avant 2013 seules les entreprises de plus de 5 salariés étaient comptabilisées, à partir de 2013 ce sont toutes les entreprises d’au moins un employé qui sont comptabilisées. Nous allons revenir là-dessus dans notre développement.

Les années 80/90 sont une époque charnière où l’on arrive vers la toute fin des petites entreprises et où l’hégémonie des grands groupes commence à s'affirmer. Dans les années 80 le secteur est en pleine mutation à plusieurs niveaux. Les industriels s’affirment mais une génération termine de mourir (littéralement), c'est celle des artisans des dernières heures du luxe à la Française. Ceux qui ont commencé à travailler durant les années folles et qui ont connu le style classique dans ses heures de gloire disparaissent et avec eux bien souvent leur entreprise. Ce phénomène commence vraiment dans les années 70, ainsi selon le bulletin professionnel de la maroquinerie n°l de 1973 il y avait lors de cette année 2000 entreprises de maroquinerie en France. En 1980 selon les chiffres du CNC il n’en reste plus que 436. En 7 ans plus de 1500 entreprises ont disparues. Alors certes le CNC ne compte à cette époque que les entreprises de plus de 5 salariés alors qu’il n’est pas donné de précision quant à la méthode de comptage du bulletin professionnel de la maroquinerie. Mais cela importe peu, puisque si l’on ne prend que les chiffres du CNC de 1980 à 1985 le nombre d’entreprises de maroquinerie de plus de 5 salariés passe de 436 à 337, presque 100 entreprises ont disparues en l’espace de seulement 5 ans. À partir de 1985 la situation se stabilise et l’on constate même une faible hausse, puisqu’en 1990 le CNC comptabilise 357 entreprises. Mais la guerre du Golfe va passer par là et va faire entrer le secteur en crise, en 1991 on ne compte plus que 298 entreprises. À partir de cette époque s’opère un phénomène intéressant, le nombre d’entreprises de plus de 5 employés ne cesse de baisser alors que pourtant la génération des maroquiniers de l’âge d’or a déjà disparu et celle qui la suivait aussi. De 1991 à 2012, dernière année de comparaison possible avant que le CNC ne change sa manière de compter, la filière est passée de 298 entreprises à 151. La raison est en partie due à l’hégémonie des grands groupes du luxe qui commence. Je rappelle que LVMH a été fondé en 1987, qu’Hermès a connu une période difficile dans les années 70 (on disait que la marque sacrifiait sa rentabilité sur l’hôtel de l’excellence) et se refait une santé à partir de 1990 et que PPR (aujourd’hui Kering) se lance dans le luxe en 1999 avec le rachat de Gucci et Yves Saint Laurent.

En raison de ces différents facteurs le nombre d’entreprises de maroquinerie en France n’a de cesse de baisser depuis les années 70. C’est alors qu’un paradoxe commence à apparaître, le nombre d’entreprises de la filière est en chute libre, mais le chiffre d’affaires lui est en hausse constante à partir du début des années 2000. Pour enrayer la chute du nombre d’entreprises le CNC a trouvé l’astuce que nous évoquions, il aura fallu attendre 30 ans pour qu'il se décide à partir de 2013 de comptabiliser toutes les entreprises ayant au moins un salarié. Et là miracle, on passe de 151 entreprises en 2012 à 431 en 2013, un nombre qui n’a plus été vu depuis les années 80. Sans surprise, cet ajout n’a pas fait croitre de façon significative le chiffre d’affaires de la filière car déjà en 2013 les 24 entreprises qui emploient plus de 200 salariés réalisaient plus de trois quarts de la facturation du secteur. Autant dire que les 280 entreprises ajoutées ne comptent que pour une goutte d’eau. Leur incorporation n’est qu’une manipulation statistique pour masquer la disparition progressive de tout ce qui n’est pas un industriel du luxe ou une grosse multinationale. En réalité le marché de la maroquinerie devient de plus en plus polarisé entre deux extrêmes, d'un côté vous avez les très grands et de l'autres les très petits, l’entre deux lui est en train de complètement disparaître et c’est pour lisser cette disparition que le CNC s’est senti forcé d’apporter une correction dans sa façon de compter les entreprises. Il faut dire que le “milieu”, ce monde de petites entreprises de 5 à 10 salariés, est soumis à une concurrence rude, une pression délirante des cotisations, contributions et autres taxes étatiques et qu'il est limité quant aux mesures d’optimisation fiscale qu’il peut mettre en place. Ça n'est pas exactement ce que l'on pourrait appeler attractif.

Le nombre d’entreprises dans le secteur de la maroquinerie de 2000 à 2020. La manipulation statistique saute aux yeux. (Source : CNC)
Le nombre d’entreprises dans le secteur de la maroquinerie de 2000 à 2020. La manipulation statistique saute aux yeux. (Source : CNC)

Cette bipolarisation est également visible quand on s’intéresse au chiffre d’affaires réalisé par le secteur de la maroquinerie. De 1980 à 1987 la maroquinerie Française présente un chiffre d’affaires qui tourne autour des 500 millions d’euros (420 millions en 1980, 628 en 1987). C’est la période de transition, qui est également visible si l’on regarde les importations et exportations de la filière, de 1980 à 1990 les importations sont toujours supérieures aux exportations, cette tendance ne commence à changer de façon définitive qu’à partir de 1994. En réalité le chiffre d’affaires de la maroquinerie restera constamment sous la barre du milliard d’euros jusqu’en 2001. C’est à partir de cette période que l’industrie du luxe a la mainmise complète sur la maroquinerie et que le chiffre d’affaires va augmenter de façon exponentielle. Ce qui compte ce n’est plus la qualité du produit, mais sa marque. Les industriels du luxe peuvent se permettre de produire beaucoup et pour pas cher, c’est la définition même de leur activité. Si vous combinez l’image de marque, la production en série rapide et bon marché à l’émergence d’une nouvelle catégorie de clients aux poches pleines plus rien ne s’oppose à ce que le chiffre d’affaires de la maroquinerie Française explose. Et c’est ce qu’il a fait. Aujourd’hui la maroquinerie réalise un chiffre d’affaires qui flirte avec les 4 milliards d’euros (3,3 milliards en 2020, 3,8 milliards en 2019), des chiffres totalement impensables dans les années 80. Rappelons à tout hasard qu’en 1994 un sac Kelly d’Hermès coutait approximativement 10 000 francs (2100€ actuels selon le convertisseur de l’Insee tenant compte de l’inflation) aujourd’hui pour un modèle similaire il faut compter aux alentours de 8000€. Pour la même année les sacs à main Vuitton iconiques commençaient à 3500 francs (768€ actuels selon l’Insee) alors qu’aujourd’hui pour le même prix vous n’avez même pas une pochette. Lorsqu’un sac à main produit par un artisan et un sac Hermès sont au même prix, le prix du premier correspond à ce qu’il vaut, le prix du second correspond à ce que la marque vaut.

Le comité Colbert peut être fier, son objectif originel : faire de l’industrie du luxe Française une référence est aujourd’hui réalisé. (Source : usinenouvelle)
Le comité Colbert peut être fier, son objectif originel : faire de l’industrie du luxe Française une référence est aujourd’hui réalisé. (Source : usinenouvelle)

Les conséquences ne se sont pas faites attendre certains secteurs ont pratiquement disparus, c’est le cas par exemple de la gainerie, la formation à l'école de gainier a disparu et aujourd’hui il n’existe plus de formation complète intégralement dédiée à cet artisanat d’excellence qui était plus ancien que la maroquinerie elle-même. Pour ceux qui l’ignorent le gainier est un artisan capable de recouvrir n’importe quel objet de cuir, et parfois de le dorer dans le cas du gainier-doreur. Étymologiquement le nom provient des gaines d'épée en cuir mais le gainier pouvait en plus des fourreaux fabriquer des écrins, coffrets, socles.… C’est au mieux s’il existe aujourd’hui une vingtaine de gainiers dans toute la France et parmi eux il n’existe que 3 ou 4 véritables spécialistes dont la formation s'est faite de père en fil ou via les maîtres d'art. Les maîtres d'art, une initiative de préservation du savoir-faire Français.

Court mais très beau reportage de France 3 sur Bernard Rosenblum qui était l’un des derniers très grands gainier doreur d'art. (Source: France 3).

La classe de gainerie du lycée professionnel de l'abbé Grégoire en 1962. 60 ans plus tard il ne reste plus qu’une poignée de gainiers en activité. (Source : copainsdavant)
La classe de gainerie du lycée professionnel de l'abbé Grégoire en 1962. 60 ans plus tard il ne reste plus qu’une poignée de gainiers en activité. (Source : copainsdavant)
Exemple d’articles de gainerie publié dans Les Modes en 1931 (Source : BNF)
Exemple d’articles de gainerie publié dans Les Modes en 1931 (Source : BNF)
La vie de Bernard Steff, une sommité dans le monde de la gainerie. Il est décédé en 2021 et était, Meilleur ouvrier de France, Gainier d'Art,
Chevalier de l'ordre national du Mérite,
Chevalier des Arts et des Lettres, Grand Maître d'Arts. Benoît Quinoa et tous les privates labels minables sont rhabillés pour l'hiver.
La vie de Bernard Steff, une sommité dans le monde de la gainerie. Il est décédé en 2021 et était, Meilleur ouvrier de France, Gainier d'Art, Chevalier de l'ordre national du Mérite, Chevalier des Arts et des Lettres, Grand Maître d'Arts. Benoît Quinoa et tous les privates labels minables sont rhabillés pour l'hiver.

Il en va de même avec les pareurs, le parage est une technique qui permet d’amincir le cuir dans le but de diminuer son épaisseur sur une partie de la pièce, notamment les bords, à ne pas confondre avec le refendage qui consiste à faire diminuer l’épaisseur d’une pièce sur son intégralité. La technique du parage est ardue à maitriser et a fait l’objet d’une spécialisation avec l’apparition de pareurs indépendants notamment en ce qui concerne les cuirs exotiques qui sont particulièrement exigeants et coûteux. Dans les années 90 l’activité avait quasiment disparu avec seulement 5 à 6 pareurs à Paris. Aujourd’hui plus aucun de ces spécialistes n’est en activité, il existe encore une petite poignée de pareurs mais d’une nature différente. Il va s’agir essentiellement de sous-traitants multi-services offrants du parage à la machine pour les très petites entreprises ou les particuliers. Il en va de même pour les professions de fermoiriste ou de sertisseur-riveur qui ont pour ainsi dire totalement disparues avec la généralisation, entre autres, de la fermeture éclair.

La disparition de ces spécialistes s’est accompagnée de la perte d’un certain nombre de maroquiniers indépendants ou d’entreprises de taille familiale. Trop petits ils n’ont pas été en mesure de s’adapter à la concurrence des industriels du luxe comme à celle des pays du tiers monde. Tiers monde qui a été capable d’inonder le marché de produits peu coûteux et de piètre qualité d’une façon impressionnante. Il existe d’ailleurs à ce sujet une statistique amusante, ou déprimante c’est selon. Les prix moyens de sacs à main en sortie de douanes donnent une indication sur la gamme de produits que la France importe et exporte. En effet, pour les sacs à main en cuir, le prix moyen est de 89€ à l’import contre 500€ à l’export. Autrement dit, la France importe des sacs du tiers monde pour son marché domestique de ploucs et exporte ses sacs “de luxe” fabriqués par ces mêmes ploucs à l’international. Cela rend bien évidemment difficile toute survie d’un marché domestique non tourné vers l’export comme cela pouvait exister par le passé.

Pareuse mécanique, vous pouvez voir la pièce de cuir dont les bords ont été parés sur le dessus de la machine. (Source : Directsewing)
Pareuse mécanique, vous pouvez voir la pièce de cuir dont les bords ont été parés sur le dessus de la machine. (Source : Directsewing)
Parage à la main, une technique beaucoup plus chronophage qui demande du savoir-faire. (Source : Sartorialisme)
Parage à la main, une technique beaucoup plus chronophage qui demande du savoir-faire. (Source : Sartorialisme)

Il faut également réaliser que financer une petite ou moyenne entreprise de maroquinerie dans un monde de start-ups informatiques n'est pas évident. Toute entreprise qui souhaite se lancer doit tout d’abord parvenir à se financer auprès de banques ou par levées de fonds, alors que son profil ne correspond souvent pas aux attentes des investisseurs. Les besoins de financement des artisans en maroquinerie sont lourds, leur activité reposant sur des outils, des machines et des matières premières très onéreuses. Concrètement vous mettez bout à bout une pareuse, une machine à coudre, une presse hydraulique, une machine pour la dorure à chaud et vous en avez déjà pour 8000€ d’équipement et ça c'est en ne prenant qu'un exemplaire (neuf) de chaque, ajoutez à ça le local, les fournitures, les outils, le cuir... Certes vous pouvez vous passer de beaucoup de machines et vous lancer comme artisan, paradoxalement vous avez de meilleures chances puisque vous pouvez commencer sur vos fonds propres mais vous avez intérêt à être (très) bon sinon vous n'allez pas rester en business longtemps... Et même si vous l’êtes n’espérez pas attirer les Gucci coochie en parlant technique ou qualité, elles s’en branlent, votre clientèle ça sera la niche. C’est bien simple, certains maroquiniers indépendants en sont à faire de la revente ou du reconditionnement de sacs Hermès d’occasion pour arrondir les fins de mois.
Vous comprenez donc que les investissements dans de telles entreprises présentent des temps de retour très longs et sont particulièrement risqués. De fait les banques sont de plus en plus frileuses, méfiantes et exigeantes pour accorder un financement. Alors forcément, vous pensez que ce genre d'investissement ça fait bien rire Benoit Quinoa tout juste sorti de son école de commerce et qui n'a besoin que d'un ordinateur et d'un bureau en co-working pour lancer son biz de private labeling. Il n'a même pas besoin d'avoir un gros QI, il lui suffit juste de savoir mentir. Lui n'aura évidemment aucun problème pour obtenir ses financements, on lui donnera même une subvention.

Les Private labels

Cela m'amène tout naturellement à parler des private labels. La maroquinerie “basique” est un domaine particulièrement marqué par l’explosion des private labels. Le marché a été littéralement inondé de produits fabriqués un peu partout sous des “marques blanches” et cela depuis maintenant très longtemps. Cela ne veut d’ailleurs pas dire que ces produits sont bons marché, ils utilisent l’image luxueuse du cuir pour vendre à des prix parfois (trop) élevés une production industrielle tout ce qu’il y a de plus bête. Dieu merci, la maroquinerie de luxe a été en partie épargnée par l’explosion des private labels, mais en partie seulement. Ce qui est relativement nouveau en revanche c’est l’émergence de private labels plus que basiques qui tentent de faire passer leurs produits pour du luxe. Si la pratique n’est pas nouvelle, elle fonctionnait beaucoup moins bien dans les années 80/90 qu’elle ne fonctionne aujourd’hui.
Nous allons également rappeler pour ceux qui l'ignorent que nous faisons toujours une distinction entre private labelling et sous-traitance. Si vous êtes un lecteur habitué vous savez déjà de quoi nous voulons parler. Dans le cas de la sous-traitance on parle d'une relation qui va du haut vers le bas, c'est à dire le donneur d'ordre vient chercher un outil de production, mais il réalise en amont toute la conception technique et contrôle plus ou moins directement tous les aspects techniques de son produit. Tous les groupes de luxe sous-traitent abondamment, en ce qui concerne Vuitton plus de la moitié de la maroquinerie de la marque est produite par des sous-traitants. Dans le cas du private labelling on parle d'une relation qui va du bas vers le haut, c'est l'usine qui contrôle les aspects techniques de la production et qui offre une solution plus ou moins “clef en main” à différentes marques (souvent des start-ups) qui vendent donc le même produit, mais sous une marque différente. C'est pour cela que l'on parle parfois de “marque blanche”, ça n'est pas raciste. Il existe ensuite plusieurs niveaux d'intégrations (là encore, ça n'est pas raciste) chaque marque va choisir ses options de “personnalisations” en fonction de ce qui est proposé par l'usine et va faire “sa” propre tambouille, sachant qu'un autre client peut très bien faire les mêmes choix. Il existe ensuite une certaine liberté ou non en ce qui concerne le sourcing des matières premières etc etc qui sera propre à chaque usine.

Dans le cas de la maroquinerie le tissu industriel appartient majoritairement aux grands groupes du luxe soit directement soit via une relation de sous-traitance très poussée (Maroquinerie Thomas, Rioland etc etc dépendent presque intégralement des grandes marques pour leur existence). Il existe relativement peu d'usines de taille importante qui peuvent faire de la maroquinerie industrielle ou semi industrielle de haut vol et qui ne soit pas déjà dans le giron d'Hermès, Vuitton etc etc. Il n’existe pas vraiment d'Edward Green ou d’Enzo Bonafe de la maroquinerie qui peuvent alimenter toutes les marques en private label 2.0 qui prétendent faire du luxe. Néanmoins, cela ne veut pas dire que ce cancer n’existe pas, loin de là, il y a des starts-ups de petits bobos urbains qui essayent de se faire passer pour ce qu’ils ne sont pas. On en compte même un certain nombre. Quand ils ne trouvent pas une usine en France ils vont voir du côté des Italiens, des Espagnols ou encore des Roumains. Mais ils sévissent un peu moins que dans le domaine du soulier par exemple. Ces marques fonctionnent toutes selon le principe du “remplissage de cases” ou de la fiche technique pour parler simplement, il va s’agir de choisir des critères techniques simples sur lesquels communiquer. Par exemple dans le monde de la chaussure l’exemple typique est le montage Goodyear. Qu’il s’agisse de Max Suceur, Sale Gueule ou Macadam tous ont contribué à promouvoir le Goodyear master race à leurs clients. Dès lors, tout autre montage est considéré comme suspect par le lecteur de blogs.
Dans la maroquinerie c’est un exercice un peu plus difficile à faire, car malgré toutes les conneries qu’ils peuvent raconter leur fabrication est industrielle et quelconque. Ils ne vont pas pouvoir proposer du beau point sellier ou des tranches impeccables car cela demande trop de temps, et donc d'argent. Comme leur modèle économique repose sur des marges “faibles” et du volume, ils ne seraient pas compétitifs. Ils savent également que le milieu de la maroquinerie de luxe est déjà extrêmement saturé et comme ils ont du mal à communiquer sur le sujet, se faire une place va être difficile. Ça ne va pas les empêcher de mentir et d'avancer du “fait main” ou de la “fabrication française”, certains se risquent à du “cousu main” mais avec une bonne tarte dans la gueule il ne devrait pas être trop difficile de leur faire admettre que c'est de la machine.

L’exemple typique de la maroquinerie industrielle basique en private label qui s’approprie des qualités qu’elle n’a pas. “Artisanal, savoir-faire, traditionnel, fait main” en même pas quelques lignes, à croire qu’ils cherchent à cacher quelque chose. (Source : Atelier Particulier)
L’exemple typique de la maroquinerie industrielle basique en private label qui s’approprie des qualités qu’elle n’a pas. “Artisanal, savoir-faire, traditionnel, fait main” en même pas quelques lignes, à croire qu’ils cherchent à cacher quelque chose. (Source : Atelier Particulier)
Un autre exemple, Guibert Paris, dans la première image j’attire votre attention sur la mention du point sellier. Dans la seconde image on vous montre une jolie petite aiguille soulignée d’un “artisanat d’excellence”. Sauf que comme le montre la 3ème image c’est du piquage machine tout ce qu’il y a de plus moche. (Source : Guibert Paris)
Un autre exemple, Guibert Paris, dans la première image j’attire votre attention sur la mention du point sellier. Dans la seconde image on vous montre une jolie petite aiguille soulignée d’un “artisanat d’excellence”. Sauf que comme le montre la 3ème image c’est du piquage machine tout ce qu’il y a de plus moche. (Source : Guibert Paris)

Qu’est ce qui est fabriqué et comment ?

Nous allons maintenant parler un peu des objets couramment fabriqués en maroquinerie. Il n'est pas question de faire un inventaire à la Prévert, cela n'aurait aucun intérêt. L'objectif est simplement de donner une idée de ce qui est fabriqué en France.

Depuis 2013 le CNC publie une liste portant sur le nombre d'articles de maroquinerie fabriqués chaque année en France avec la facturation correspondante. Cette liste permet d'observer certaines grandes tendances, tout d’abord il n'est pas surprenant de voir que les sacs à main sont de loin en tête du classement du nombre d'unités produites, avec plus de 11 millions de pièces fabriquées chaque année si l'on fait exception de 2020, année de la panique sanitaire. D'une manière générale et sans entrer en détails dans les chiffres, les sacs à main représentent à eux seuls près des deux tiers de la production de maroquinerie Française. La fabrication Française de sac à main représente environ 20% de la production Européenne, la France se situe au deuxième rang des fabricants européens, loin derrière l’Italie qui assure à elle seule plus ou moins 60% de cette production en fonction des années.
La prépondérance des sacs à main se confirme quand on regarde la facturation. Les sacs génèrent en général aux alentours de 2 milliards d'euros par an soit là aussi les deux tiers de la facturation totale. Il est d'ailleurs intéressant de constater qu'en 2020 la France n'a produit que 8 millions de sacs, contre 11 millions en moyenne les années normales, mais que la facturation représentait 2,3 milliards d'euros soit le même montant que pour l'année 2018 et ses 11 millions de sacs. La baisse de production a donc été répercutée sur le prix de vente. L’offre et la demande toussa, toussa, un concept toujours inconnu de certains.

En France le second domaine en matière de volume de production est la petite maroquinerie, on parle ici d'une catégorie un peu fourre-tout qui concerne les articles de bureaux, les étuis (téléphone, cigares, lunettes…) mais pas les bracelets de montre où les portes-feuilles qui sont comptabilisés à part. Les autres produits issus de la maroquinerie se décomposent ensuite en parts plus ou moins égales.

On pourrait penser que les objets fabriqués par la filière de la maroquinerie ont toujours été plus ou moins constants dans leur nature à travers les ans. C’est en partie vrai, mais c’est également une vision simpliste. Comme nous l’avons déjà mentionné les métiers de l'accessoire subissent la mode plus qu'ils ne la créent. Cela se voit par exemple dans le cas des serviettes, cartables, attachés-cases et autres portes documents. On touche là à ce qui était le cœur historique de la maroquinerie Française, le sac rigide. Aujourd’hui les cartables et serviettes ne sont plus à la mode et cela se voit lorsque l’on regarde les volumes de productions. Il s’agit d’un domaine qui est en baisse constante depuis 2016. On est passé de 912 000 pièces en 2014 à 586 000 en 2020, et même en prenant 2019 ou 2018 comme année de référence, la production a pratiquement été divisée par deux. Cela s’explique comme nous l’avons dit par le fait que ces objets ne sont plus à la mode mais également par la généralisation du sac dit souple (ou retourné). Peu de gens imaginent ce qu’a représenté pour la maroquinerie ce changement brutal dans la mode, nous allons donc vous raconter cette révolution puisqu’elle permet également de comprendre comment la maroquinerie actuelle est devenue ce qu’elle est.

La fabrication du sac rigide avec fermoir correspond à une forme de sac couramment fabriquée dans la période d'Entre-deux-guerres jusqu'aux années 70/80. C’est ce qu’énormément d’hommes mais aussi d’écoliers utilisaient chaque jour pour porter leurs affaires. Pour beaucoup de maroquiniers à cette époque le sac rigide est un produit qui représente la tradition Française du secteur. À partir des années 70 les choses changent radicalement et le sac souple commence à se diffuser massivement en raison de son faible coût de production, mais également en raison de l’avènement du sportswear. Le sac souple n’est en soit pas une nouveauté, il existe déjà depuis des décennies, par exemple le sac haut à courroie d’Hermès est commercialisé pour la première fois aux alentours de 1890 mais c’est en raison d’un changement majeur dans la société et dans la façon dont les gens s’habillent que le sac souple devient incontournable.

Le sac haut à courroie d’Hermès, grand père du Kelly actuel. (Source : resee)
Le sac haut à courroie d’Hermès, grand père du Kelly actuel. (Source : resee)
C’est dans les années 80 qu’Hermès se met à proposer deux versions de son sac Kelly. L’un rigide dit “sellier” et l’autre souple dit “retourné”. (Source : yoogiscloset)
C’est dans les années 80 qu’Hermès se met à proposer deux versions de son sac Kelly. L’un rigide dit “sellier” et l’autre souple dit “retourné”. (Source : yoogiscloset)

L’Italie est déjà un très grand producteur de ce type de sac car le pays dispose de nombreuses peaux souples, notamment de l’agneau. En France les réticences sont plus grandes et l’'introduction du travail "souple" ne se fait pas sans mal. Il faut bien comprendre qu’une grande partie de l’industrie était structurée autour du travail rigide, et elle devait maintenant s’adapter au travail souple. Ce ne sont pas les mêmes techniques, le sac rigide demande beaucoup plus de travail, il faut encarter le cuir, pour le rigidifier, mais il faut également effectuer tout un travail de table (parer, coller, remborder) qui est exigeant. En comparaison le sac souple demande moins de travail, son montage est également beaucoup plus facile à effectuer. Les cadences changent drastiquement.
Pour le travail rigide de maroquinerie, certaines entreprises qui faisaient 5 à 6 pièces par jour, passent à 100 pièces par jour avec le souple. Il est estimé en moyenne qu’avec la mode du sac souple le temps de fabrication est divisé par 10 par rapport au sac rigide. Cela entraine évidemment des modifications au niveau des salaires et des emplois, les fermoiristes sont les premiers à pâtir des changements. Les mécaniciennes également appelées assembleuses qui étaient moins payées dans le travail du sac rigide que les coupeurs voient leur salaire devenir supérieur à celui de ces derniers. Beaucoup d’ouvriers habitués à la fabrication de sacs rigides ne vont pas accepter ces changements. Le fait est que le hasard a voulu que le sac souple devienne à la mode alors que la génération des maroquiniers qui ont connu essentiellement le travail rigide arrivait en fin de carrière, parfois même en fin de vie. La génération de l’âge d’or du style classique. Pour désigner un sac souple on parlait à l’époque dans le milieu de sac chiffon ou de sac torchon, parfois de sac fourre-tout et plus rarement de sac à merde. Certains disaient même “je n'ai pas supporté, je faisais de la maroquinerie” sous-entendu que le travail du sac souple n’en était pas. Le milieu a eu parfois tant de dédain pour le sac souple que certaines entreprises se refusaient à en fabriquer. Peut-être espéraient ils ainsi faire changer la mode. En réalité beaucoup d’entre eux n’étaient pas dupes, ils n’étaient simplement pas en mesure de transformer leur outil de production pour s’adapter à cette nouvelle demande. Ils devaient en plus faire face à la concurrence asiatique, qui si elle n’avait jamais été en mesure de véritablement s’imposer sur le sac rigide était en revanche tout à fait capable de faire des sacs souples en grande quantité. D’ailleurs beaucoup d’entreprises Françaises vont faire le choix à cette époque de délocaliser intégralement leur production vers l’Asie ou tout au moins d’y installer des unités de productions tout en conservant une activité résiduelle en France pour certaines étapes de production.

Comment c’est fabriqué ?

Avec le développement sur la différence entre le sac souple et le sac rigide nous avons déjà donné une idée de la latitude qui existe dans les méthodes de fabrication de la maroquinerie mais uniquement en rapport avec un aspect spécifique du secteur. Dans cette partie nous allons poursuivre cette explication tout en prenant un point de vue plus global et moins centré sur les sacs. Nous n’allons pas entrer dans les détails des techniques utilisées, nous ferons cela dans un prochain article. Le but est avant tout de vous permettre de comprendre un peu mieux comment est fabriqué ce que vous achetez.

Si vous croyez le discours tenu par n'importe quelle usine qui fait de la maroquinerie en France, tous font de l'artisAnal, tous sont des protecteurs de la tradition et du savoir-faire Français. Il n’en est bien évidemment rien, et vous pouvez déplacer leur production en Chine, ou en Espagne sans que cela ne change quoique ce soit, si ce n'est la nationalité de celui qui est derrière les machines. Contrairement à certains métiers de l’élégance, la maroquinerie a pu bénéficier de l’industrialisation et du développement des machines, ce qui a permis à certaines petites ou moyennes entreprises de perdurer. Mais se faisant elles ont souvent également abandonné les techniques de fabrications traditionnelles qui étaient jusqu’alors les leurs et donc abandonné leur statut d'artisan. Comme dans le monde de la chaussure il existe en maroquinerie un viol total et répété de la mention “fait main” ou plus généralement du concept d'artisanat. Encore une fois, ça n'est pas parce que vous mettez avec vos main une pièce de cuir sous une presse hydraulique ou que vous la guider, là aussi avec vos mains, dans une pareuse mécanique que c'est de l'artisanat. Toucher du cuir n'a jamais transformé personne en artisan. Sinon vous pensez bien que depuis le temps qu'il est avec sa Brigitte, Micron aurait déjà été nommé meilleur ouvrier de France. Comme il n'y a pas de règle, ni de contrôle chacun fait ce qu'il veut et vous dira absolument n'importe quoi sur ce qu'ils fabriquent et sur leur façon de le fabriquer.

La Maroquinerie de l’Indre crée en 1916 à Issoudun une entreprise indépendante de qualité. Elle a été rachetée par Louis Vuitton en 1983, le sort de beaucoup d’ateliers du secteurs. (Source : Jacky Raveau)
La Maroquinerie de l’Indre crée en 1916 à Issoudun une entreprise indépendante de qualité. Elle a été rachetée par Louis Vuitton en 1983, le sort de beaucoup d’ateliers du secteurs. (Source : Jacky Raveau)
Cette même entreprise mais dans les années 70. La mécanisation est passée par là. (Source : lanouvellerepublique)
Cette même entreprise mais dans les années 70. La mécanisation est passée par là. (Source : lanouvellerepublique)

Une vision plus réaliste serait de dire qu'il existe en maroquinerie trois façons de faire, il y a une façon industrielle, une façon artisanale et une façon semi-industrielle. La maroquinerie industrielle est mécanisée et n'utilise pas ou peu le point sellier. La maroquinerie artisanale est fabriquée essentiellement à la main et surtout doit faire usage du point sellier. L'artisan est celui qui travaille à la main contrairement à l’ouvrier qui travaille de ses mains. Le plus important est donc que l'essentiel du travail soit fait à la main. Vous noterez que cette définition n’exclue pas l’usage de machine, rien n’interdit à un artisan d’utiliser un fer à fileter électrique. À titre personnel je considère qu'il n'y a pas d'artisanat là où il n'y a pas de point sellier. Le point sellier fait partie intégrante de la tradition maroquinière, il est son expression la plus pure, il est indestructible et surtout il ne peut pas être répliqué à la machine ce qui veut dire qu'il demande un véritable savoir-faire. La maroquinerie semi-industrielle est réalisée essentiellement à la machine mais inclue des étapes réalisées à la main et recours parfois au point sellier. C’est le cas par exemple de marques comme Hermès, ou encore Camille Fournet mais il en existe d’autres. Certains fabricants de maroquinerie vont également avoir tendance à revendiquer leur appartenance au monde de l'artisanat sous prétexte d'être une petite structure. L'argument est bien évidemment fallacieux, ça n'est pas la taille qui fait l’artisanat mais la façon. Vous mettez 100 maroquiniers dans une pièce, chacun travaillant à la main de A à Z, vous avez des artisans. Vous mettez 3 clampins derrière 5 machines, ça n'est pas parce qu'ils vont déplacer du cuir avec leurs mains d'une machine à l'autre que vous avez autre chose que de l'industriel. Si vous vous demandez pourquoi le point sellier en lui seul n’est pas constitutif d’artisanat, la raison est simple. Vous avez des pays, l’Italie notamment, qui font du point sellier comme ils font du cousu trépointe, un point tous les kilomètres et emballé c’est pesé. La densité de couture est ridicule et ne présente pas la même solidité. Et c'est pour cela qu'à mon avis la meilleure définition de la maroquinerie artisanale est une combinaison de deux facteurs, le travail doit être fait majoritairement à la main ET doit impérativement être fait au point sellier.

Exemple de point sellier sur un cartable réalisé par Célia Granher, maroquinière indépendante. (Source : Celia Granger)
Exemple de point sellier sur un cartable réalisé par Célia Granher, maroquinière indépendante. (Source : Celia Granger)
Côté pile. Les simagrées de Louis Vuitton autour de la fabrication du sac à main petite malle. Gants blancs et tout le toutim, forcément vous vous dite “c’est de l’artisanat”. (Source : LVMH)
Côté pile. Les simagrées de Louis Vuitton autour de la fabrication du sac à main petite malle. Gants blancs et tout le toutim, forcément vous vous dite “c’est de l’artisanat”. (Source : LVMH)
Côté face. En réalité c’est Monique 45 ans avec son haleine de Roquefort et ses bras de camionneur qui fabrique votre petite malle. Sans gants blancs qui plus est. Il n’en reste pas moins que c’est un superbe produit au rapport qualité/prix largement supérieur aux sacs souples de la marque. Ça n’en reste pas moins de l’industriel. Sinon, pour mettre tout le monde d'accord je propose également l'appellation d'artisananas. (Source : API)
Côté face. En réalité c’est Monique 45 ans avec son haleine de Roquefort et ses bras de camionneur qui fabrique votre petite malle. Sans gants blancs qui plus est. Il n’en reste pas moins que c’est un superbe produit au rapport qualité/prix largement supérieur aux sacs souples de la marque. Ça n’en reste pas moins de l’industriel. Sinon, pour mettre tout le monde d'accord je propose également l'appellation d'artisananas. (Source : API)

Et la contrefaçon, on en fait quoi ?

Enfin il serait dommage dans un état des lieux de la maroquinerie de ne pas aborder très brièvement la question des contrefaçons. La maroquinerie est un domaine particulièrement touché et pour beaucoup comme seule la marque compte, peu importe la légitimité de la provenance. Vous le savez si vous êtes un lecteur régulier du blog, nous avons une opinion assez favorable de la seconde main et des opportunités qu'elle propose. Pour la maroquinerie je suis personnellement beaucoup plus réservé. Oui, il y a des affaires à faire, parfois d'excellentes même, mais le risque de tomber sur une contrefaçon est immense. La vaste majorité des produits provenant de marques de luxe que vous trouvez sur les sites de seconde main sont des faux. Nous l'avons dit, les contrefacteurs ont leur travail facilité par l'industrialisation et l'uniformisation de la maroquinerie de luxe. Certains sacs contrefaits sont parfois mieux réalisés que certains sacs originaux. Il arrive même que les employés des marques de luxe ne sachent pas différencier leurs propres sacs des sacs contrefaits. Vous imaginez donc bien que les sites qui proposent d’authentifier des sacs de grandes marques ne sont donc pas toujours très fiables. Il arrive même que des sacs contrefaits soient fabriqués directement par ces mêmes employés, avec du matériel “emprunté” à l’usine, un réseau d’anciens d’Hermès a ainsi été démantelé. La justice n’a pas été tendre avec les fabricants de ces “faux vrais” sacs, certains se sont vu infligés des peines similaires à celles de violeurs ou d’homicidaires… Pour lutter contre ces problèmes de contrefaçons les marques ont des parades mais elles sont vaines, ils apposent des signes, ajoutent des numéros etc etc mais rien qui au final ne puisse être répliqué. Vuitton mettent depuis 2021 une puce dans leurs sacs pour authentifier les sacs originaux. Pour l’heure la marque n’a pas encore beaucoup communiqué sur le sujet et n’a pas non plus lancé d’application qui permette à des particuliers de scanner le contenu de la puce. Mais j’ai bien peur que cet effort soit vain, ça n’est qu’une question de temps avant que les contrefacteurs ne soient en mesure de trouver une parade en fournissant leurs propres puces.

Archibald London: mode d’emploi d’une arnaque

Article mis à jour pour inclure la réponse du principal intéressé.

Avant-propos

Depuis quelques années il s’est opéré une sorte de retour au cousu trépointe, comme en témoigne le développement de nouvelles offres en Asie et dans les pays de l’Est. Cela fait longtemps que les chausseurs industriels s’écharpent sur les caractéristiques techniques de leurs produits pour tenter de conquérir de nouvelles parts de marché et se rapprocher au maximum de la botterie traditionnelle sans toutefois en être. Il était donc évident que le cousu trépointe allait à un moment ou un autre être projeté sur le devant de la scène. Avec la démocratisation des ressources en ligne sur le sujet n’importe quel blogs ou chaine youteube un peu naze a son avis sur la question, ce qui entraine un effet de caisse de résonance chez la clientèle, qui se découvre une nouvelle marotte pour distraire la vacuité de son existence. Et comme la majorité des gens sont un peu con (l’intelligence forme une courbe de Gauss, en Europe il y a beaucoup d’un peu con pour peu de très cons, mais plus pour longtemps) on se retrouve avec une hiérarchisation totalement artificielle des montages qui ne correspond pas à grand-chose, si ce n’est aux intérêts des influenceurs et de leurs maitres qui ont des stocks à écouler. C’est ainsi que le Blake se coltine une réputation de montage fragile et pas cher et le Goodyear une réputation de montage indestructible ressemelable éternellement. Quant au cousu trépointe c’est devenu le saint des saints, si vous avez une paire dans ce montage vous avez accumulé tous les points de l’internet, tous vos copains Discord sont jaloux, et vous êtes tellement populaire que vous êtes peut-être Huguette en chair et en botox. Et cela peu importe la façon dont est réellement effectué ce cousu trépointe. Forcément avec une telle hype, ce n’était qu’une question de temps avant qu’un escroc ne tente sa chance et c’est l’histoire de cette escroquerie que nous allons vous raconter.

La genèse

Pour narrer l’épopée Archibald London le plus simple est de commencer par présenter celui qui se trouve derrière cette énième start-up miraculeuse. Rhoan Dhir est un étudiant modèle ainsi que le parfait prototype du petit bourgeois citoyen du monde. Cet immigré Indien de nationalité Britannique fait sa scolarité au United World College of South East Asia de Singapour. Il y intègre le Davis United World College Scholars Program, un programme privé de bourse, qui lui permet de rejoindre ensuite la prestigieuse université de Columbia à New York. Enfin, prestigieuse, c’est vite dit. Les écoles Ivy League d’aujourd’hui sont essentiellement des pouponnières hors de prix destinées à faire les poches à une jeunesse privilégie. En échange ils reçoivent un label distinctif marquant leur appartenance à la caste des zélites cosmopolites, mais on va y revenir. Dhir sort de Columbia en 2011 avec un diplôme en...business. Cela ne vous aura pas surpris, dès qu’il y a un plan un peu foireux vous pouvez être certain qu’il y a un plouc d’école de commerce pas très loin. D’ailleurs il n’est pas le plus débile de sa promotion, et c’est probablement là l’un de ses plus grands accomplissements. Car figurez-vous que 2 autres étudiantes diplômée la même année ont lancé une start-up qui commercialise une huile pour… assouplir les poils pubiens. Le fameux prestige des écoles Ivy League… À titre personnel cela m’ennuierait un peu d’envoyer mes enfants dans une école à $100 000 l’année pour qu’ils en arrivent à vendre comme de vulgaires représentants de commerce des produits pour se lustrer le castor, enfin, ça pourrait toujours être pire. Comme envoyer sa gamine à Stanford pour qu’ensuite elle commercialise un truc “révolutionnaire” appelé… je sais pas moi… Théranos par exemple… mais ça n’est pas le sujet.

Rohan Dhir, businessman disruptif, membre caché des Gipsy Kings et plouc de compèt, comme en atteste l'ensemble t-shirt/costume. (Source: wework.com)
Rohan Dhir, businessman disruptif, membre caché des Gipsy Kings et plouc de compèt, comme en atteste l'ensemble t-shirt/costume. (Source: wework.com)

Toujours est-il qu’une fois son MBA en poche, comme tous les diplômés d’école de commerce, Rhoan n’a qu’une envie, celle d’être disruptif. Car cet hideux néologisme est le mot d’ordre de toutes les formations en business de ces 20 dernières années. Vous l’ignorez peut-être mais les écoles de commerce sont de véritables pépinières à punks, révolutionnaire et autres anarchistes de bac à sable. Ce qui est assez amusant quand on considère qu’en réalité le diplômé d’école de commerce est en général plutôt quelqu’un de petit bourgeois qui mange du quinoa et baisse les yeux dans le métro.… quand il n’a tout simplement pas abandonné ce mode de transport. Mais laissons-les vivre leur rêve pendant une minute et imaginons qu’ils soient ce qu’ils prétendent. Ils veulent tout casser, ils sont incontrôlables et ont des business plans trop bien pour faire des produits de “meilleure qualité à un prix plus restreint”. Ils n’ont qu’un objectif, faire peur aux modes de distributions traditionnels, mettre un gros coup de pied dans la fourmilière et proposer quelque chose de “différent”. Vous savez un peu comme Max Rudy Sfez Sauveur, qui fait genre il propose un truc tout nouveau sans intermédiaire, ultra révolutionnaire alors que derrière maman elle est propriétaire de Rudy’s. Rhoan il est tout pareil. Alors à sa sortie d’université et avec le financement de papa, il se lance dans leuh bizeuness. Il fait ses premières armes dans la création de sites internet. C’est un autre point commun à tous les ploucs d’écoles de commerce qui se lancent dans “l’économie digitale”, ce sont des pros de la tech. Souvenez-vous des petits génies derrière Lanieri qui font des costumes aux proportions totalement foireuses avec un “algorithme magique”. Le raisonnement derrière est assez simple, comme ces business en ligne n’ont pas de clientèle (an sens traditionnel du terme), leur seule raison d’exister est d’être le premier résultat sur la première page de recherche Google et d’avoir un site cossu. C’est l’équivalent 2.0 d’avoir une boutique sur les champs Élysées, peu importe ce que vous vendez, vous êtes certain que quelqu’un va pousser la porte à un moment ou à un autre. Assez rapidement Rhoan va ensuite se lancer, toujours avec l’argent de papa, dans son premier véritable business Archibald Optics. Qui sans surprise est une entreprise de…. private labelling. C’est un autre apprentissage de la formation d’école de commerce, faire des lignes de codes avec une main dans le slip, pendant que des gens dans une usine quelque part dans le monde fabriquent “vos” produits.

Columbia University présente fièrement une start-up disruptive: Archibald Optics. (Source: Columbia University)
Columbia University présente fièrement une start-up disruptive: Archibald Optics. (Source: Columbia University)

Archibald Optics

Archibald Optics est le résultat d’un long voyage initiatique effectué par Rohan. Ce dernier est mû par l’ardent désir de libérer les masses des diktats du luxe en permettant à la plèbe d’accéder à des lunettes haut de gamme pour un prix moindre. Pour cela il se lance à la recherche d’une usine et se dirige vers l’Italie, qui dans son esprit étriqué doit être une sorte de symbole du luxe. À son horreur il découvre que les grandes marques Italienne font produire en Chine et vendent une fortune un produit de mauvaise qualité qui coûte trois fois rien à fabriquer. Déçu et toujours sans usine Rohan est totalement désœuvré, c’est alors qu’il rencontre dans un bar gay à la mode, un certain Archibald, qui lui fait part des merveilles insoupçonnées dont regorge le pays du soleil levant. Il lui parle d’artisans ermites qui utilisent des méthodes secrètes “like 100 years ago™” et qui tels des alchimistes maitrisent l’art du shokushu gōkan soit littéralement “fabrication de la lunette à la main sans l’aide de machines”.
Troublé par ces révélations Rohan prend son petit sac à dos direction le Japon, et part gravir le mont Norikura, au sommet duquel maitre Takagi Kasamoto forge à main nue, et uniquement par les nuits de pleine lune des lunettes en écailles de licorne. Rohan supplie Takagi-san de bien vouloir lui fabriquer des lunettes trop bien directement sans intermédiaire, pour qu’il puisse ensuite les revendre sur son site internet à un prix tellement disruptif que même Soros il va trembler. Takagi-san hésite mais voyant que son carnet de commande n’est pas trop chargé et que de toute façon il n’a que ça à faire de ses journées, il accepte.

À son retour Rohan s’empresse d’enregistrer la marque Archibald Optics via une entreprise fondée à Singapour en 2012 car on a beau être révolutionnaire, on fait tout comme les grands dès qu’il s’agit d’optimisation fiscale. Et bien évidemment il s’empresse également de contacter toutes les journalopes du monde entier pour raconter sa formidable aventure spirituelle, et c’est ainsi que l’internet se couvre d’articles dithyrambiques sur sa nouvelle marque, sans qu’aucune transaction financière n’ait eu lieu, bien évidemment. Vous allez vous dire que ça y est, j’ai complètement débloqué et que je babille. Mais non, je vous assure que, licence poétique mis à part, c’est véritablement plus ou moins l’histoire qui est mise en place, à savoir que le mec en fait des tonnes alors qu’il a juste passé un contrat de private labelling avec une usine au Japon.

Archibald Optics a une domiciliation intéressante... c'est pas mal ça, Singapour. (Source: INPI)
Archibald Optics a une domiciliation intéressante... c'est pas mal ça, Singapour. (Source: INPI)
Forbes approuve. Notez au passage que ma version de l'histoire ne diffère pas beaucoup de la leur. Cet article n'est bien évidemment pas du tout rémunéré, c'est du véritable journalisme total, pas de la promotion déguisée. (Source: Forbes)
Forbes approuve. Notez au passage que ma version de l'histoire ne diffère pas beaucoup de la leur. Cet article n'est bien évidemment pas du tout rémunéré, c'est du véritable journalisme total, pas de la promotion déguisée. (Source: Forbes)
Même son de cloche chez le Wall Street Journal. (Source: Wall Street Journal)
Même son de cloche chez le Wall Street Journal. (Source: Wall Street Journal)

Mais là n’est pas le problème. Car autant être honnête avec vous, je m’en tamponne les amygdales des lunettes Archibald optics. Peut-être que ces lunettes sont très bien, peut-être même que c’était une bonne affaire mais cela n’a aucune importance, je ne raconte cela que pour planter le décor. En tout cas, pour Rhoan ça a été une excellente affaire car il va vouloir décliner son concept, après n’avoir fait que de la lunette de 2012 à 2016 il commence à développer une nouvelle offre et Archibald optics va se muer en Archibald London. Le concept est le même, mais plutôt que de se limiter aux bézigues, il va être appliqué à littéralement n’importe quel objet dont la connotation est vaguement luxueuse. Les mailles, les couteaux de cuisine, les vestes en cuir, la maroquinerie, les jeans selvedge, les casseroles, les chaussures…. Tout y passe, mais c’est plus spécialement avec les chaussures que ça va devenir sacrément rigolo.

Les casseroles de "luxe" Archibald. Un signe du destin? (Source: Archibald London)
Les casseroles de "luxe" Archibald. Un signe du destin? (Source: Archibald London)

Pour ma part je découvre la marque en Aout 2019 quand elle rejoint l’incubateur à arnaque qu’est le programme de vendeur affilié de Styleforum. Souvenez-vous que quelques années auparavant c’est également par là que le grand Gianni Ponzi Cerruti avait pris son envol, avant qu’il ne fasse mauvaise impression auprès de ses clients. Un jour il faudra probablement que l’on traite de la décharge à ciel ouvert qu’est Styleforum et sur le nombre sensationnel d’arnaques auquel ce site a activement participé. La plus drôle d’entre elle est une histoire sordide de vestes en cuir et de poulet frit mais chaque chose en son temps. Je disais donc qu’en Aout 2019 je découvre Archibald London et surtout j’apprends qu’ils proposent des chaussures en cousu trépointe aux alentours de 450€. Je découvre également que sous certaines conditions ces même chaussures sont accessibles à 290€ via un programme spécial appelé “naked”, au moins la volonté de mettre le client à poil est annoncée.

Naked

Avant de parler plus en détails des chaussures qui vont être le cœur de cet article, il faut ouvrir une parenthèse sur “naked” car cela aide à la compréhension du cancer mental qu’est Archibald London. Naked c’est une idée débile comme seule un plouc d’école de commerce du 21ème siècle peut en avoir. Le principe est simple, la marque prétend y vendre à prix coutant pour une durée limitée, les produits qu’elle fait fabriquer par ses fournisseurs, ils troquent de la rentabilité pour de la visibilité. C’est tellement une boite de pandore qu’il faudrait presque lui consacrer un article entier. Par où commencer ? Tout d’abord J’insiste sur le “prétend” car bien évidemment à aucun moment vous n’avez la preuve que la marque ne fait pas de marge. Ils disent vendre à prix coutant, mais vous devez bien évidemment les croire sur parole. Certes 290€ pour des chaussures en cousu trépointe est peu mais ce n’est pas inédit. Meermin et sa gamme Maestro est passé par là. Et même plus récemment on a déjà vu des Vass soldées à ce prix voire même moins quand ils étaient dans le creux de la vague. Toujours est-il qu’il est certain qu’à 290€ les chaussures d’Archibald London ne sont pas à prix coutant contrairement à ce qu’ils racontent.

Par ailleurs ce concept est révélateur d’un problème bien plus profond avec Archibald London, ils vivent littéralement dans une hyper-réalité, au sens de Baudrillard ou d’Eco, les mecs s’y croient et cela se confirmera plus tard. C’est d’ailleurs plus ou moins le cas de toute les marques 2.0 qui se disent “disruptives” etc etc qui en réalité ne “disrupte” rien du tout. Ce que ces marques 2.0 font c’est offrir un produit moins cher et souvent moins bien que les marques de luxe “traditionnelle” dans le but de faire croire aux classes moyennes, les vaches à lait du 21ème siècle, qu’ils font une super affaire.

Pour les marques de luxe ces zozos d’école de commerce ne sont pas plus qu’une chiure de mouche sur une carte d’état-major. Elles ne sont pas sur le même créneau, la clientèle d’Hermès ou des véritables artisans du luxe (je ne parle pas du type qui économise pendant des années pour se faire un cadeau de Noël) n’est pas spécialement intéressée par ces inepties 2.0. Ils veulent une identité forte ou de l’exclusivité, pas une fiche technique ennuyeuse. Non seulement mettre en avant un produit en disant ne pas faire de marge est la négation même de ce qu’est le commerce, mais cela vous met directement dans la catégorie des morts de faim. Vous devenez le Lidl du luxe, votre créneau c’est le hard discount pour bobo urbains. Vous vous adressez aux gens en quêtes “d’affaires” par définition ceux qui n’ont pas suffisamment de “disposable income” pour acheter du luxe régulièrement. Et surtout vous niez explicitement que votre service ait la moindre valeur, vous dites à demi-mot ne pas valoir l’air que vous respirez, ce qui dans le cas de Rohan Dhir est un fait. Alors évidemment, derrière l’argument d’Archibald London c’est qu’ils sont tellement fiers de leur produit qu’ils n’ont pas peur de le vendre à perte pour essayer d’accrocher les gens. Ça n’a absolument aucun sens, mais c’est une citation directe de la marque à propos de son programme “naked” : “We knew the product was our unique selling point, so we stripped everything back, sold it at cost, with zero profits or margins to make it easier to try.” Je vous laisse réfléchir une minute là-dessus, “We knew the product was our unique selling point”. C’est une lapalissade, oui Rohan, c’est bien tu as tout compris… une entreprise vend soit des biens soit des services, dans ces conditions évidemment que ton produit c’est ton plus gros argument commercial. Je le rappelle au cas où, 100 000$ par an à Columbia pour en arriver là…. Les types sont tellement meta qu’ils pensent réellement réinventer l’économie.

Vous n'êtes pas un vrai private label tant que vous n'avez pas posté un tableau explicatif (comprendre par là, mensonger) de vos marges par rapport à celles des "marques de luxe". Ce gag est tellement récurent qu'il s'agit presque d'un meme dans le milieu. (Source: Archibald London)
Vous n'êtes pas un vrai private label tant que vous n'avez pas posté un tableau explicatif (comprendre par là, mensonger) de vos marges par rapport à celles des "marques de luxe". Ce gag est tellement récurent qu'il s'agit presque d'un meme dans le milieu. (Source: Archibald London)

D’ailleurs si cela vous amuse, vous pouvez aller jeter un œil sur la partie journal du site d’Archibald London. Cela vous donnera une idée de l’hyper réalité dans laquelle ils vivent. Ils y parlent de “naked”, mais pas seulement, c’est une sorte de matrice où ils expliquent leur monde parallèle et c’est très enrichissant. Archibald London explique par exemple que durant le covid ils ont relancé Naked (qui avait été fermé entre temps), cette fois non pas pour racoler des clients potentiels, mais pour “soutenir leurs artisans”. C’est là encore une citation. Le problème c’est qu’Archibald London n’ont aucun artisan, leur entreprise est littéralement composée d’une poignée d’adulescents dont le siège social est enregistré au domicile de papa maman. Leurs seules (in)compétences se limitent au marketing et au business, ils ne fabriquent rien et ce qu’ils appellent leurs artisans ce sont bien évidemment des usines. Et ces usines non seulement fabriquent des produits mais elles ont bien souvent leur propre marque, elles ne sont pas dépendantes des parasites comme Archibald. Que ces derniers soient une source de revenus est un fait, mais elles n’ont pas besoin d’Archibald pour les “protéger” car elles sont productrices de valeur, elles détiennent les moyens de productions. Au contraire d’Archibald qui ne font que gonfler artificiellement la valeur desdits produits depuis leur ordinateur par la magie du marketing. C’est l’éternel combat de la bêche et de l’épée contre l’usurier. On pourrait multiplier les exemples à l’infini, dans leur journal Archibald parlent d’absolument tous les sujets en vogue du moment leuh racismeuh, leuh environneeuhment, leuh fast fashion, leuh tiers mondeuh. Ils se paient même le luxe de critiquer les travers du marketing, alors que le leur sent le putois à des millions de kilomètres à la ronde. Bref, si vous avez envie d’entrer dans leur monde parallèle, faites-vous plaisir. Ils tentent même de justifier vendre un t-shirt de “saville row” à $110… C’est Sale Gueule et Macadam qui vont être jaloux.

La nef des fous par Rohan Dhir. Pixel sur verre. (Source: Archibald London)
La nef des fous par Rohan Dhir. Pixel sur verre. (Source: Archibald London)

Les chaussures "Goodyear a mano"

Mais tout cela est assez anecdotique, car il y a bien mieux. Il va rapidement apparaître que la marque n’a absolument aucune idée de ce qu’elle vend. Avant de rejoindre Styleforum en Aout 2019 la marque s’était déjà illustrée d’une façon assez peu glorieuse. Depuis leurs débuts Archibald London vendent des chaussures dites “Goodyear a mano” (littérairement Goodyear à la main). Si vous avez lu notre article “qu’est-ce qu’un soulier de qualité” vous savez immédiatement qu’une telle chose n’existe pas, mais c’est de cette façon que la marque présente ses chaussures, notamment via des publicités sur Facebook. Il ne faut pas longtemps pour que quelqu’un voit leur publicité et dise à la marque que du Goodyear fait main c’est un oxymore. D’ailleurs oxymore se traduit en Anglais par oxymoron, et moron veut dire crétin, un signe du destin sans doute. Bien évidemment la marque prend la mouche car ils savent forcément mieux que tout le monde, ce sont des experts en expertise. Après tout, c’est comme cela que leur usine appelle cette méthode de fabrication. Mais tout de même, ils ont un doute. Alors ils vont googler, wikipédier, ils vont même aller jusqu’à contacter la concurrence (si, si), parce que quitte à être bourreur autant l’être pleinement. Finalement, la marque est bien obligée d’admettre qu’effectivement, leur contradicteur avait raison. En effet, le cousu Goodyear est forcément effectué à la machine Goodyear, et sa contrepartie effectuée à la main s’appelle un cousu trépointe. Cependant il arrive de temps en temps que certaines marques (bien souvent Italiennes) parlent de “goodyear fait main”. Parfois c’est pour décrire un cousu trépointe, parfois c’est pour décrire un cousu Goodyear. Pour rendre le tout encore plus confus, il est possible d’effectuer un montage à la fois à la main et à la machine, à savoir que vous pouvez très bien faire la couture de la trépointe à la main et faire la couture petit point à la machine. Archibald ne savent littéralement absolument rien de tout cela, et ont juste recraché ce que leur a dit l’usine avec laquelle ils font du biz, et il se trouve que leur usine Italienne appellent leur cousu trépointe “Goodyear a mano”. De fait ils se retrouvent dans une position peu enviable, celle de devoir admettre publiquement que ce sont des gros tocards. Ils vont se fendre d’un article sur leur journal et sur Medium que vous pouvez lire ici, dans lequel ils expliquent à demi-mot que ce sont des branleurs mais que ce n’est pas grave parce qu’ils font des pompes trop spéciales que même Olga Squeri elle est trop jalouse. On pourrait penser que la moindre des choses à faire quand on cherche à vendre un produit c’est de savoir de quoi on parle, mais ça c’était avant.

Les fameuses chaussures "Goodyear a mano”. (Source: Archibald London)
Les fameuses chaussures "Goodyear a mano”. (Source: Archibald London)

Archibald London va ensuite lancer plusieurs commandes MTO de groupe durant laquelle elle fait intervenir les membres de Styleforum pour divers aspects de la conception. Car Archibald fait partie de ces marques modernes qui font remplir des questionnaires à leurs clients afin de leur donner l’impression qu’ils “participent” à la création du produit, qu’au fond est tous potes et qu’on va trop bien s’entendre. Alors qu’en fait c’est juste du bourrage pour économiser de la thune, c’est une façon ludique de faire travailler votre client potentiel tout en prenant son argent. Ils sortent ainsi des sneakers (quelle surprise, quelle rébellion) et s’attaquent ensuite à faire un Richelieu “wholecut ” (qui n’en est pas un) sobrement nommé “HW01” Comme son nom l’indique il s’agit du premier modèle ou la marque va intégralement axer sa communication sur le fait qu’il s’agit d’un cousu trépointe. Le Richelieu sera proposé à “prix coutant” pendant 14 jours aux valeureux remplisseurs de questionnaires et Styleforum touchera $10 sur chaque paire vendue. Il n’y a pas de petit profit.

Lancement du modèle HW01. Notez que si le prix final est moins cher que celui de la précommande, on vous rembourse la différence. En ARCHIBALD CREDIT. Alors, vous êtes pas excités les cons?  (Source: styleforum)
Lancement du modèle HW01. Notez que si le prix final est moins cher que celui de la précommande, on vous rembourse la différence. En ARCHIBALD CREDIT. Alors, vous êtes pas excités les cons? (Source: styleforum)

En attendant que leur nouveau modèle HW01 soit prêt, la petite équipe d’Archibald continue de passer son temps à communiquer sur Styleforum. Elle en profite pour entretenir un superbe cirque virtuel de débiles avec comme attraction principale un duel d’handicapés entre Rohan et Jesper de Shoegazing. Jesper ayant eu la malheureuse idée d’écrire un article mentionnant l’existence d’Archibald London et émettant quelques doutes quant à la qualité des cuirs, cela sans avoir vu les chaussures. Ce qui déclenchera immédiatement l’ire de Rohan “muh my shoes are da best in da world” Dhir. Car bien évidemment pour Archibald London il ne fait aucun doute qu’ils ont entre les mains un produit tout à fait spécial. Rohan est livide qu’on puisse faire des suppositions basées uniquement sur le prix du produit…. Le fait qu’il s’emporte sur un comportement parfaitement normal qu’aura n’importe quel client potentiel est peut-être le signe que l’assiduité de Rohan à ses cours d’école de commerce n’était pas optimale, mais passons. Car de toute façon il se gausse de Jesper l’incrédule, Rohan sait que son produit “il est le meilleur qu’il est trop bien”. Pour preuve Archibald utilise un cuir exceptionnel sourcé directement dans un lot réservé aux modèles customs de Lobb, Green, G&G. Rien que ça. Bien évidemment, il n’en est rien mais c’est bien ce que la marque soutient. D’ailleurs Rohan s’y connaît en pompes, il a acheté pour 30 000$ de chaussures chez Mr Porter. (Avant de les renvoyer, il est pas pété de thune à ce point).

Batailles d'infirmes entre Jesper et Rohan Dhir. Il est amusant de voir Dhir invoquer l'article dont il a bénéficié dans le Wall Street Journal. Article qu'il n'a bien évidemment pas du tout rémunéré. Et qui a été écrit par de "véritables journalistes".(Source: Styleforum)
Batailles d'infirmes entre Jesper et Rohan Dhir. Il est amusant de voir Dhir invoquer l'article dont il a bénéficié dans le Wall Street Journal. Article qu'il n'a bien évidemment pas du tout rémunéré. Et qui a été écrit par de "véritables journalistes".(Source: Styleforum)
Dhir aime rappeler qu'il a dépensé plus de 30k£ en chaussures chez Mr Porter. (Source: Styleforum)
Dhir aime rappeler qu'il a dépensé plus de 30k£ en chaussures chez Mr Porter. (Source: Styleforum)
Il se prend également la tête avec ses clients. Tout en leur rappelant encore et toujours qu'il a dépensé plus de 30k£ chez Mr Porter, et que par conséquent, il s'y connaît. (Source: Styleforum)
Il se prend également la tête avec ses clients. Tout en leur rappelant encore et toujours qu'il a dépensé plus de 30k£ chez Mr Porter, et que par conséquent, il s'y connaît. (Source: Styleforum)

Cela lui donne donc une bonne idée de ce que propose la concurrence. Du reste c’est une bonne occasion pour parler des “caractéristiques techniques” des chaussures d’Archibald. Il est bon de rappeler que les business 2.0 insistent lourdement sur les caractéristiques techniques, sans comprendre fondamentalement ce qu’elles veulent dires. Autrement dit, ils balancent des chiffres ou des noms en se disant que plus le chiffre est gros et plus le nom est connu meilleur est le produit. C’est ainsi qu’ils prétendent que leur chaussure “cousu trépointe” peuvent être ressemelées jusqu’à 12 fois. Oui mesdames et messieurs, 12 fois. Imaginez cela mais avec dit la voix de Pierre Bellemare (père ou fils) façon téléachat. Avec ce genre d’affirmation Rohan montre immédiatement son statut d’imposteur. Il n’a aucune idée de ce qu’est un ressemelage, ni de la façon dont il est effectué par n’importe quel cordonnier lambda. Dire que vous pouvez faire ressemeler vos chaussures 12 fois c’est comme dire que vous pouvez faire 12 rhinoplasties dans votre vie. C’est théoriquement possible, mais à la fin vous ressemblez à Michael Jackson. Il en sera de même pour vos chaussures, et elles vous le feront payer très cher. Chaque nuit de pleine lune, dans leur placard elles se mettront à crier “Beat it, beeeeeeaaaat it, no one wants to be defeated”. Quant à la forme utilisée pour monter les chaussures, Archibald disent en utiliser une qui est adaptée aux pieds étroits, comme aux pieds larges. D’ailleurs, d’après la marque, une forme similaire serait utilisée par Cleverley, G&G et Berluti… Est-il vraiment nécessaire d’expliquer en quoi cette affirmation est une vaste fumisterie ? De plus chez Archibald on a un peu de mal à se souvenir des mensonges que l’on professe, vous vous souvenez du cuir magique qu’ils sourcent dans un lot réservé aux modèles customs de Lobb, Green ou G&G…. ils disent ensuite qu’il vient de chez Conceria Valdarno, une tannerie qui n’est justement pas utilisée par les marques précitées…. Maintenant que nous avons clairement établi que les chaussures d’Archibald sont très haut de gamme, il est temps de révéler ce à quoi ressemble leur futur modèle HW01…

Le nouveau modèle HW01, celui qui sera à l'origine du scandale. (Source: Archibald London)
Le nouveau modèle HW01, celui qui sera à l'origine du scandale. (Source: Archibald London)

Voici donc la fameuse chaussure vendue pratiquement 500$ qui devrait couter beaucoup plus et dont toutes les marques de luxe sont jalouses. Ne vous laissez pas berner par l’apparence plutôt médiocre de ces pompes, les clients d’Archibald sont ravis de ce qu’on leur propose. Ça n’est en soit pas une grande surprise, le précédent modèle de la marque (un Richelieu à bout droit) avait déjà reçus des louanges. Il y avait par exemple la review de “The Kavalier” une chaine de débiles sur Youtube spécialisée dans les “unbiased review” sponsorisée qui dépasse en nullité celle de nos Laurel et Hardy de la lose. D’après eux le constat est sans appel, le cuir est magnifique, la qualité est phénoménale. Il y a également la review d’un client Français qui s’y connaît, un champion celui-là, l’archétype du singe savant, que l’on a ici l’habitude d’appeler “le demi savant”. C’est le genre de client qui à force de voir des trucs sur les zinternets sait reconnaître une lisse ronde ou quelques détails ici et là, mais qui est invariablement incapable de savoir ce qu’il a entre les mains. Il y a aura également un autre client qui se ridiculisera avec une review totalement dithyrambique, mais l’on reviendra là-dessus, malheureusement pour lui son timing sera assez mauvais. Et puis il serait dommage de ne pas mentionner la rewiew de followsuit, un blog qui semble avoir disparu (on se demande bien pourquoi) qui est tellement aux fraises qu’il serait dommage de la manquer (Allez la voir après avoir lu cet article en entier, pour l’effet kiss cool).

"The leather quality is amazin'!" Qu'il dit. (Source: Youtube)
"The leather quality is amazin'!" Qu'il dit. (Source: Youtube)

En réalité les affaires du quotidien ne sont pas aussi brillantes que cela chez Archibald, car il y a des soucis. Ils ont notamment un problème avec leur cuir crust tellement luxueux que sa teinture ne tient pas en place. En soit ce n’est pas quelque chose d’unique, des marques bien plus prestigieuses se sont retrouvées dans une situation similaire mais tout de même ça fait désordre. Mais les problèmes ne s’arrêtent pas là. Il y a également des délais interminables, des colis qui se perdent, des chaussures envoyées à la mauvaise taille mais après tout, nous sommes à cette époque en pleine folie sanitaire, et beaucoup de marques sont face à des difficultés logistiques, Archibald n’est donc pas une exception. Vous devez vous dire “j’espère que ce con ne nous dérange pas pour si peu”. Car après tout jusque-là nous n’avons rien de bien excitant, on a affaire à une marque en private label dans le milieu de gamme qui essaye de se faire passer pour luxueuse avec un dirigeant un peu taré qui est totalement mégalo. C’est tellement banal qu’on pourrait se tromper de marque et penser qu’on a parlé de celles du vieux Fernandez. Ce genre de marques sont légion, vous en avez à chaque numéro de Point*re, D*ndy etc etc et je ne vais pas perdre mon temps à écrire un article pour si peu, en général je fais un tarif de groupe. Non, rassurez-vous, il y a bien un twist à cette histoire, comme avec Gianni. Et comme avec Gianni le pot aux roses va être découvert de façon fortuite.

La teinture qui se barre, ça fait désordre pour une marque de "luxe". Notez également la lisse qui est bien laide. (Source: Styleforum)
La teinture qui se barre, ça fait désordre pour une marque de "luxe". Notez également la lisse qui est bien laide. (Source: Styleforum)
Globalement voilà ce à quoi vous pouvez vous attendre avec Archibald London. La marque qui fait trembler Lobb, Green et toute la clique. (Source: Styleforum)
Globalement voilà ce à quoi vous pouvez vous attendre avec Archibald London. La marque qui fait trembler Lobb, Green et toute la clique. (Source: Styleforum)

Le scandale éclate

Il se trouve qu’un client de la marque un peu plus dégourdi que les autres avait acheté une paire avec pour objectif d’en faire une review. Seulement durant le processus, il s’est aperçu que quelque chose ne “collait pas”. Si vous voyez ce que je veux dire. Il décide alors de démonter la chaussure et à sa grande surprise le modèle HW01 en cousu trépointe le meilleur du monde qu’il est trop bien… s’avère ne pas être un cousu trépointe. Ça n’est même pas un cousu Goodyear, ou Blake, ou rien du tout… la chaussure est collée. Le phénomène du siècle, l’avant-garde de la chaussure du futur, la perle diplômée de Columbia vend des pompes au montage soudé tout ce qu’il y a de plus bête, avec une fausse trépointe pour la décoration. L’enculade était totale. Forcément du côté d’Archibald on joue l’incrédulité, on feint l’ignorance et surtout on passe immédiatement en “damage control” pour éviter que la situation ne dérape encore plus. Mais alors, que s’est-il passé ?

L'intérieur de la chaussure est collé. Il n'y a pas de mur de montage, à la place vous avez du tissu et beaucoup de colle. (Source: Styleforum)
L'intérieur de la chaussure est collé. Il n'y a pas de mur de montage, à la place vous avez du tissu et beaucoup de colle. (Source: Styleforum)
Dans un effort pour se dédouaner la marque envoie à la même personne un prototype pour démontage. Il s'agit bien d'un cousu trépointe, mais cela ne prouve rien, puisqu'il ne s'agit pas d'un modèle destiné à la clientèle. (Source: Styleforum)
Dans un effort pour se dédouaner la marque envoie à la même personne un prototype pour démontage. Il s'agit bien d'un cousu trépointe, mais cela ne prouve rien, puisqu'il ne s'agit pas d'un modèle destiné à la clientèle. (Source: Styleforum)
Remarquez l'absence de marques d’alêne sur la première de montage de ces 3 paires. Ces paires sont collées. La photo de gauche a été postée avant que le scandale n'éclate. Étonnamment aucun des experts de Styleforum n'a moufté à l'époque, ignorant certainement qu'il était possible de reconnaître le montage d'une chaussure en regardant dedans. (Source: Styleforum)
Remarquez l'absence de marques d’alêne sur la première de montage de ces 3 paires. Ces paires sont collées. La photo de gauche a été postée avant que le scandale n'éclate. Étonnamment aucun des experts de Styleforum n'a moufté à l'époque, ignorant certainement qu'il était possible de reconnaître le montage d'une chaussure en regardant dedans. (Source: Styleforum)
Un autre exemple qui aurait dû alerter les singes savants des interwebs. Il s'agit d'un ancien modèle de la marque. La couture petit point saute un trou (flèche rouge) ce qui indique bien souvent une fausse trépointe. (Source: Reddit)
Un autre exemple qui aurait dû alerter les singes savants des interwebs. Il s'agit d'un ancien modèle de la marque. La couture petit point saute un trou (flèche rouge) ce qui indique bien souvent une fausse trépointe. (Source: Reddit)

La version officielle de la marque est trouvable ici, mais pour résumer d’après Archibald, l’usine en charge de la fabrication aurait décidé de passer du cousu trépointe à une méthode de fabrication qu’elle utilise depuis des années pour d'autres marques de luxe italiennes et qui, selon lui, rend la chaussure plus confortable. Tout cela sans prévenir Archibald. Vous noterez que dans leur pitoyable annonce, Archibald se gardent bien de mentionner que le montage en question était collé. Il se trouve que plusieurs modèles sont concernés, c’est ainsi le cas du Richelieu à bout droit de la marque. Celui qui avait fait l’objet de tant de reviews favorables. C’est d’ailleurs ce modèle qui a inspiré cette review, postée seulement un mois avant le scandale et dont l’auteur sera moqué, à juste titre. D’après Archibald environ 20 % des chaussures produites par la marque serait concerné. En réalité nous n’en savons rien. Personne n’a jamais su, il n’y a jamais eu la moindre confirmation à ce sujet. Mais énormément de clients ont été contactés pour qu’ils renvoient leurs chaussures. Styleforum de leur côté ont l’habitude de gérer ce genre de scandales et ils se content de faire passer ça pour “un problème de précommande”. Leur seule action sera de créer un sujet spécial sur leur forum pour permettre à la marque de s’organiser.

La pleurniche de Rohan Dhir une fois que l'affaire éclate. Dès les premières lignes notre champion ne déçoit pas, il compare toujours ses chaussures à Edward Green. (Source: Styleforum)
La pleurniche de Rohan Dhir une fois que l'affaire éclate. Dès les premières lignes notre champion ne déçoit pas, il compare toujours ses chaussures à Edward Green. (Source: Styleforum)

Maintenant une question se pose. Est-ce qu’Archibald était responsable de l’arnaque ou la marque a-t-elle été trompée par son usine ? Dans le fond, cela ne fait absolument aucune différence car cela reste une arnaque absolue. Aussi incroyable que cela puisse paraître, il est possible qu’Archibald se soit fait entuber par sa propre usine. Car ni Rohan ni personne dans son équipe n’a la moindre idée de ce qu’est une chaussure en cuir. Rohan dit par exemple avoir été trompé sur « des détails invisibles ». Il n’en est rien. Il y a un certain nombre d’indices qui permettent de savoir si une chaussure est collée ou non. Les fausses trépointes sont repérables, et surtout dans le cas du cousu trépointe l’alêne du bottier laisse une empreinte caractéristique sur la première de montage (qui dans le cas d’Archibald servait également comme première de propreté), empreinte visible en regardant dans la chaussure. Mais rappelez-vous que nous parlons de quelqu’un qui ne connaît absolument rien au domaine dans lequel il travaille. Il a démontré une crasse ignorance tout au long de ses communications. De son aveu il ne sait pas ce qu’est le « lasting » (la mise sur forme) d’une chaussure. On parle de quelqu’un qui commandait régulièrement pour 30k$ de chaussures sur Mr Porter pour les “examiner” et les renvoyer, de Berluti et de Lobb il disait “ I have those pairs come in constantly from Mr Porter for regular scoping the competition and we are trouncing them.”. Mieux encore, il dit ne pas savoir ce que sont des “speed hook”, ces petits crochets métalliques qui sont présents sur les bottines afin de faciliter le laçage, et très franchement je passe sous silence beaucoup d’autres de ses aberrations. Bref, c’est un débile complet.

Petit florilège des inepties de Rohan Dhir, rien n'est inventé, toutes ces interventions sont trouvables sur Styleforum.

Il ne sait pas ce qu'est le lasting (formage), les speed hooks, et prétend détenir une forme magique qui convient à tous les types de pieds....admirez le discret name dropping impliquant Cleverley. (Source: Styleforum)
Il ne sait pas ce qu'est le lasting (formage), les speed hooks, et prétend détenir une forme magique qui convient à tous les types de pieds....admirez le discret name dropping impliquant Cleverley. (Source: Styleforum)

En ce qui concerne les cuirs utilisés par la marque ça n'est pas beaucoup mieux.

On passe du meilleur lot de cuir au monde, utilisé par Lobb, Green, G&G pour leur bespoke.... (Source: Styleforum)
On passe du meilleur lot de cuir au monde, utilisé par Lobb, Green, G&G pour leur bespoke.... (Source: Styleforum)
... à une tannerie Italienne sans réputation particulière. Pour le cordovan Archibald ne connaissent qu'Horween mais ça n'est pas surprenant. (Source: Styleforum)
... à une tannerie Italienne sans réputation particulière. Pour le cordovan Archibald ne connaissent qu'Horween mais ça n'est pas surprenant. (Source: Styleforum)
D'ailleurs certains clients sont inquiets des plis formés par leur cuir EXCEPTIONNEL. (Source: Styleforum)
D'ailleurs certains clients sont inquiets des plis formés par leur cuir EXCEPTIONNEL. (Source: Styleforum)
Mais tout va bien, car c'est parfaitement normal, c'est une caractéristique de leur super cuir bespoke haut de gamme. (Source: Styleforum)
Mais tout va bien, car c'est parfaitement normal, c'est une caractéristique de leur super cuir bespoke haut de gamme. (Source: Styleforum)

En ce qui concerne bout dur, la marque prétend utiliser du cuir...

Des bouts durs en cuir vous dites? (Source: Styleforum)
Des bouts durs en cuir vous dites? (Source: Styleforum)
Leur prototype utilise du celastic. Est-ce que le modèle final est différent? (Source: Styleforum)
Leur prototype utilise du celastic. Est-ce que le modèle final est différent? (Source: Styleforum)
Il n'en est rien. En réalité il apparaît que certains modèles de la marque n'utilisent même pas de bout dur. (Source: Styleforum).
Il n'en est rien. En réalité il apparaît que certains modèles de la marque n'utilisent même pas de bout dur. (Source: Styleforum).

Cela étant dit, il reste l’autre possibilité, celle qui rend Archibald coupable d’avoir volontairement changé la méthode de fabrication de leur chaussure. Cela afin d’empocher beaucoup d’argent en se disant que ça passerait inaperçu. C’est à vous de vous faire votre propre opinion, il n’y a pas d’élément qui permette de trancher de manière définitive dans un sens ou dans l’autre, même si à mon avis la réponse est évidente. Certains faits sont troublants, par exemple Rohan n’en est pas à son premier mensonge, et cela au-delà de toute la communication mensongère, erronée, de toutes les affirmations péremptoires, des comparaisons fallacieuses avec la concurrence. Il dit entre autres qu’Adriano, le propriétaire de l’usine avec laquelle il travaille est un associé de la société Archibald London. Il n’en est rien, les seuls associés compris dans la société sont Rohan Dhirt, son père, et deux autres adulescents qui se présentaient comme Chief Technology Officer et Business Development Manager d’Archibald. Une fois qu’il est apparu que les chaussures d’Archibald étaient collées, Rohan a annoncé à plusieurs reprises avoir entamé des actions en justice en Italie, et avait indiqué qu’il allait tenir “sa fidèle communauté” de Styleforum au courant, il allait même publier la plainte et tout le reste. Cela n’a bien évidemment jamais été fait. De mon côté j’ai épluché au mieux de mes capacités les annonces et la jurisprudence judiciaire Italienne et je n’ai rien trouvé, je reconnais en revanche avoir une maitrise limitée du langage. Il est également étonnant que l’intégralité du stock de chaussures en cuir de la marque ait été retiré de la vente et se soit envolé, plutôt que d’essayer de faire le tri entre les modèles collés et les modèles au cousu trépointe. Il est parfaitement possible que Rohan ignorait qu’il fut possible de faire la différence entre une chaussure cousue et une chaussure collée et qu’il ait donc donné son aval pour que l’usine change la méthode de fabrication. L’usine et lui-même sont suspects car il est évident que cela aurait bénéficié aux deux parties, le prix de fabrication d’une chaussure collée étant très significativement inférieur à celui d’une chaussure au cousu trépointe, les gains financiers auraient été énormes. Et puis il y a des détails qui sont tout simplement amusants. Comme le fait que Rohan se soit fait plusieurs faux comptes sur Styleforum, et ce afin de publier sur son propre fil affilié. Ces comptes étaient utilisés dans le but de discréditer les détracteurs de la marque, et bien évidement n’étaient pas avares en compliments à son encontre. L’administration de Styleforum s’est contentée de supprimer les comptes une fois qu’ils ont été grillés par les utilisateurs du forum en se refusant d’identifier publiquement qui en était le propriétaire mais tout le monde avait déjà compris de quoi il s’agissait. Le fait est que toutes ces pratiques permettent de jeter un œil nouveau au reste des produits proposés par Archibald. Il y a notamment cette écharpe en vigogne vendue 2800$ “de meilleure qualité que Loro Piana” qui était suspecte car personne n’a jamais été en mesure de confirmer s’il s’agissait bien de vigogne…. Il y a eu par ailleurs des gants, qui étaient également suspects car vendus à un prix “naked” très largement supérieur aux gants vendus directement par l’usine sous son propre nom.

Où l'on apprend que l'usine Alessandro Cappi serait également associée dans la société Archibald London. Il n'en est rien. (Source: Styleforum)
Où l'on apprend que l'usine Alessandro Cappi serait également associée dans la société Archibald London. Il n'en est rien. (Source: Styleforum)
Les 2 seuls (ex) associés de Rohan Dhir qui sont listés dans la société. Malgré les noms Italiens, ils n'ont rien à voir avec l'usine chargée de la fabrication des chaussures. Vous pouvez trouver leur Linkedin assez facilement si cela vous amuse. (Source: company house)
Les 2 seuls (ex) associés de Rohan Dhir qui sont listés dans la société. Malgré les noms Italiens, ils n'ont rien à voir avec l'usine chargée de la fabrication des chaussures. Vous pouvez trouver leur Linkedin assez facilement si cela vous amuse. (Source: company house)
L'usine Alessandro Cappi en charge de la fabrication des chaussures Archibald London. (Source: alessandrocappi)
L'usine Alessandro Cappi en charge de la fabrication des chaussures Archibald London. (Source: alessandrocappi)
La procédure en justice dont personne n'aura la moindre nouvelle. (Source: Styleforum)
La procédure en justice dont personne n'aura la moindre nouvelle. (Source: Styleforum)
L'administration de Styleforum adressant discrètement la question des nombreux faux comptes que Rohan Dhir utilise sur le site. Souffrirait-il d'un dédoublement de personnalité? (Source: Styleforum)
L'administration de Styleforum adressant discrètement la question des nombreux faux comptes que Rohan Dhir utilise sur le site. Souffrirait-il d'un dédoublement de personnalité? (Source: Styleforum)
L’écharpe en "vigogne" d'Archibald London qui bénéficie des faveurs de la presse. Notez encore une fois le titre disruptif. (Source: fashionweekdaily)
L’écharpe en "vigogne" d'Archibald London qui bénéficie des faveurs de la presse. Notez encore une fois le titre disruptif. (Source: fashionweekdaily)

Épilogue

La suite de cette affaire n’est pas sans intérêt. Pour être honnête, cet article était prêt depuis des mois mais je me refusais à le publier immédiatement après la découverte de la fraude car je voulais savoir ce qui allait ensuite se passer pour la marque, avec l’espoir qu’un babilleur débile comme Dhir ne la laisse pas couler sans continuer à faire des conneries. Mon vœu fut exaucé au-delà de tous mes espoirs puisqu’une fois que l’affaire s’est tassée Archibald London a lancé une nouvelle arnaque. En effet, la marque a mis en place un système d’abonnement. Pour pouvoir acheter “ses” produits à prix coutant, vous devez devenir membre, avec une certaine période d’engagement. Une sorte de naked, mais permanent pour lequel vous devez payer d’avance. Habile. Cette mesure de la dernière chance doit très probablement permettre à la marque d’avoir accès à du cash de manière régulière, et ce afin de refaire sa trésorerie à la suite de son fiasco sur Styleforum, puisqu’elle a été obligée de rembourser la majorité des clients lésés par les chaussures collées. En parallèle toute l’équipe d’adulescent qui entourait Dhir a été virée, il reste seul aux commandes. Aujourd’hui Archibald London est au bord de la mort, la boite est en retard pour le dépôt de ses comptes et a évité de peu une radiation du registre du commerce Anglais (qui signifierait la fin de la société). Rohan Dhir a continué à publier ses élucubrations sur Styleforum, comme un schizophrène refusant de prendre ses médocs il babille à l’infini des rêves de grandeurs, à un moment il a même entretenu l’idée de faire fabriquer ses chaussures par Fukuda et d’autres noms célèbres sans que rien de tout cela ne se concrétise, bien évidemment. Aujourd’hui il relance un nouveau projet de chaussure cousu trépointe, comme s’il aimait bien se prendre des coups. Oh et vous vous souvenez des écharpes en vigogne vendues 2800$ qui étaient une trop bonne affaire et qui étaient ultra disruptives ? Il en a encore en stock…. Sauf qu’elles ne sont plus qu’à 1000$ et ça sans solde. Désespoir vous avez dit ?

Le nouveau système de fonctionnement d'Archibald, un abonnement, pour pouvoir bénéficier de leurs fameux produits à "prix coûtants".
Le nouveau système de fonctionnement d'Archibald, un abonnement, pour pouvoir bénéficier de leurs fameux produits à "prix coûtants".
Le marché de la vigogne ne doit pas aller bien fort, la super bonne affaire qui était à 2,8k$ l'année dernière n'est plus qu'à 1k$ cette année. Belle décote. (Source: Arcihbald London)
Le marché de la vigogne ne doit pas aller bien fort, la super bonne affaire qui était à 2,8k$ l'année dernière n'est plus qu'à 1k$ cette année. Belle décote. (Source: Arcihbald London)

Mise à jour

Depuis la publication de cet article nous avons été gratifié de la présence du grand Rohan Dhir, fondateur d’Archibald London, dans la section commentaire. Nous savions que ce n’était qu’une question de temps avant qu’il ne se manifeste, dans la mesure où un article de Jesper ne faisant qu’émettre des réserves sur la qualité des cuirs Archibald l’avait déjà rendu apoplectique. Nous n’avons aucun doute que notre article l’à rendu proprement rabique.

Nous reproduisons ici son commentaire:

"The fact is everything (from the very fact that I went to business school – which I did not) right through to the company details that have been pulled up have nothing to do with Archibald. It is a poor, ill-informed and uneducated set of research written as a character assasination. Also education is something to be celebrated, not condemned and no one should be made to feel anything less for trying to improve their position by attending a school or not.
I have requested a conversation with the author so I am able to go through each of his claims and provide him with the relevant facts. Again, the tone with which the article was approached shows this was formed with ill-intentions and perhaps with the authors mind made up before he even embarked on the process.
Since this is ultimately a public character assasination, I offer an open zoom call, google meet or meeting in person depending on location and whoever wishes to join can do so, cameras-on and identities revealed so we can clarify all and speak about everything. I am happy to correct all the statements, line-by-line and offer a deeper view into what happened and provide documentary evidence to not only prove that we were totally innocent, but also show the steps we had since taken to improve our offering and service right through the collection.
From that point, I have done my legal duty to inform you about the incorrect items in the article and if you wish to make changes you can, and if not, that is another bridge each party can cross if it comes to it.
The incident taught us a lot and highlighted many errors we had made that go far beyond hand-welted shoes. Errors that have since been rectified and led to a better and stronger Archibald.
I have no idea what you are saying about free of charge etc. I am wriitng my comments in English. The detail is a result of poor searches on the internet.
Just a summary of some facts:
1. I didn’t go to business school. I have a BSc and MSc in Operations Research and Financial Engineering.
2. We raised significant seed investment from an overseas party – it isn’t family funded. The trademark was registered far before we formally launched in 2014.
3. We have continued to do eyewear since launch.
4. We don’t have PR representation and never paid for any articles aside from one advertorial piece in IGNANT magazine which was a waste of money.
5. We have sold Vicuna products since 2017, the author needs to distinguish between a STOLE and a SCARF. Both have increased in price since we originally did it. I also have a story on what allowed us to sell a Vicuna scarf for $575 when we were doing so. The current collection of items available in Vicuna has only grown since 2017 and over the past year we have added more items to the range.
6. Hand-welted shoes issue – Criminal hearing in the courts of Modena for 9th November 2022.
7. Producers are partners in the format that we have a profit sharing incentive for them that goes beyond all the costs of production. It is a performance based scheme.
8. Following the incident, we have been working closely with customers on Styleforum for the new handwelted range and understand we made a big mistake entering the category last time being so blind to the product.
9. Beaufort Mayfair has never had anything to do with Archibald London – so even an investigation into the company is done incorrectly.
The big mistake behind this issue was the fact that we got very lucky with the partners in Japan who make our eyeglasses and through that good fortune developed a scaling process that involved finding trustworthy craftsmen and building new lines with them. There are remarkable differences in the first samples (which JMR928 opened), the first sales pairs (all hand-welted and I still have a few) and finally the odd stitchdown construction known in Italy as IDEAL construction that he ended up delivering from April 2020 onwards. The threads on SF clearly show customers who received the actual product and following our
The issue blew up because of a refusal to publicly discuss compensation to affected customers. This is a normal process, and we had to individually contact each customer, ascertain if their pair was hand-welted or not and then come to an agreement that worked for them with many choosing full refunds for the. pair. The main goal was to ensure all customers were made whole and to preserve our reputation and the bigger idea behind Archibald.
We are involved in litigation in Italy, and are determined to bring Cappi to justice for his unilateral crime.
Reading articles like this released almost a year and a half after the incident, riddled with inaccuracies and personal attacks is a bit sad and I ask the author to give a man his date so I can set (at the least) the facts straight. You are all welcome to join".

Nous lui pardonnons ses nouvelles affirmations étranges. Il ne vient donc pas d’une école de commerce. Pourquoi est-ce que son profil Linkedin indique le contraire? Un double maléfique? Une erreur de frappe? Une pénurie de Prozac?
Il affirme également que Beaufort Mayfair n’a rien à voir avec Archibald. Pourquoi est-ce que l'objet social correspond à l'activité d'Archibald? Pourquoi est-ce que les associés de la société listent Archibald comme emplois dans leur profil Linkedin? Pourquoi l’adresse de la société correspond à un espace de coworking à Londre? Espace utilisé par Rohan Dhir pour donner des interviews sur Archibald. Mais nous n’avons aucun doute qu’il serait capable encore, et toujours de se justifier d’une façon ou d’une autre. Après tout, s’il le dit, c’est que ça doit être vrai.

Les associés listés par Beaufort Mayfair ont Archibald London comme emplois sur Linkedin. Mais en dehors de ça "aucun lien". Ça doit être des homonymes. (Source Company house/linkedin)
Les associés listés par Beaufort Mayfair ont Archibald London comme emplois sur Linkedin. Mais en dehors de ça "aucun lien". Ça doit être des homonymes. (Source Company house/linkedin)
Mieux, l’adresse d'un des associés et celle de Beaufort Mayfair sont identiques. Mais il n'y a probablement pas de lien. (Source: Company House/linkedin)
Mieux, l’adresse d'un des associés et celle de Beaufort Mayfair sont identiques. Mais il n'y a probablement pas de lien. (Source: Company House/linkedin)
L’adresse listée par Beaufort Mayfair correspond à un espace de coworking à Londres. Avec un beau canapé rouge. Pourquoi est-ce que Rohan conduit des interviews pour Archibald (en bas à gauche) à partir de cette location s'il ne s'agit pas du siège de la société? (Source: Company House/ wework)
L’adresse listée par Beaufort Mayfair correspond à un espace de coworking à Londres. Avec un beau canapé rouge. Pourquoi est-ce que Rohan conduit des interviews pour Archibald (en bas à gauche) à partir de cette location s'il ne s'agit pas du siège de la société? (Source: Company House/ wework)
L'objet de la société semble pourtant bien coller avec l'activité d'Archibald. Est-ce le fait qu'il soit en retard dans le dépôt de ses comptes qui le dérange? (Source Company House)
L'objet de la société semble pourtant bien coller avec l'activité d'Archibald. Est-ce le fait qu'il soit en retard dans le dépôt de ses comptes qui le dérange? (Source Company House)

Nous concédons volontiers des erreurs, ou des approximations sur des détails (bien qu’il y en ait moins que ce qu’il prétend, mais l’on mettra cela sur le compte de la barrière de la langue). Nous travaillons sur la base d’hypothèses reposant sur les informations qui sont librement accessibles. Soit, il vient de la finance et non du business. Nous nous excusons le plus platement pour cette approximation, moi aussi si j’étais lépreux je n’aimerais pas que l’on me qualifie de pesteux. La précision a son importance.

Nous lui pardonnons même ses insultes, nous traiter de journaliste est une atteinte à notre intégrité ainsi qu’à nos principes. Nous voulons bien être frappés d’ignominie, mais il y a des limites à l’indécence.

Le fait est qu’en ce qui nous concerne cela n’a aucune importance. Même si nous enlevons absolument tous les à cotés, l’article tient toujours debout. Quand un boucher prétend vendre du bœuf (Wagyu qui plus est) et qu’il vous refile du cheval, il est bien égal qu’il l’ait fait par incompétence ou par malice. La conclusion est la même: s’il n’est pas cabale de savoir ce qu’il vend, il devrait reconsidérer son choix de carrière. En ce qui nous concerne l’affaire est donc close.