Tout ce que vous avez toujours voulu savoir sur les semelles en caoutchouc

Avant-propos

Nous avons évoqué le cas des semelles en cuir dans la première partie de cet article, nous allons donc maintenant traiter des semelles en caoutchouc.

Ces semelles sont de plus en plus populaires et elles sont bien souvent présentées par les marques comme une option plus “durable” aux semelles en cuir. Libre à vous de le croire, après tout certain accordent du crédit aux promesses des politiques néanmoins il serait quand même bien naïf de prendre les affirmations des fabricants pour argent comptant. En réalité, comme pour les semelles en cuir on trouve des semelles en caoutchouc qui sont de plus ou moins bonne qualité et qui vont donc être plus ou moins durables. Le problème c’est que beaucoup de gens l’ignorent et pensent qu’une semelle en caoutchouc en vaut une autre ce qui entraine parfois des déceptions. Dans la pratique je ne suis pas convaincu par l’argument de durabilité des semelles en caoutchouc et ce pour une raison très simple. Elles s’usent certainement beaucoup moins vite que les semelles en cuir (enfin, ça, ça dépend des marques), mais une fois usées, il faut les remplacer. Or les cordonniers sont de moins en moins courants, et en dehors des quelques grands noms, de moins en moins compétents. Autant le dire simplement, beaucoup de souliers avec une semelle en caoutchouc usée ne seront jamais ressemelés et se dirigeront à la poubelle ou sur Ebay.

Vous allez me dire qu’il en va de même avec les chaussures qui ont des semelles en cuir et vous avez bien raison. Mais il est toujours possible de leur faire poser un patin. C’est d’ailleurs une source de bonnes affaires si vous êtes un peu doué de vos mains, vous pouvez acheter des souliers que beaucoup pensent foutus car la semelle leur paraît trop usée et leur coller un patin, une redresse et un fer et vous obtenez une paire de pompe pratiquement neuve. Ce qu’il est impossible de faire avec des semelles gomme. Mais c’est une considération qui ne va intéresser qu’une minorité de gens, en réalité la vaste majorité des chaussures ressemelables finissent tout simplement à la poubelle.

Dans cet article nous traitons essentiellement de l’utilisation urbaine des semelles en caoutchouc. Nous allons aborder rapidement les semelles commandos, mais il faut garder à l’esprit que quand nous mentionnons les avantages ou inconvénients de certains types de semelles c’est dans le cadre d’une utilisation à la ville.

Nous allons commencer par présenter les différents types de semelles en caoutchouc qui existent. Ce qu’il faut bien comprendre c’est que le type de semelle n’a pas autant une influence sur sa durabilité que sa dureté, mais nous allons revenir là-dessus dans un instant. Le principal intérêt de tel ou tel type de semelle en caoutchouc réside dans l’adhérence qu’elle offre, sa finesse ou son aspect visuel. Bien évidemment cette liste n’est pas exhaustive, nous présentons simplement les semelles les plus courantes.

Typologie des semelles

La semelle York

1 patine guide semelle caoutchouc

La semelle York est une semelle en caoutchouc partielle puisqu’en cambrure elle est composée d’une partie en cuir. Elle réplique l’apparence d’une semelle en cuir avec un patin à la différence près que la partie de la semelle en caoutchouc dispose de picots pour une meilleure adhérence. C’est un type de semelle que l’on trouve essentiellement chez les fabricants de la péninsule ibérique, moins chez les autres.

La semelle City

2 patine

La semelle de type City devient de plus en plus courante sur les modèles de chaussures “habillées” car elle est en général très fine. Elle est donc difficilement décelable quand vous voyez une chaussure de profil et c’est en réalité là son intérêt principal. Je ne pense pas qu’elle soit plus ou moins adaptée à la ville qu’un autre type de semelle en caoutchouc, son nom “city” étant plus à mettre en relation avec le vestiaire urbain qu’avec une habilité particulière à écraser des pieds dans le métro ou casser des têtes sur un trottoir. Deux caractéristiques pourtant primordiales dans nos métropoles modernes.

La semelle de type “Dainite” (ou semelle stud)

3

C’est de loin le type de semelle le plus populaire. Fabriquée à l’origine par la marque Dainite (d’où le nom) elle est aujourd’hui copiée par pratiquement tous les fabricants, bons ou mauvais. C’est une semelle assez polyvalente qui s’adapte à une utilisation urbaine comme rurale. En hiver elle a tendance à être un peu glissante et peut devenir même franchement casse gueule. L’inconvénient d’une semelle Dainite de la marque Dainite est son prix. Beaucoup de fabricants utilisent donc des copies “no name” qui leur coûtent beaucoup moins cher, qui sont absolument nazes et vont s’user rapidement. La copie produite par Vibram est de bonne qualité. Notez qu'il n'est pas rare que les studs soit sur le passage de la couture PP chez certains fabricants un peu pressés, comme c'est le cas dans l'image ci dessus. Ça ne porte en général pas à conséquence, surtout si la couture n'est que décorative comme cela arrive parfois.

La semelle Ridgeway

4

Là aussi une fabrication originale de Dainite qui existe sur le marché en de nombreuses versions no name de qualité médiocre. C’est une semelle que l’on trouve surtout sur les bottines et autres chaussures d’utilisation plus rurale mais il n’est pas rare de la voir sur des chaussures de ville, ce qui est d’ailleurs assez laid.

La semelle commando

5 C&J

C’est une semelle qui a été inventée par Vibram, le nom d’origine était Carrarmato, mais les Anglais ont rapidement pondu une copie pour usage militaire, d’où le nom Commando. C’est un type de semelle qui est particulièrement adapté aux bottines mais certaines marques ont pris pour habitude d’en mettre sur des mocassins, et autres chaussures de ville. C’est un peu l’équivalent d’avoir un SUV en milieu urbain, ça ne sert à rien et vous avez l’air d’un plouc mais ça fait crier les écolos donc c’est rigolo.

La semelle en crêpe

6 Weston

Ce type de semelle est réalisé à partir de caoutchouc de plantation, alors que les autres semelles en caoutchouc sont réalisées à partir de dérivés du pétrole. Ce sont des semelles très souples et donc très confortables mais elles ont tendance à être aussi très peu durable. Notamment en raison de la souplesse du matériau, mais aussi parce que le crêpe est très sensible à la chaleur et aux solvants. Ces semelles ont la réputation d'être excessivement glissantes sous la pluie.

Ce sont là les types de semelle les plus courants, mais il en existe un bon nombre d’autres qui peuvent être propres à certaines marques de chaussures. Ce sont des semelles qui viennent de fournisseurs tiers (comme toujours) mais qui sont fabriquées selon les spécifications de la marque de chaussure qui les commande, et qui peuvent être “griffées” (comprendre par là qu’elles ont le logo de la marque de chaussure) je pense par exemple aux semelles en caoutchouc Weston, parmi bien d’autres. Ces semelles ne sont pas toujours de bonne qualité, car il arrive bien souvent qu’elles soient commandées chez des fournisseurs qui sont assez bas de gamme, ou qu’elles soient spécialement pensées pour le confort du porteur au détriment de la durabilité.

Une semelle Weston qui craque en 18 mois. (Source: depiedencap)
Une semelle Weston qui craque en 18 mois. (Source: depiedencap)
Une semelle Lobb qui part en vrille, là aussi rapidement. Le client semble user prématurément le bout de ses chaussures. Nous allons revenir là dessus plus tard dans l'article. (Source:styleforum)
Une semelle Lobb qui part en vrille, là aussi rapidement. Le client semble user prématurément le bout de ses chaussures. Nous allons revenir là dessus plus tard dans l'article. (Source:styleforum)

Maintenant que vous connaissez les principaux types de semelles en caoutchouc nous allons aborder quelques questions techniques et commerciales.

La popularité des semelles gomme

Il est évident que les semelles gomme deviennent de plus en plus populaires. C’est une célébrité un peu tardive quand on considère que ces semelles existent depuis plus d’un siècle. Il faut dire que beaucoup de progrès ont été fait depuis. Les marques poussent de plus en plus pour la généralisation des semelles en gomme. Notamment car cela leur permet d’économiser un peu voire même beaucoup d’argent, une paire de semelles J. Rendenbach coûte (au prix cordonnier, les usines payent moins, évidemment) environ 60€, une paire de Dainite stud on est plus aux alentours des 30€ (là aussi, tarif cordonnier) et c’est plus ou moins LA marque de référence. Si vous voulez une copie Chinoise de Dainite on va descendre allègrement en dessous des 6€ la paire. Si une usine part sur du croupon no name à tannage végétal classique plutôt que du Rendenbach, on est quand même aux alentours de 15€ la paire (toujours prix cordonnier). La semelle en gomme Chinoise reste donc toujours moins chère, et surtout elle va probablement durer plus longtemps que le croupon naze, donc le fabricant est gagnant. Et puis les usines savent bien qu’aujourd’hui l’écrasante majorité de la population ne sait pas ce que c’est que d’avoir des chaussures en cuir, les semelles en caoutchouc vont donc être plus populaires tout simplement car elles glissent moins, sont moins contraignantes vis à vis de la météo et sont plus durables. Bref, les marques ont toutes les raisons de les mettre en avant.

Une copie no name de Dainite, ça ne coûte pas cher et le client est content.... du moins dans un premier temps. (Source: Morjas)
Une copie no name de Dainite, ça ne coûte pas cher et le client est content.... du moins dans un premier temps. (Source: Morjas)
D’après Cobbler Union le seul avantage de la semelle en cuir par rapport à la semelle en gomme est d’être trop classe. Ça n’est pas totalement faux quand on considère le papier mâché qui sert de semelle cuir dans cette gamme de prix.   (Source:cobblerunion)
D’après Cobbler Union le seul avantage de la semelle en cuir par rapport à la semelle en gomme est d’être trop classe. Ça n’est pas totalement faux quand on considère le papier mâché qui sert de semelle cuir dans cette gamme de prix. (Source:cobblerunion)
Les marques font le forcing au point de commander des articles à des pigistes pour ensuite spammer les différents media maintream avec le même article. Ici un article de commande que l’on trouve un peu partout, et qui sans surprise demande à Dainite… ce qu’ils pensent de Dainite. (Source:robbreport)
Les marques font le forcing au point de commander des articles à des pigistes pour ensuite spammer les différents media maintream avec le même article. Ici un article de commande que l’on trouve un peu partout, et qui sans surprise demande à Dainite… ce qu’ils pensent de Dainite. (Source:robbreport)

La durabilité des semelles en gomme

Comme pour les semelles en cuir, l’un des éléments qui va déterminer de la durabilité (ou non) d’une semelle en caoutchouc est sa dureté. Bien évidemment, comme pour les semelles en cuir le poids du porteur, sa démarche, la fréquence d’utilisation... vont avoir une influence sur la durée de vie d’une semelle. Le climat en revanche beaucoup moins, c’est d’ailleurs là l’un des principaux avantages des semelles en caoutchouc, leur résistance à la pluie. Plus une semelle en caoutchouc va être dure plus elle va être résistante. Le problème c’est qu’en tant que client vous n’avez absolument aucune idée de la dureté de vos semelles en caoutchouc. Comme vous n’avez d’ailleurs aucune idée de leur composition réelle. Pour mesurer la dureté d’une semelle en caoutchouc on utilise la dureté Shore. Nommée d'après son inventeur, Albert Ferdinand Shore, la dureté Shore offre différentes échelles pour mesurer la solidité de différents matériaux. Il existe un total de 12 échelles de dureté Shore pour mesurer la dureté de différents matériaux, tels que les caoutchoucs souples, les plastiques rigides et les gels super souples. Ces échelles de dureté ont été créées pour que tout le monde puisse discuter de ces matériaux et avoir un point de référence commun pour eux. Les 3 échelles les plus courantes sont 00, A et D, L'échelle Shore 00 est utilisée pour les gels et caoutchoucs super souples (exemple une semelle interne en gel), l’échelle shore A est utilisée pour les caoutchoucs "plus souples" (pneu, semelle de chaussure en caoutchouc...), tandis que l'échelle Shore D est couramment utilisée pour les caoutchoucs "plus durs" (roue de caddy, casque de chantier). Pour les semelles on est en général sur des valeurs qui vont de 55 à 85 Shore A mais il y a des exceptions. Les marques n’indiquent jamais la dureté shore de leurs semelles et dans un sens ça n’est pas plus mal. Car ça évite que les marques d’école de commerce en fassent une “caractéristique” de leur produit comme ça l’a été avec le cousu Goodyear. Et puis ça évite aussi que les débilos qui lisent sans comprendre n’en parlent comme ils peuvent le faire souvent dès qu’ils ont l’impression qu’un concept est important mais qu’ils n’en maîtrisent pas le sens. Toujours est-il qu’il existe des disparités assez importantes en fonction de la qualité de la semelle. C’est également valable pour les patins à mettre sur une semelle cuir. Le patin standard “Topy Élysée” est à 85 Shore A un patin très dur, bien souvent beaucoup plus résistant que n’importe quelle semelle Dainite no name que vous trouvez sur les marques d’entrée de gamme. D’autres patins sont plus proches des 60 ou 65.

Les échelles de dureté shore 00 A et D avec des objets de référence. (Source:artmolds)
Les échelles de dureté shore 00 A et D avec des objets de référence. (Source:artmolds)

Est-ce qu’on fait poser un fer sur une semelle en caoutchouc ?

L’un des inconvénients majeurs des semelles en caoutchouc c’est qu’elles ne protègent pas les mangeurs de bouts. Qu’est-ce qu’un mangeur de bout ? Ça n’est pas une nouvelle perversion sexuelle à la mode, mais un symptôme que l’on retrouve chez certaines personnes. À cause d’une démarche "anormale" ces gens abîment l’avant de leur chaussure à une vitesse hallucinante. Sur une semelle en cuir, en moins d’une dizaine de ports un mangeur de bout peut avoir totalement détruit l’avant de sa semelle. C’est un phénomène qui est plus ou moins prononcé et qui touche beaucoup de gens. La solution sur les semelles en cuir est de faire poser un fer encastré. Les semelles en caoutchouc ne sont pas immunisées contre les mangeurs de bouts. Il leur faudra plus de temps pour détruire l’avant de leur chaussure, mais ils y arriveront toujours. J’en connais qui au bout d’une trentaine de ports arrivent à vraiment bien attaquer le bout d’une semelle en caoutchouc, il est entendu que c’est un cas désespéré. Est-il possible de faire poser un fer sur ces semelles ? Oui et non. Il est parfaitement techniquement possible de faire poser un fer sur une semelle Dainite (du moment que ça n’est pas un fer Triumph), mais je ne suis pas convaincu de l’efficacité.... et c'est un euphémisme.

Certains cordonniers l’ont fait à la demande de leur client, mais la majorité vont refuser. Car c’est un assemblage difficile à faire, le mariage de la semelle en caoutchouc et du fer encastré est précaire. Il y a un risque que le fer ne tienne pas en place, bref, en réalité cela ne sert à rien. Globalement il faut dire que les semelles en caoutchouc sont quand même moins faciles à attaquer au niveau du bout, surtout si c’est de la Dainite ou de la Vibram véritable (d’autres marques sont réputées, je ne nomme que les 2 plus connues). Si en revanche c’est de la copie no name, là c’est autre chose.

Un mangeur de bout sur semelle en cuir   (Source:styleforum)
Un mangeur de bout sur semelle en cuir (Source:styleforum)
Un mangeur de bout sur une semelle gomme. (Source:styleforum)
Un mangeur de bout sur une semelle gomme. (Source:styleforum)
Un fer sur une semelle Dainite. Bedos, le cordonnier derrière cela dit accepter les demandes de ses clients même si elles sont débiles. (Source:bedos)
Un fer sur une semelle Dainite. Bedos, le cordonnier derrière cela dit accepter les demandes de ses clients même si elles sont débiles. (Source:bedos)

Conclusion

Alors, semelle en caoutchouc ou patin ? Selon moi c’est une question de préférence et surtout d'utilisation. Mais ceux qui achètent des semelles en caoutchouc car ils n’ont pas facilement accès à un cordonnier et se disent "j'ai le temps de voir venir" ou qui sont trop maladroits pour mettre un patin eux même font une erreur. En même temps il faut dire que la vaste majorité des zélégants des zinternets ne savent rien faire de leurs 10 doigts, les amateurs de voitures ou de moto aiment en général bricoler, les zélégants eux aiment bien astiquer (les chaussures bien sûr), c’est un autre style. Toujours est-il que si votre objectif est celui de la durabilité, pour une utilisation en ville le patin en caoutchouc sur semelle en cuir est à mon sens supérieur à la semelle en caoutchouc. D’ailleurs l’argument de la durabilité chez les zélégants est bien souvent un prétexte qu’ils utilisent pour convaincre leur femme de les laisser acheter toujours plus de merdes pour faire les kékés sur Discord et autres forums. La vaste majorité des achats qui sont réalisés (les costumes SS, la demi mesure de plouc, les pompes chinoises) sont jetables. La durabilité c’est devenu un running gag, peu de choses aujourd’hui sur le marché sont véritablement durables comme elles pouvaient l’être avant. Il n’est donc pas étonnant qu’il en soit de même avec beaucoup de semelles en caoutchouc. Les fabricants sont limités par plusieurs choses, ils ne peuvent pas se permettre de faire des semelles extrêmement dures, car c’est assez inconfortable (à dureté équivalente vous n’allez pas sentir un patin, une semelle, si) et puis il y a la question des coûts. Ils utilisent déjà des semelles en caoutchouc pour faire baisser les prix par rapport aux semelles en cuir, donc vous ne voulez pas non plus qu'ils y mettent trop d’argent. Cela étant dit, il est évident que les semelles en caoutchouc ont leur utilité, surtout pour ce qui est du domaine d’une utilisation en dehors de la ville. Je ne suis guère en revanche impressionné par les semelles gomme de type city et York. Dans le cas de la semelle York, elle est certes assez solide en général mais franchement, j’ai du mal à saisir l’intérêt par rapport à un patin.

Pose d’un patin et d’un fer encastré, tutoriel complet

Note: Cet article est exclusif à nos soutiens Patreon qui sont membres des tiers "plouc de compète" et "plouc interstellaire

Avant-propos

Tout le monde n’a pas la chance d’avoir accès à un cordonnier réputé, et quand bien même ce serait le cas il existe toujours des déconvenues. Une fois n’est pas coutume nous allons vous conter une fable qui je l’espère vous laissera entrevoir l’intérêt qu’il peut y avoir à savoir faire quelques menus travaux de cordonnerie.

Dans notre infâme cité Parisienne,

Résidaient un cordonnier de grande renommée

Et Rat Minus, un avocat fortement cocufié.

L'avocat, au style vestimentaire peu flatteur,

Arborait des costumes ratés, digne d’un soupeur.

Un jour, Rat Minus, pressé par ses plaidoiries,

Déposa chez le cordonnier ses chaussures d’Italie.

"Prends-en grand soin, cher compagnon,

Car mes pas ne connaissent nulle limitation."

Le cordonnier, expert dans son noble métier,

Prit les chaussures et promit de bien les soigner.

L'avocat s'en alla, l'esprit à ses dossiers,

Sans se soucier de ses souliers.

Le temps passa, les saisons s'écoulèrent sans pitié,

Et Rat Minus, distrait, oublia ses chaussures délaissées.

Le cordonnier, à son tour, prit sa retraite bien méritée,

Laissant derrière lui son atelier, où tant de souliers avaient été sauvés.

Un jour, Rat Minus se souvint de ses chaussures d’Italie,

Il accourut chez le cordonnier, dandinant son fondement distendu.

Mais hélas, l'atelier était désert, dépourvu de vie,

Rat Minus réalisa alors que ses souliers étaient à jamais perdus.

Lors d'une discussion entre amis, Rat Minus se glorifia,

Il narra sa perte de souliers avec une fierté démesurée.

"Ignorez mes erreurs, mes chaussures négligées,

Elles ne me convenaient pas, me blessaient, la réalité assumée !"

Ses amis éclatèrent de rire, se moquant sans retenue,

De son choix précipité, ignorant le chaussant, quelle déconvenue !

"Rat Minus, tes achats impulsifs sont une tragédie,

Ton incompétence en matière de chaussures est une comédie !"

Je vous laisse le soin de trouver une morale à cette histoire, toujours est-il qu’il est regrettable que beaucoup des zélégants zexperts des zinternets ne sachent pas faire grand-chose de leurs 10 doigts dès qu’il ne s’agit pas de branlette en cercle ou de se triturer la nouille sur Instagram. Heureusement, nous vous donnons dans cet article les clefs pour ne pas être comme eux.

Avant d’entrer dans le vif du sujet nous allons faire un point sur les outils et fournitures nécessaires pour réaliser la pose d’un patin et d’un fer (que l’on appelle techniquement protecteur) et nous vous donnerons quelques propos introductifs qui servirons d’avertissements.

Ce tutoriel a été pensé pour être réalisable par tous (ou presque). Il ne requiert AUCUNE MACHINE et ne demande que l'achat de quelques outils et fournitures.

Tout d’abord je recommande chaudement d’effectuer la pose d’un patin et d’un fer sur un soulier neuf. Lorsqu’il s’agit de confier la paire à un cordonnier, ça n’est pas nécessaire. Mais dans le cas qui nous intéresse, il est infiniment plus facile de travailler sur un soulier neuf puisque tout va être à niveau. Le risque avec un soulier déjà porté est de devoir poser une redresse au niveau du protecteur encastré. Une redresse est une petite pièce de cuir qui vient se placer entre la semelle et le fer et qui vient mettre le fer à niveau. Je ne vais pas expliquer cette technique en détails ici, tout simplement car je n’avais pas de souliers usés qui nécessitaient l’utilisation d’une redresse à ma disposition. Ça n’est pas très compliqué à réaliser. Vous trouvez du croupon à redresse chez les fournisseurs mais n’importe quel croupon battu peut faire l’affaire.

Par ailleurs pour ce tutoriel j’utilise des chaussures avec un cousu Goodyear sous gravure. Cela ne change pas grand-chose pour un soulier cousu rainette. Il faudra simplement faire un peu plus attention à la couture. Si vous ne savez pas faire la différence entre cousu sous gravure et cousu rainette, il est préférable de vous arrêter là et de lire notre article "qu'est ce qu'un soulier de qualité

J'en profite pour remercier l'intégralité de nos contributeurs passés, présents et futurs. C'est grâce à eux que nous pouvons réaliser ce genre d'articles.

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Tout ce que vous avez toujours voulu savoir sur les semelles en cuir

Avant-propos

Cela fait plusieurs années que les semelles en caoutchouc gagnent du terrain et la tendance n’a aucune raison de s’inverser. Au contraire, elle ne fait que s’accélérer et chez certaines marques les semelles en caoutchouc sont même devenues majoritaires ou sont en passe de le devenir. Les raisons derrière ce succès sont nombreuses, mais elles peuvent se résumer à deux choses, une baisse de la qualité, et une baisse des coûts. Baisse de la qualité, non pas des semelles en gomme, mais des semelles en cuir, et baisse des coûts engendrés par les économies qu’une semelle gomme peut permettre de réaliser par rapport à une semelle en cuir. J’insiste sur le “peut permettre” mais nous verrons cela dans la seconde partie de cet article.

Les semelles en cuir

Avant d’entrer dans le vif du sujet il est bon de faire une rapide présentation des semelles en cuir qui existent sur le marché. Sans la trépointe (quand il y a en a une) l'épaisseur typique d'une semelle en cuir est comprise entre 4,5 et 5,5 mm. C’est bien évidemment une moyenne, il peut y avoir des semelles plus ou moins épaisses que cela, puisque le type de montage a une influence sur l’épaisseur de la semelle qui va être employée.

Dans certains cas, on trouve des semelles en cuir double, voire triple, qui sont normalement plus durables et qui sont en général destinées à des chaussures d’aspect plus rustique. Il existe aussi des semelles doubles qui deviennent simple en cambrure, communément appelées semelle “Haf” chez les anglophones, c’est une finition que l’on rencontre plus souvent en mesure mais Edward Green et d’autres marques de PAP la propose.

Une double semelle est plus durable, plus épaisse et, bien sûr, permet d'isoler davantage la chaussure.

Semelle Haf chez Edward Green, avec un modèle Herrick (Source: EG)
Semelle Haf chez Edward Green, avec un modèle Herrick (Source: EG)
Semelle Haf chez Edward Green, avec un modèle Dover, comme quoi ces semelles ne sont pas exclusives aux bottines. (Source:EG)
Semelle Haf chez Edward Green, avec un modèle Dover, comme quoi ces semelles ne sont pas exclusives aux bottines. (Source:EG)
Derby triple semelle chez Weston. Autant dire que vous avez le temps de voir venir avant d’avoir besoin de faire un ressemelage. Il y a quand même un aspect chaussures du monstre de Frankenstein à prendre en compte. (Source: Weston)
Derby triple semelle chez Weston. Autant dire que vous avez le temps de voir venir avant d’avoir besoin de faire un ressemelage. Il y a quand même un aspect chaussures du monstre de Frankenstein à prendre en compte. (Source: Weston)

Je ne vais pas aborder les diverses finitions visuelles (patine, glaçage) qui sont possibles sur les semelles en cuir, car c’est uniquement de la coquetterie et cela dépend simplement des désirs des clients ou de la fantaisie (ou non) du fabricant.

Une patine sur une semelle JR par Winson Shoemaker. (Source: Winson Shoemaker)
Une patine sur une semelle JR par Winson Shoemaker. (Source: Winson Shoemaker)

La baisse de qualité des semelles en cuir

Le tannage

On parle très souvent de la baisse de qualité des cuirs de tige dans le monde de la chaussure, mais l’on parle beaucoup moins de la baisse de qualité des cuirs utilisés pour les semelles d’usure, et pourtant le déclin est tout aussi rapide. Le critère principal qui va déterminer de la durabilité d’une semelle est la dureté, plus le cuir va être dur plus il va être résistant, mais attention, il faut que le cuir conserve toujours un certain ressort. Un cuir trop dur risque de devenir friable. L’épaisseur joue bien évidemment un rôle mais il est secondaire, une semelle trop souple qui est épaisse ne va pas résister mieux qu’une semelle plus fine à la bonne dureté.
Pour que le cuir soit à la bonne rigidité il faut lui faire subir tout un processus pour obtenir une dureté optimale avec la bonne quantité de ressort. De base, sur une peau de bovin, il y a des zones qui sont plus ou moins rigides. Le centre de la peau est la zone la plus rigide et plus vous allez vers les extrémités plus le cuir devient souple et plus il a de prêtant ce qui est une caractéristique indésirable quand vous voulez travailler le cuir de façon générale, et quand vous voulez faire des semelles en particulier. C’est pour cette raison que la zone la plus prisée est celle que l’on appelle le croupon car elle est la plus stable dimensionnellement puisqu’elle a le moins de prêtant. Bien que le croupon soit une zone naturellement plus rigide que les autres, elle n’est pas suffisamment rigide pour qu’elle puisse être utilisée sur des semelles avec n’importe quelle forme de tannage. Pour qu’un croupon soit le plus rigide possible il faut qu’il soit tanné avec un tannage végétal, le tannage au chrome produit de façon générale un cuir souple même s’il existe évidemment des cuirs tannés au chrome qui sont plus rigides que d’autres.

Les différentes parties d’une peau. (Source: CTC)
Les différentes parties d’une peau. (Source: CTC)

Le problème du tannage végétal par rapport au tannage au chrome est sa durée, il est beaucoup plus chronophage et donc il coute beaucoup plus cher. Un tannage au chrome peut être effectué en 3 heures. Un tannage végétal peut être réalisé en 48h, mais pour des semelles, un tannage végétal dit “lent” demande au minimum 30 jours. En réalité il peut aller de 30 jours, à 30 mois. Enfin ça c’est historiquement, aujourd’hui on est plus aux alentours des 18 mois maximum, c’est pour cela que l’on parle parfois de tannage lent, voire même de tannage extra lent. Et 30 jours, ça n’est pas un tannage végétal extra lent à l’écorche de chêne, mais un tannage réalisé avec des agents chimiques qui sont censés reproduire un tannage à l’écorce de chêne, autrement dit c’est une version industrielle qui coûte beaucoup moins cher et qui est donc très populaire, c’est d’ailleurs plus ou moins la norme de nos jours en dehors de quelques irréductibles (Bastin, Garat, Baker, possiblement d’autres mais on a là les plus connus).

Lors d’un tannage végétal lent traditionnel il y a 3 grandes étapes à suivre (je ne compte pas la préparation, je ne parle que des étapes spécifiques au tannage végétal lent). Il y a tout d’abord ce qu’on appelle le passage en brasserie où les peaux sont saturées de tanins, cette étape dure en général deux mois mais elle peut durer plus, Baker dit faire 3 mois par exemple. L’étape la plus longue est le passage en cuve (également appelée fosse), c’est durant cette étape qu’on laisse les peaux reposer avec de l’écorce, en général de chêne mais d’autres essences sont utilisées comme du châtaignier. Cette étape peut à elle seule prendre 12 mois. On a l’habitude dans le milieu de dire qu’il faut laisser du temps au tan mais une telle lenteur est aujourd’hui impensable dans notre monde du “progrès technique” et des échanges globalisés. Car plus que jamais, le tan c’est de l’argent. C’est la première étape vers la “rationalisation” du tannage des semelles, le temps en fosse connaît de plus en plus de réductions et cela même chez les tanneries historiques et réputées. Bastin a fait passer son temps en cuve de 10 à 12 mois à 8 à 10 mois, d’après les divers reportages réalisés chez eux. Dans le monde du marketing, les délais fonctionnent à l’inverse de ceux du quotidien. Quand Bastin dit “de 8 à 10 mois” il faut comprendre que le temps passé en fosse est très vraisemblablement de 8 mois voire moins (j’ai entendu que parfois on était plus proche des 6 mois). Quand votre plombier vous dit qu’il faudra attendre “4 à 6 semaines” vous allez poireauter 6 semaines voire plus.

Cela étant dit, le temps de passage en fosse des concurrents n’est pas très éloigné de ça. Chez Garat on parle de 4 à 6 mois en cuve (d’après leur propre site internet), Baker dit laisser les peaux en cuve pendant 9 mois, pour un temps total de tannage de 12 mois et Rendenbach disait que le temps total de tannage prend 9 mois mais je n’ai pas trouvé le temps passé en cuve, de toute façon ça n’est plus la même tannerie qui produit les semelles. Au final ça n’est pas très important, le temps en cuve n’est pas un concours de distance, beaucoup de tanneries utilisent l’argument de la durée uniquement dans un but marketing, avec l’idée que plus c’est long plus c’est bon. En réalité, et selon le proverbe en vigueur chez les Anglois “you can’t polish a turd”, mettre un croupon naze en cuve pendant 36 mois ne le transformera pas en carrosse. Mieux vaut un temps plus court en cuve avec un cuir excellent qu’un temps long avec un cuir médiocre. Il est bon de le préciser car je vous laisse imaginez ce qui peut être fait (en matière d’utilisation de peausserie comme en matière de tannage) dans les tanneries de l’Inde, du Brésil ou de la Chine, qui sont de bien plus gros producteurs de cuir que la France ou l’Angleterre. C’est d’ailleurs là une autre raison de la baisse de qualité des cuirs de semelle, la concurrence des pays du tiers monde mais nous allons revenir à cela dans un court instant.

Les cuves (ou fosses) extérieures chez Bastin. (Source : pahmontsetbarrages)
Les cuves (ou fosses) extérieures chez Bastin. (Source : pahmontsetbarrages)

Après le passage en cuve, il existe quelques étapes intermédiaires (séchage, etc…), mais le stade final est le passage au battage et au cylindrage. Durant ces deux étapes il faut compresser les fibres du cuir au maximum afin de le rendre le plus solide et également le plus imperméable possible, car le cuir est par nature absorbant. Plus vous compressez les fibres, plus le cuir va être résistant et plus il sera résistant plus il sera durable. Le battage est une compression verticale, le cylindrage une compression horizontale. Le battage chez Bastin est fait en utilisant un marteau pilon de 10 tonnes qui a plus de 200 ans et qui a un rendement d’un autre monde, environ 6 à 7 croupons de l’heure. Cette machine réduit l’épaisseur du cuir de 25 % et surtout permet d’augmenter la résistance du croupon de 30 %, ce qui est considérable, mais en raison du temps que cela demande c’est une étape qui est aujourd’hui totalement bâclée voir simplement ignorée par de nombreuses tanneries. Ce qui résulte en un cuir avec des fibres beaucoup moins compactées, et donc beaucoup plus poreuses, ce qui est rédhibitoire en termes de longévité.

La compression des fibres chez Bastin (cylindrage à gauche, battage à droite). (Source : pahmontsetbarrages)
La compression des fibres chez Bastin (cylindrage à gauche, battage à droite). (Source : pahmontsetbarrages)

Le paysage actuel

La chaussure en cuir est en perte de vitesse depuis des années, c’est un reliquat qui est en train de disparaître et le solde de tout compte est proche. La majorité des gens ne jurent aujourd’hui plus que par les sneakers et c’est ce changement dans notre mode de vie qui est en partie à la source de la disparition de bien des tanneries et de bien des marques. Mais l’autre raison tient à la mondialisation et à l’ouverture des marchés aux pays du tiers monde. En 1920 la ville de Lynn dans le Massachusetts, juste au Nord de Boston était considérée comme la capitale mondiale de la chaussure, avec accrochez-vous bien, plus de 250 usines ! En 1981, il n’en restait plus une seule. Vous imaginez bien que pour qu’il existe autant d’usine il devait exister des tanneries, l’État du Michigan comptait à lui seul plus de 22 tanneries spécialisées dans la fabrication de semelles en cuir. Devinez combien il en reste aujourd’hui ? Pas une seule. Le changement de mode n’est pas à lui seul responsable de ce cataclysme, car ce dernier avait en réalité commencé dès les années 50, époque à laquelle le marché Américain de la chaussure s’est ouvert à la concurrence extérieure. L’industrie du cuir en général étant lente et coûteuse en main d’œuvre, elle n’était pas équipée pour résister à une concurrence asiatique où le coût de la main d’œuvre était négligeable et où la quantité primait sur la qualité. Ça a été un massacre. Cette stratégie à court terme a permis de faire baisser les prix et a assuré l’enrichissement rapide et facile de toute une génération, au prix d’une destruction presque intégrale de l’industrie de la chaussure américaine. Ce schéma a d’ailleurs été recréé dans d’autres secteurs industriels, et dans d’autres pays, mais ça n’est pas le sujet. Vous savez en revanche quelle génération remercier pour la désindustrialisation totale d’une grande partie de l’occident.

Un musée à Lynn, Massachusetts expose une œuvre d’art qui comporte 234 semelles de chaussures représentant les 234 fabricants qui existaient dans la ville en 1893. Aujourd’hui il n’en reste plus un seul. (Source : Lynn Museum)
Un musée à Lynn, Massachusetts expose une œuvre d’art qui comporte 234 semelles de chaussures représentant les 234 fabricants qui existaient dans la ville en 1893. Aujourd’hui il n’en reste plus un seul. (Source : Lynn Museum)

Aujourd’hui, à l’échelle mondiale, il existe seulement trois tanneries dont les semelles en cuir sont véritablement réputées, Bastin, Garat et Baker. Bastin et Garat sont Français, Baker est la dernière tannerie Anglaise à faire un tannage lent traditionnel (comprendre par là que les autres tanneries Anglaises qui font du tannage lent utilisent des alternatives chimiques). J. Rendenbach n’existe plus, Kilger a racheté leur recette mais je ne sais pas quelle est la qualité actuelle de leur production. Il existe bien évidemment d’autres tanneries qui produisent des cuirs de semelle, mais aucune n’est autant réputée que ces trois-là. Comme toujours avec les tanneries ça n’est pas parce que ces trois-là sont les plus réputées qu’il n’en existe pas d’autres avec des produits qui peuvent être de bonne qualité, mais pour une raison ou une autre elles ne sont pas reconnues. De toute façon la reconnaissance ça ne fait pas tout, Rendenbach était de loin la marque la plus connue et la plus utilisée (Carmina, Vass, Meermin…) mais ils ont quand même décidé de vendre car l’activité n’était plus suffisamment profitable. Et puis il faut dire que toutes les tanneries ne sont pas nécessairement portées sur le marketing à outrance, surtout en France. On ne peut en effet pas dire que Bastin et Garat le soient, demandez à n’importe quel anglophone qui prétend connaître un peu le monde du soulier, il y a de grande chance qu’il n’ait jamais entendu ces noms. Les Français n’ont jamais su défendre ou promouvoir leurs intérêts nationaux et ça n’est pas demain que ça va changer. Toujours est-il que ces trois tanneries offrent des cuirs qui sont réputés, mais qui ont bien évidement leurs caractéristiques propres, enfin pour le client cela n’a au final pas beaucoup d’importance car ce qui l’intéresse ça n’est pas de savoir si une semelle est facile à travailler ou non, mais bien de savoir si elle est résistante, et le fait est que ça n’est bien souvent pas le cas.

La vaste majorité des semelles en cuir que l’on trouve sur le marché ne sont pas durables, pire, elles sont jetables car l’écrasante majorité des chaussures que l’on trouve sur le marché sont des chaussures d’entrée ou de milieu de gamme et leur prix de vente (sous les 500€) ne permet pas d’avoir à la fois un bon cuir de tige et un bon cuir de semelle (en réalité ces chaussures n’ont ni l’un ni l’autre). Rendenbach faisait un peu figure d’exception car on trouvait leurs semelles sur des chaussures relativement bas de gamme (la gamme Maestro de Meermin) mais c’était vraiment anecdotique comme positionnement. En général c’est bien sur la semelle que les marques rognent, car le client, forcément ignorant, je rappelle que le client lambda vient pour son mariage ou un entretien d’embauche, va se focaliser intégralement sur l’apparence du cuir de tige, car pour lui c’est la tige qui “fait” la chaussure et il n’a pas totalement tort. Quelle n’est pas sa surprise, quand après 2 ans de ports (je suis généreux et je vais vous dire pourquoi après) ses chaussures trop géniales de luxe en cuir ont un trou béant dans la semelle. Il se dit, “c’est vraiment de la merde ces chaussures”. Et vous savez quoi ? Il a raison. C’est de la merde. En réalité, aujourd’hui, vous avez des gens qui au bout de 3 mois d’utilisation se retrouvent avec des chaussures en cuir qui ont un trou béant dans la semelle. Surtout si ce sont des gens qui ne connaissent rien à la chaussure et qui vont avoir tendance à porter la même paire tous jours. Donc oui, quand je disais deux ans, j’étais bien généreux, chez certaines personnes c’est beaucoup, beaucoup moins que ça. Forcément, sur les forums les con-naisseurs ont tendance à se gausser “oh oh le noob, il ne savait pas qu’il fallait laisser reposer la chaussure entez 2 ports” alors qu’en réalité la majorité d’entre eux sont des cosplayeurs cocus (ou puceau selon l’âge) qui tirent une vanité déplacée d’un costume mal coupé par leur “copain tailleur” et leur paire de 7L. Ils ne valent donc guère mieux. En temps normal, j’aurais tendance à être méfiant avec les retours des gens sur les forums, car vous ne savez jamais ce qu’ils font avec leurs chaussures. Il est vrai que beaucoup de gens ne sont pas soigneux. Mais là ça n’est pas vraiment comme pour une voiture où vous ne savez pas si elle a été conduite pour aller à la pharmacie par un boomer à la retraite géante ou si elle a été conduite par un “jeune” pour faire du drift sur le parking du Franprix le dimanche soir. Non, je connais assez peu de gogoles qui vont dépenser 400€ dans un Richelieu pour se lancer dans l’ascension du Kilimanjaro. Enfin, maintenant plus rien ne m’étonne, ça doit bien exister, mais ça n’est pas la norme. Avec les chaussures, la majorité des gens les utilisent tout simplement pour marcher, et bien qu’il y ait une multitude de facteur qui peuvent accélérer l’usure d’une semelle (poids, humidité, démarche, distance parcourue...) les chaussures avec des semelles en cuir ont des siècles d’existences et il est absolument anormal qu’une semelle en cuir se troue en 3 mois. Les marques le savent bien, elles comptent un peu sur le fait que beaucoup de clients vont sortir leur paire une fois ou deux dans l’année, mais il y a “les autres” ces emmerdeurs qui portent des souliers toute l’année, c’est pour ça qu’elles poussent de plus en plus leur clientèle à adopter des semelles en caoutchouc.

Une petite sélection de semelles trouées comme on peut en voir passer sur les forums de temps en temps. Je rappelle que le client lambda ne poste pas spécialement sur les forums, chez un cordonnier vous en voyez passer beaucoup plus régulièrement qu’en ligne. Vous allez dire que les clients ne sont pas précautionneux, et c’est vrai, mais quand même. (Source: Ploucland)
Une petite sélection de semelles trouées comme on peut en voir passer sur les forums de temps en temps. Je rappelle que le client lambda ne poste pas spécialement sur les forums, chez un cordonnier vous en voyez passer beaucoup plus régulièrement qu’en ligne. Vous allez dire que les clients ne sont pas précautionneux, et c’est vrai, mais quand même. (Source: Ploucland)
Un bonbout lunaire sur une paire de Son of Henrey après simplement quelques ports (moins d’une dizaine) sur des trottoirs en béton par temps sec (j’ai des chaussures spécialement pour les jours de pluie). C’est de loin la paire qui a montré l’usure prématurée la plus grande parmi toutes celles que je possède dans l’entrée de gamme. Globalement j’ai remarqué que les chaussures qui sortent de chez Sendra (comme Son of Henrey ou Fitzpatrick) ont une propension à s’user plus rapidement au niveau des talons/semelles que leur concurrent chez Zarco, ne me demandez pas pourquoi, c’est aussi possiblement dépendant du donneur d’ordre. (Source: Sartorialisme)
Un bonbout lunaire sur une paire de Son of Henrey après simplement quelques ports (moins d’une dizaine) sur des trottoirs en béton par temps sec (j’ai des chaussures spécialement pour les jours de pluie). C’est de loin la paire qui a montré l’usure prématurée la plus grande parmi toutes celles que je possède dans l’entrée de gamme. Globalement j’ai remarqué que les chaussures qui sortent de chez Sendra (comme Son of Henrey ou Fitzpatrick) ont une propension à s’user plus rapidement au niveau des talons/semelles que leur concurrent chez Zarco, ne me demandez pas pourquoi, c’est aussi possiblement dépendant du donneur d’ordre. (Source: Sartorialisme)
À titre comparatif le bonbout d’une paire de Carlos Santos avec plus de ports (aucune idée du nombre exact). Je fais toujours plus ou moins le même trajet avec mes chaussures et dans les mêmes conditions et c’est en général le degré d’usure que j’ai sur la majorité des chaussures dans cette gamme de prix. C’est loin d’être une expérience empirique, juste une anecdote personnelle. (Source: Sartorialisme)
À titre comparatif le bonbout d’une paire de Carlos Santos avec plus de ports (aucune idée du nombre exact). Je fais toujours plus ou moins le même trajet avec mes chaussures et dans les mêmes conditions et c’est en général le degré d’usure que j’ai sur la majorité des chaussures dans cette gamme de prix. C’est loin d’être une expérience empirique, juste une anecdote personnelle. (Source: Sartorialisme)

Notez que je n’ai rien contre les semelles en caoutchouc, elles ont leurs avantages comme elles ont leurs inconvénients,mais nous aborderons toutes ces questions dans la seconde partie de cet article. Bien évidemment, comme leur nom l’indique, les semelles d’usure en cuir sont destinées à être remplacées. Elles ne sont pas éternelles, d’où l’intérêt des cordonniers. Mais les marques ont eu tendance à prendre cette expression un peu trop à la lettre, elles n’ont pas été pousser le vice jusqu’à créer des semelles à usage unique, ça ne serait pas vendeur, mais on n’en est pas loin. Et de toute façon elles peuvent toujours rejeter la faute sur l’utilisation du client, il y a déjà eu des discussions tenant de la cour des Miracles dans certaines boutiques, des boutiques tenues par des fous.

- “Mais que-ce que vous avez fait avec vos beaux souliers mon pauv’ Monsieur ?”

- “Bah, ce qu’on fait d’habitude avec des chaussures quoi, j’ai marché.”

- “Vous avez fait quoi ? Vous avez MARCHÉ avec ? Mais mon pauv’ Monsieur, des chaussures en cuir ça n’est pas fait pour marcher, c’est fait pour parler sur les forums, à la rigueur, poser sur Instagram en fumant un cigare.”

- “Bah oui d’accord, mais je fais quoi moi si j’ai besoin de sortir ma femme ou mon chien ?”

- “Faites comme tout le monde. Marchez sur vos mains.”

- “Et je fais comment pour tenir la laisse”

- “Avec les dents, évidemment”.

Plutôt que de demander aux clients de marcher en chaussettes ou sur les mains, il serait possiblement plus malin de proposer des doubles semelles, voire des triples semelles. Certaines marques le font mais là aussi, c’est cher et donc ça rogne, les doubles semelles de certaines marques sont plus épaisses que les triples semelles de leurs concurrents. Enfin, comme un lecteur l'a fait remarqué en commentaire, il faut tout de même relativiser la durabilité des doubles ou triples semelles, toutes ne se valent pas. Le mieux est simplement de ne pas utiliser des semelles de merde qui viennent d’on ne sait où, qui sont tannées on ne sait comment, et qui ont la même résistance que du papier mâché. Il suffisait d’y penser.

Mais les marques ça les emmerde de ne pas utiliser des semelles en carton, ça les emmerde car si ellesn ’utilisent plus du carton, elles ne peuvent plus vendre leurs pompes de merde à 200, 300 ou 400 euros. Et du coup elles ne peuvent plus habiller l’élégant wanabee, le cosplayeur des Discord et le marié bon à pigeonner. Et puis, il faut dire que certains, ça les arrange bien d’utiliser des semelles de merde, parce que derrière ils peuvent vendre le combo fer + patin directement au client et ça pour le double du prix d’un cordonnier. Quitte à être fils de pute, autant l’être complètement. Entendez-moi bien, je n’ai rien contre le combo fer + patin, je le recommande à tout le monde, tout le temps, sur toutes les marques. Les seules fois où je suis prêt à faire des exceptions c’est sur le bespoke, et encore si je sais quel cuir est utilisé pour les semelles. Il faut admettre une chose, le combo fer + patin, c’est une dérive, une réaction du client lésé qui vient palier à une défaillance systémique. Ça n’existait presque pas du temps où les semelles n’étaient pas découpées dans de la mozzarella. C’est comme les femmes qui n’osent plus sortir dehors après une certaine heure, c’est anormal, ça ne devrait pas arriver et ça n’arrivait pas avant, mais la société s’en est accommodée, alors vous pensez bien qu’elle peut s’accommoder d’autant plus facilement d’un petit fer et d’un petit patin. En même temps c’est une solution qui permet (pratiquement) de se passer des ressemelages, ça aussi les marques le savent, et elle se disent donc qu’elles n’ont pas besoin de payer pour des semelles de qualité, puisque le client fera poser un patin et un fer et que donc elle peut s’en laver les mains voire même choper un petit billet au passage si elles arrivent à pousser le client à faire l’opération chez eux à des tarifs proches de l’extorsion.

Les tarifs pour un fer et un patin chez Jfitzpatrick sont inversement proportionnels à la taille de l’individu. À ce prix-là vous n’avez même pas le droit à des vis en laiton. (Source: JFitzpatrick)
Les tarifs pour un fer et un patin chez Jfitzpatrick sont inversement proportionnels à la taille de l’individu. À ce prix-là vous n’avez même pas le droit à des vis en laiton. (Source: JFitzpatrick)
Le prix avec un fer Triumph (je suis prêt à parier que les vis sont seulement plaquées laiton). Je rappelle quand même que ces pompes coutent environ 280€ (les soldes sont presque constantes), 110€ c’est pratiquement 40 % du prix total de vente. Pour rappel, je paye mes fers environ 6€ la douzaine (les Triumph sont plus chers, c’est 6€ le fer) et qu’un patin (en fonction de la marque et de la gamme) ça va de 2 à 5€ le patin. (Source: JFitzpatrick)
Le prix avec un fer Triumph (je suis prêt à parier que les vis sont seulement plaquées laiton). Je rappelle quand même que ces pompes coutent environ 280€ (les soldes sont presque constantes), 110€ c’est pratiquement 40 % du prix total de vente. Pour rappel, je paye mes fers environ 6€ la douzaine (les Triumph sont plus chers, c’est 6€ le fer) et qu’un patin (en fonction de la marque et de la gamme) ça va de 2 à 5€ le patin. (Source: JFitzpatrick)
Moi ce qui me fait toujours mourir de rire ce sont les clients pigeons qui disent “investir dans une chaussure de qualité”  alors qu'il s'agit d'un private label lambda et qu’on leur vend un patin et un fer pour 30 % du prix de la chaussure. 2 bouts de quincaillerie et 20 minutes de travail. Et il n’y a rien qui cloche dans leur tête. Il n’y a pas que le sole bottom qui soit "bottom" dans ce cas. (Source: JFitzpatrick)
Moi ce qui me fait toujours mourir de rire ce sont les clients pigeons qui disent “investir dans une chaussure de qualité” alors qu'il s'agit d'un private label lambda et qu’on leur vend un patin et un fer pour 30 % du prix de la chaussure. 2 bouts de quincaillerie et 20 minutes de travail. Et il n’y a rien qui cloche dans leur tête. Il n’y a pas que le sole bottom qui soit "bottom" dans ce cas. (Source: JFitzpatrick)

Conclusion

Pour conclure la première partie de cet article sachez qu’il n’est pas possible d’estimer la durée de vie d’une semelle en cuir. Il y a beaucoup trop de variables. Certaines personnes vont pouvoir attendre 10 ans entre les ressemelages, d’autres 5 et d’autres beaucoup moins. La fréquence d’utilisation est vraiment un facteur qui est déterminant, parmi bien d’autres comme la démarche, le poids, le climat, et cela devrait être une évidence pour tout le monde. Il est en revanche également évident qu’il y a eu une baisse drastique dans la qualité des semelles et le marché s’est adapté en généralisant les patins en caoutchouc. D’autant que l’avantage des patins est d’améliorer l’adhérence et que pour beaucoup de gens c’est presque une considération qui est supérieure à l’usure. Sachez également qu’il y a quelques petites astuces à connaître pour aider à prolonger la durée de vie de vos semelles en cuir. Tout d’abord, il est bon de savoir que la moquette (surtout celle des bureaux de ploucs en open space) est extrêmement abrasive et potentiellement pire que le bitume. Sachez également qu’il est préférable de laisser sécher une chaussure humide sur sa tranche, et ce afin de permettre à la semelle de respirer. Sans cela, il y a un risque que de la moisissure se forme, ce que vous voulez éviter à tout prix. Maintenant que vous savez plus ou moins tout ce qu’il y a à savoir sur les semelles en cuir, nous allons passer dans la seconde partie de cet article aux semelles en caoutchouc.