Avant-propos
Il y a quelque chose de fascinant – et d'un peu exaspérant – dans la manière dont certains influenceurs semblent redécouvrir des concepts qui existent depuis des lustres, puis les exploitent de façon gimmick. Il n’aura échappé à personne que, depuis au moins quatre ans, tout le monde s'habille de manière plus décontractée, abandonnant ainsi les vêtements à connotation formelle. Cela semble avoir déclenché une réaction en chaîne chez les influenceurs experts en cravates sept plis, qui ont été obligés de s'adapter sous peine de devenir insignifiants. Le résultat ne s'est pas fait attendre, et il y a eu une batterie de changements radicaux qui peuvent se résumer à : "Je viens de virer ma cravate et remplacer ma chemise en popeline par une chemise en jean." Autant de radicalisme à notre époque est absolument bouleversant, le monde n'est pas fait pour des révolutions aussi révolutionnaires. Bref, il y a eu un barrage d'artillerie, et à pratiquement une semaine d’écart, on retrouvait Simone Crouton, Peter Zottolo et Mitchell Moss dans des tenues avec une chemise en denim, à croire qu'ils s'étaient donnés le mot.
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La nouvelle "tendance"



Notez que des trois menswearmusings est le seul à être resté fidèle à la pochette, par fidélité au hanky code sartorial. Leur timing est amusant, mais guère surprenant. Les influenceurs fonctionnent tous de la même façon ; leur cerveau n’a qu’un logiciel, celui des algorithmes, et comme si cela ne suffisait pas, ils se copient les uns les autres.

Il était d'ailleurs sapé de la même façon pour la dernière édition du Pitti Uomo, qui tient maintenant plus du rassemblement de COTOREP que du trade show.
D'ailleurs sans surprise il n'était pas le seul, puisque cette année il y avait une chiée de chemise en denim au Pitti.






La tendance est actée car on la retrouvait aussi à la Fashion Week, avec une forte présence du denim on denim, aka the canadian tuxedo, aka le look du lumberjack pédé.

Ça existe depuis les années 70, et c'est toujours aussi moche.

L'origine du mal
En ce qui concerne les influenceurs, cela les arrange. Ils n’ont également qu’un seul sujet de prédilection à la fois : globalement, pour eux, il n’y a qu’UN style : celui qu’ils prônent, celui des marques qui veulent bien leur donner de l’argent. Les types fonctionnent donc tous en unisson, puisqu’ils vont là où il y a de l’argent à prendre. À une époque, c’était la guerre des cravates 7 plis, des pochettes roulottées mains et tout le monde se battait pour savoir "qui c'est qui avait le Goodyear le plus durable de la planète dans le meilleur couir du monde". Aujourd’hui, c’est la chemise en denim western fabriquée À LEUH JAPON. Car en réalité, les influenceurs n’aiment pas LE vêtement, ils aiment l’argent. Si demain leur niche venait à s’assécher, ils se lanceraient dans un sujet parallèle où ils pourraient conserver une partie de leur audience : les cigares, les steaks, les spiritueux ou les salons de massage, pour eux, c’est la même chose. Notez, je ne leur reproche pas d’aimer l’argent, c’est très bien l’argent. À mon sens, il est plus grave qu’ils aient tous autant de personnalité qu’une serpillière à foutre, et qu’ils pensent découvrir l’eau chaude à chaque fois que les tendances changent. Ces gens sont des girouettes perpétuelles. Il faudrait faire une étude de faisabilité pour voir s'ils peuvent permettre de fournir une petite ville de province en électricité tant ils moulinent dans le vent.
Pour Crouton et Moss, avant 2019, le denim, ça n’existait pour ainsi dire pas. L’un pensait que c’était un tissu avec lequel on pouvait faire des costumes croisés bespoke chez Chifonelli ou des collaborations avec un chemisier italien ; l’autre n’en portait pratiquement jamais, en dehors du " casual friday", et jamais avec une veste sport. Je n’ai pas été vérifier pour Zottolo, parce que, franchement, j’aurais trop l’impression de consulter un numéro de "Têtu".
Par curiosité, j’ai été voir ce que Simone avait en stock sur son blog sur le sujet du jean. En 2014, il pense que c’est une matière intéressante, au même titre que les vestes rase pet trop étroites et les grigris à porter au poignet, car cela permet de "saper le conservatisme attaché au costume". On croirait entendre une féministe intersectionnelle à la fête de l'Huma… et le pire c'est que c'est une citation.

Le seul point où il n’a pas totalement tort, c’est quand il évoque le fait que les costumes en jean n’ont rien de neuf, puisqu’ils existaient déjà du temps de l’infâme Tommy Nutter. J’ai toujours un article en cours sur lui et sur Sexton ; je ne sais pas quand il sortira, car je suis actuellement le seul rédacteur encore à l’œuvre et j’ai un véritable métier à côté, mais c’est toujours un sujet au programme. Tout ce que l’on peut dire, c’est que la période Nutter, et plus globalement les années 70, n’étaient pas vraiment une époque glorieuse pour le vêtement masculin. Notez qu’il parle du jean dans le cadre du "tailoring". Car il y a eu longtemps, chez Crouton comme chez d’autres, cette perception que c’était un style "total", et que tous les hommes portaient des complets trois pièces et un fedora pour aller chercher leur croissant à la boulangerie du coin un dimanche matin. On a eu notre équivalent en français avec le style "sartorial", qui est plus ou moins le même non-sens. C’est pour cela que nous préférons l’expression "style classique", mais passons.
Le point d’orgue est atteint en 2017, quand il "commande" un costume (mal coupé et mal proportionné) en jean chez Chifonelli. 2017 est une période sombre, car nous sommes au sommet d’une mode débile qui faisait la promotion de combinaisons improbables et importables… comme un costume en jean. C’était à cette époque que les gens pensaient rendre leur tenue "plus décontractée" en mettant des pochettes sur des vestes sport, ou en faisant faire des patines bariolées sur des Richelieus. Les patines sont mortes, pas encore les pochettes...
Notez que dans tout l’article, Simone n’explique jamais la logique de sa démarche. Je soupçonne qu’il n’y en ait pas. L’objectif était simplement de faire parler de lui avec une pièce extravagante, comme lorsque le journaliste automobile Chris Harris avait acheté une Lamborghini au début de sa carrière pour faire parler de lui. C’est une pratique assez commune dans la heu… " presse" ? On peut supposer que l’idée derrière ce costume en jean était de "rendre moins formel" le croisé. Ce qui est une démarche globalement stupide. Je sais que nous en parlons sur le blog et que nous donnons des conseils sur comment y parvenir. Mais, à titre personnel, je trouve la démarche débile. Une veste croisée plus décontractée porte un nom : c’est une veste à boutonnage droit… Vouloir "décontracter" quelque chose c'est vouloir se compliquer la vie. Mais comme je disais, ce ne sont que des suppositions. J’imagine qu’il y a une raison parfaitement logique pour justifier un costume croisé en jean....

Je note deux choses particulièrement hilarantes dans l’article. La première est que Simone mentionne avoir refusé un boutonnage en configuration 6x1 "car trop tapageur". Dixit le type qui vient de recevoir un costume en jean croisé Chifonelli. C’est l’équivalent vestimentaire de parader sur les Champs-Élysées avec des plumes dans le cul, mais à les demander noires plutôt qu’argentées, car sinon ça serait trop tapageur.
Un autre point dans la même veine : il aurait préféré une épaule de type "chemise", qui aurait selon lui rendu la veste moins "dramatique" et donc plus versatile… au risque de me répéter, on parle d’un croisé en jean de chez Cifo. La versatilité d’une telle pièce se passe surtout dans la tête du porteur…
Il ne me semble jamais avoir vu de photo avec le costume complet. Ni même de photo du pantalon. Peut-être que je me trompe, car très franchement je n’allais pas passer des heures à chercher. Mais je pense que c’est parce que c’était un foirage complet. Les photos ultra-proches du sujet dans l’article original vont dans ce sens.

Il serait toutefois de mauvaise foi de ne pas mentionner qu’en 2017, il parle pour la première fois de chemise en jean, dans le cadre d’une collaboration avec Luca Avitabile, un chemisier italien. Sur le principe, on n’est pas loin de la veste en jean Cifo. À savoir qu’on a l’impression qu’il s’agit surtout d’une excuse. Je ne vois pas bien pourquoi ils ont favorisé le jean au chambray, si ce n’est pour faire parler. La démarche est à peu près la même.
Il y a eu un tournant avec la période de la panique sanitaire mondiale. À partir de ce moment, le vêtement s’est rapidement décontracté. On le voit assez clairement chez Simone, qui se met à parler beaucoup plus de jean qu’auparavant : il fait la promotion de Bryceland, il découvre la chemise western, etc. On a l’impression qu’il a récemment découvert quelque chose et en parle comme s’il venait de percer un mystère oublié du vestiaire masculin. Un peu façon "Martine au Grand Orient", "Martine fait sa première délation"... Soyons clairs : la chemise en denim n'est pas une nouveauté. Elle a été adoptée par les amateurs de sape depuis des décennies, des cowboys des plaines (qui n'existent que dans vos rêves et au Tegsas) aux ouvriers des grandes villes, jusqu'aux icônes de style contemporain. Mais quand un influenceur comme Simone s'empare du sujet, c'est comme si la chemise en denim venait tout juste de descendre des cieux, auréolée d'une lumière divine : "On va pouvoir faire des tunes avec nos chemises denim DU JAPONEUH !" Ça fait déjà des années que les marques de private label 2.0 se font des couilles en or avec des jeans nippons, il serait temps que le "monde sartorial" s’empare du sujet.
Je trouve cet engouement assez amusant : en général, quand les influenceurs commencent à parler d’un truc, c’est le moment d’aller voir ailleurs. Car ça va devenir débile très rapidement. Sur les réseaux, vous allez voir toute une réflexion sur les vertus cachées de la chemise en denim – sa texture robuste, sa capacité à se patiner avec le temps, sa versatilité… Ils vont faire des compétitions de distance, sur les toiles les plus robustes, les plus ceci, les moins cela. Lui et beaucoup d’autres semblent totalement ignorer que l'héritage vestimentaire est bien plus vaste et riche qu'ils ne l'imaginent, et cela ne fait qu'accentuer ce fossé entre ceux qui « vivent » la sape et ceux qui en « parlent ». Les chemises en denim n'ont pas besoin d'une nouvelle légitimité. Elles appartiennent à l'histoire du vêtement masculin, même si, à mon sens, elles n’ont pas un grand intérêt, à moins de vouloir faire son Gainsbourg sale, ou de jouer à Brokeback Mountain. Mais avant d’en parler plus en détail, je voulais juste revenir sur un point : dans les années 90, on voyait des chemises en jean un peu partout… mais Simone devait avoir la tête coincée entre ses fesses pour s’en apercevoir.

Delon était très coutumier du fait également (toutes ces photos sont des années 90)



Mais c'était loin d'être le seul.



Gainsbourg portait très souvent une chemise en denim.

C'est juste que chez lui c'était devenu une signature, comme son alcoolisme. C'est un style qui fonctionne bien hein, "le style crade", mais ça demande un certain niveau, le puceau de 18 ans qui veut se la jouer chanteur de varièt incompris va passer pour un gros autiste s'il a envie de copier ça.
Une tempête dans un verre d'eau
Maintenant que l’on a fait ce petit saut dans le temps, il est temps de dire pourquoi la chemise en jean n’est pas la révélation attendue. À titre personnel, je trouve que c’est un vêtement qui n’est ni confortable ni très pratique. Le jean, en veste comme en chemise d’ailleurs, ne protège ni du vent, ni du froid, ni de la pluie. Le denim est historiquement un tissu de travail, conçu pour être robuste et résistant, pas pour être confortable. Il est associé aux vêtements utilitaires, aux cow-boys et aux ouvriers avant d’être récupéré par la mode décontractée. Je comprends l’inspiration workwear et je vois ce que certains en font, mais cela n'est pas très intéressant. C'est plus un gimmick qui va et qui vient comme tous les gimmicks. Ça peut avoir son utilité, parfois ça fonctionne bien, mais globalement c'est assez "meh" et c'est une rustine pour les influenceurs qui ont besoin de toujours parler de "trucs neufs".
Il faut aussi noter que la chemise en denim est utilisée par les bobos depuis fort longtemps. Quand je vois ça: je vois ce genre d'énergie.

Mais globalement ça n'est pas ultra intéressant.



Parfois on frise le ridicule tant la parodie est prononcée :


On a aussi rapidement un effet Used car salesman, Florida, colorized. Comme ici:


Pendant ce temps, en Fronce, on arrive à faire pire. Personne n'a encore envoyé le mémo à Huguette que le denim c'était décontracté maintenant. Chez lui on est resté bloqué en 2017. Du coup quand ils sortent un article sur le sujet ça donne un beau tas de fumier écolo bio 2.0




L'arme secrète de la France :
