Test & Avis : les souliers Bridlen

Article mis à jour pour tenir compte de modifications que la marque compte apporter à certaines de ses gammes.

Avant-propos

Si vous n'avez jamais entendu parler de Bridlen ce n'est pas surprenant puisque nous sommes les premiers du web francophone à parler d’eux. Peut-être parce que les Lucaca, Valérien et tous les autres sont trop occupés à se palucher sur une énième marque en private label lancée façon Max Suceur. Non qu'il s'agisse de nous auto-congratuler comme beaucoup d'autres ont tendance à le faire dès qu'il s'agit de présenter une nouvelle “maison aux prix placés”, mais il s’agit simplement de souligner que ce n’est pas tous les jours qu’on a l’occasion de présenter en détail un “nouveau” fabricant.

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Les origines de Bridlen

Bridlen est un fabricant de souliers qui été co-fondé par Mr Hasan, le défunt père de l'actuel dirigeant Mohamed Affan, et Mr Watanabe. Pour ceux qui sont étrangers au monde de la chaussure, Jose Maria Watanabe est également impliqué chez Meermin en tant que directeur commercial, et a été à l'origine de l'implantation de la marque au Japon à ses origines. Il s'agit donc de quelqu'un qui ne manque pas d'expérience et surtout cela explique pourquoi Bridlen est une marque qui existe sur le marché japonais depuis 2011 avec une boutique en ligne doublée d'une activité de private labeling pour les grands distributeurs (pensez Isetan pour ceux qui connaissent) et autres fabricants de costumes japonais. Avant cela l’usine d’Hasan servait essentiellement à la fabrication de tiges pour le marché européen. Pour autant l’usine n’est ni localisée au Japon, ni en Europe, mais en Inde.

Le site internet de la marque. (Source: Bridlen)
Le site internet de la marque. (Source: Bridlen)

L'industrie Indienne du soulier

L’Inde est un pays qui prend une place de plus en plus importante dans l’industrie du soulier. Vous l’ignorez certainement, mais il est possible que vous possédiez des chaussures dont la tige a été cousue en Inde sans que cela soit mentionné nulle part. Je vais vous passer les détails légaux des règles d’importations et mentions de fabrications, mais un bon nombre de marques font piquer leurs tiges en Inde, ou encore utilisent des doublures en cuir de chèvre Indienne, tout en ayant la possibilité d’indiquer fièrement un “made in England” ou “fabriqué en France” sans que cela ne pose le moindre problème. Déjà dans les années 90 un certain nombre de marques Américaines comme Anglaises délocalisaient tout ou partie de leur production en Inde. Cette tendance n'a fait que s’accélérer au fil des années, favorisée par la rapide croissance du pays et bien évidemment par sa compétitivité salariale. Qu'il s'agisse de Loding, Loake, Herring, Grenson, Florsheim, Allen Edmonds…. Tous font fabriquer en Inde, parfois depuis très longtemps et avec un degré d’exigence variable. Car c’est là que le bât blesse, la production Indienne a souvent été très justement critiquée pour son manque de qualité.

On peut débattre pendant longtemps de la qualité des chaussures fabriquées en sous-traitance pour les marques Anglaises, Françaises, Italiennes, Américaines… Le fait est qu’elle ne m’a jamais impressionnée puisqu’elle a toujours été faite dans une optique de baisse des coûts et d’augmentation des marges. Le paradigme avec Bridlen est différent puisque leur objectif est de se faire connaître en tant que fabricant et ils sont avec quelques autres usines parmi les précurseurs de l’industrie du soulier Indien à vouloir se lancer avec leur propre marque. Si vous suivez un peu l’actualité internationale de la chaussure vous connaissez déjà Toramally, une autre marque indienne qui s’est spécialisée dans le cousu trépointe ou vous n’aurez pas manqué de remarquer que Luxire en plus de faire des chemises et pantalons se sont également lancés dans la chaussure (en faisant appel à une usine tierce pour la production). Signes que l’industrie indienne de la chaussure commence à entrer en effervescence et à se faire connaître à l’international autrement que pour sa sous-traitance.

Présentation de Bridlen et de leur offre

Avant d’entrer dans le vif du sujet et de commencer à parler vraiment de ce qui nous intéresse, à savoir les souliers, nous allons rapidement présenter ce que Bridlen propose à la vente afin de mieux situer la marque sur le marché actuel. Bridlen dispose principalement de 3 gammes, la Founders line, la Main line (toutes les deux cousues Goodyear) et enfin l’Essential collection en cousu Blake et originellement réservée uniquement au marché Indien, cette gamme sera bientôt disponible au reste du monde. Il existe quelques collections intermédiaires mais qui concernent surtout des chaussures plus décontractées du type blutcher ou loafers non doublées. Nous allons donc seulement nous intéresser à la Main line et à la Founders line. Toutes les chaussures sont fabriquées à la commande, il s’agit donc d’un système de made to order (MTO). Notez également que toutes les chaussures sont livrées avec un chausse-pied en bois, des lacets supplémentaires, et deux pochons de rangement.

La Main line, compose comme son nom l’indique la colonne vertébrale de la marque avec une gamme construite autour de 30 modèles, (richelieu, derby, wholecut, mocassin…) montés sur 6 formes différentes. Tous les modèles sont en cousu Goodyear sous gravure, le mur de montage est gravé machine, les contreforts en salpa, le bloc talon en cuir et vous avez le choix entre une semelle cuir Argentin ou une semelle caoutchouc. Le cuir Argentin des semelles et de la première de montage sera très bientôt remplacé par un cuir Italien à tannage extra lent. Les prix vont de 208€ à 265€ TVA et frais de ports inclus. Une paire de la Main line sera démontée par nos soins dans un prochain article. Nous présenterons la chaussure plus en détail à ce moment-là.

La paire provenant de la Main line qui va faire l'objet du démontage. (Source: Sartorialisme)
La paire provenant de la Main line qui va faire l'objet du démontage. (Source: Sartorialisme)

La Founders line comme son nom le laisse supposer a été conçue en hommage au fondateur de la marque, il s’agit de la collection avec le cahier des charges le plus exigeant, et la marque entend continuer de le faire évoluer dans ce sens. Pour l’instant vous avez un cousu Goodyear sous gravure, un mur de montage gravé machine, un bloc talon en cuir, une semelle Rendenbach et une sélection de cuirs spécifiques à cette gamme. À l’heure actuelle la Founders line s’articule autour de 3 modèles, une austerity, une adélaïde et une wholecut et un prix de 282€ TVA et frais de ports inclus. Vous avez la possibilité de faire poser un fer encastré de type Lulu ou Triumph sur simple demande.

Maintenant que vous en savez un peu plus sur Bridlen et sur ce qu’ils font nous allons nous pencher sur l’austerity brogue qui nous a été envoyée. Bridlen a eu la gentillesse de nous envoyer des photos de la paire pendant sa fabrication. Les autres photos ont été effectuées par mes soins.

L'austerity brogue de notre test, il s'agit d'un modèle de la Founders line. (Source: Sartorialisme)
L'austerity brogue de notre test, il s'agit d'un modèle de la Founders line. (Source: Sartorialisme)

Le style

Nous n’allons pas aborder plus que cela les questions de style. Les blogs adorent en faire des tonnes là dessus car ils n’ont rien d’autre à dire, personnellement ça m’ennuie au plus haut point. Surtout que dans le cadre d’une production industrielle qui doit plaire au plus grand nombre, vous n’allez pas avoir une cambrure extrêmement pincée, vous n’allez pas avoir des proportions exagérées, ou un patron ultra révolutionnaire. Vous êtes donc en présence d’une paire de Richelieu noire sur un patron de type austerity brogue avec un bout carré assez marqué. Il n’y a pas besoin de partir dans un élan de lyrisme con pour expliquer cela. Le modèle est à mon sens bien proportionné et plutôt racé pour de la chaussure industrielle, il évite l’écueil d’être lourd ou pataud. La finesse du piquage est très appréciable, mais nous allons revenir là dessus plus tard.

Les proportions sont bonnes. La lisse a été fraisée, la roulette PP gagnerait à être plus marquée mais à ce prix c'est du chipotage. Les plis sur la claque sont des plis d'aisance. (Source: Sartorialisme)
Les proportions sont bonnes. La lisse a été fraisée, la roulette PP gagnerait à être plus marquée mais à ce prix c'est du chipotage. Les plis sur la claque sont des plis d'aisance. (Source: Sartorialisme)

La forme

Tous les modèles de la Founders line sont basés sur la forme “Deus”. Il s’agit de la forme la plus récente lancée par la marque, elle se distingue par son bout carré. Elle est décrite comme étant généreuse et adaptée pour les pieds large, néanmoins je vous invite à prendre cette information avec des pincettes. Elle n’est pas nécessairement fausse, mais c’est simplement une information relative. Si vous avez lu notre article “Comment choisir un soulier : chaussant, forme et taille.” vous savez que les marques basent leurs standards sur les caractéristiques morphologiques dominantes du marché qu’elles souhaitent investir. Dans le cas de Bridlen il s’est agi pendant de nombreuses années du Japon et au cas où vous l’ignoriez les Japonais n’ont pas les mêmes pieds que les Européens. Ce qui est large pour eux a tendance à être plus standard en Europe.

En dehors d'une légère compression au niveau du cou de pied la forme me convient bien (Source: Sartorialisme)
En dehors d'une légère compression au niveau du cou de pied la forme me convient bien (Source: Sartorialisme)

J’ai le pied fin et j’ai toujours été très à l’aise dans les formes considérées comme étroites du marché Européen. En se basant sur mes préférences et sur leur expérience Bridlen m’a conseillé de partir sur une taille 6 uk. Avec le recul une taille 6,5 uk aurait été légèrement plus adaptée, notamment au niveau du cou de pied où je suis un peu comprimé. Pour l’anecdote, sachez que les Japonais ont en règle générale un cou de pied peu prononcé, ce qui explique probablement en partie cela. Après deux semaines le soulier à commencer à se faire à mon pied et est beaucoup plus confortable. Néanmoins les garants restent toujours un peu plus ouverts que ce que j’ai tendance à préférer sur un richelieu. À titre de comparaison la marque m’a recommandé de prendre un 6,5uk pour leur modèle provenant de la Main line et basé sur leur forme “Zip“ et j’ai été immédiatement à l’aise dedans. Sachez enfin que si vous passer commande d’une paire de chaussures et que la taille ne vous convient pas, Bridlen procédera à un échange sans surcoût, ce qui devrait palier à l’absence de magasin physique sur le territoire Européen.

Les garants sont légèrement ouverts à cause de mon cou de pied un peu trop prononcé pour cette taille 6 uk. (Source: Sartorialisme)
Les garants sont légèrement ouverts à cause de mon cou de pied un peu trop prononcé pour cette taille 6 uk. (Source: Sartorialisme)

Le cuir

Si vous avez lu notre article “Qu’est-ce qu’un soulier de qualité” vous savez à quel point c’est un sujet exaspérant à aborder à cause de l’excès de communication fait sur le sujet par toutes les marques qui mentent purement et simplement, galvaudent leur produit ou font du name dropping de tanneries sans avoir de quoi elles parlent. Pour la Founders line Bridlen sourcent pour l’instant leurs cuirs chez Annonay, du Puys et Weinheimer. Des tanneries qui sont donc connues, sans que Bridlen affirme pour autant “avoir le meilleur cuir du monde” car la qualité dépend du grade de la peau choisie et pas du nom de la tannerie. Quand cela est possible Bridlen essayent de sourcer uniquement des cuirs de catégorie A et B, mais quand cela n’est pas possible la marque reconnaît ouvertement bien souvent devoir sourcer des lots de catégorie A/B/C avec une répartition de l’ordre des 30 %/40 %/30 %. Encore une fois cela n’est pas du tout un problème, et cela ne devrait pas vous étonner, c’est la façon dont l’industrie du cuir fonctionne. Toutes les marques qui sont dans le segment de l’entrée et du milieu de gamme font exactement la même chose, à commencer par celles qui sont en private label. Celles qui disent le contraire mentent. N’espérez donc pas des paires immaculées, ce n’est pas la promesse qui est faite ici et de toute façon cela n’existe virtuellement pas en dehors du très haut de gamme.

La tige de ma paire avant le montage. Le cuir est propre et n'a pas encore reçu la moindre couche de finition. (Source: Bridlen)
La tige de ma paire avant le montage. Le cuir est propre et n'a pas encore reçu la moindre couche de finition. (Source: Bridlen)

J’ai volontairement choisi un cuir provenant de Weinheimer Leder pour ma paire car dans cette gamme de prix Weinheimer est légèrement supérieur à du Puy et surtout à Annonay. C’est du moins mon expérience pour avoir pas mal travaillé avec des lots provenant de ces tanneries. Cela ne veut pas dire que les paires fabriquées dans le cuir provenant d’Annonay sont toutes percluses de défauts, où que celles faites avec du cuir Weinheimer sont immaculées, juste que vous avez théoriquement une légère chance d’avoir un cuir un peu plus propre. C'est également un cuir que je trouve personnellement très confortable, assez souple et légèrement plus “gras” au toucher que ceux d'Annonay par exemple.

Le clicking

Bridlen travaille uniquement en MTO et par conséquent la marque fabrique des paires de chaussures et non des lots pied droit / pied gauche. Pour ceux qui l’ignorent les usines de prêt à porter dans l’entrée ou le milieu de gamme font fabriquer des pieds droits et des pieds gauches en séries pour ensuite les assembler en paires, ce qui engendre parfois des différences non négligeables dans l’aspect du cuir d’un pied à l’autre. Un bel exemple de cela est visible dans notre article “Meermin : des chaussures de qualité à moins de 200€ ?”.
À l’inverse la façon dont Bridlen procède permet d’assurer une certaine homogénéité dans l’aspect des chaussures. Cela ne veut pas dire que votre paire va provenir d’une seule et même peau, mais les ouvriers chargés de lever les peaux vont essayer de s’assurer que le grain et la couleur sont constants et ne présentent pas de différences majeures. Les coupeurs évitent systématiquement le cou et le ventre de la peau, et quand c’est possible ils vont utiliser les peaux de catégorie A pour les parties les plus visibles de la chaussure, les peaux de catégories B pour les parties moins visibles alors que les peaux de catégories C sont en générale réservées à la doublure, la languette et la baguette. Sur ma paire le clicking a été fait de façon intelligente, il y a bien quelques veines qui sont visibles mais elles sont placées à des endroits peu gênants. De même par endroit le cuir frisote légèrement mais c’est une fois de plus à des endroits qui ne sont pas très visibles.

Le cuir de cette paire est propre et comporte très peu de défauts. Les coupeurs ont bien fait leur travail, on voit par exemple une zone qui frisote au niveau du contrefort, un endroit peu visible. (Source: Sartorialisme)
Le cuir de cette paire est propre et comporte très peu de défauts. Les coupeurs ont bien fait leur travail, on voit par exemple une zone qui frisote au niveau du contrefort, un endroit peu visible. (Source: Sartorialisme)

Le piquage de la tige

Le piquage de la tige est très propre. La marque fait des coutures très serrées avec une densité qui varie entre 18 et 20 stitches per inch (SPI). Pour donner une idée Carlos Santos, Sendra et Carmina ont en général une densité qui varie entre 11 et 14 SPI ce qui est déjà plutôt dans la moyenne correcte et on parle de chaussures qui ne sont pas dans la même gamme de prix. Le fait que l’usine ait commencé par surtout faire du piquage de tige pour le marché Européen se voit. Le point d'arrêt qui vient renforcer la solidité des garants est cousu main, c’est un détail qui n’est pas en soi déterminant mais certains font passer ça pour un raffinement alors autant le mentionner.

Le travail de piquage est vraiment très propre pour une chaussure à moins de 300€ (Source: Sartorialisme)
Le travail de piquage est vraiment très propre pour une chaussure à moins de 300€ (Source: Sartorialisme)

Le montage

Bridlen s’est spécialisé dans le Goodyear “à l’ancienne” avec un mur de montage gravé machine et une couture à 360°. La différence avec un montage Goodyear à 270° se trouve au niveau du talon. Il n’y a pas de couche point, le mur de montage fait intégralement le tour de la première de montage. Trouver un mur de montage gravé sur une paire de chaussures à moins de 300€ est rare. C’est même une exception tant les murs collés sont devenus légions. En France Weston offre des murs gravés, l’usine de Malinge en produit également. Il y a d’autres marques à travers le monde qui en proposent mais Bridlen n’ont pas une concurrence très rude dans ce domaine, surtout à ce prix.
La première de montage est en cuir (encore une fois certains utilisent du salpa quand il ne s’agit pas de pire…) et dispose d’une belle épaisseur, cela est nécessaire puisque le mur est directement gravé dedans. Il n’est pas question de faire le parallèle avec un mur gravé à la main comme le blog des toujours polis peut le faire, ce n’est pas la même chose.

Le mur gravé machine sur la première de montage. Une technique qui a largement ma préférence par rapport aux murs collés. (Source: Bridlen).
Le mur gravé machine sur la première de montage. Une technique qui a largement ma préférence par rapport aux murs collés. (Source: Bridlen).
La première de montage avant qu'elle ne soit recouverte par de la pâte de liège. L’épaisseur de la couche de liège sera moindre que sur une paire avec un mur collé. Le mur gravé machine ayant une hauteur moins importante, il n'est pas nécessaire d'employer autant de liège. (Source:Bridlen)
La première de montage avant qu'elle ne soit recouverte par de la pâte de liège. L’épaisseur de la couche de liège sera moindre que sur une paire avec un mur collé. Le mur gravé machine ayant une hauteur moins importante, il n'est pas nécessaire d'employer autant de liège. (Source:Bridlen)

La couture petit point a une densité qui oscille entre 8 et 9 SPI, ce qui comparable à ce que font là encore Carlos Santos, Carmina, Sendra et beaucoup d’autres. La couture est plutôt régulière et ne se balade pas sur toute la largeur de la trépointe mais gardez à l’esprit que cela dépend bien souvent de la dextérité de l’ouvrier qui utilise la machine. Le montage est effectué sous gravure, à mon sens la gravure manque un peu de profondeur, c’est quelque chose que l’on rencontre assez souvent, chez beaucoup de marques et ce n’est pas vraiment problématique. Surtout si vous faites poser un patin.

La semelle en cuir Rendenbach. La gravure manque un peu de profondeur mais c'est un détail. Le talon est du type cuir coin caoutchouc et est très bien monté. (Source: Sartorialisme)
La semelle en cuir Rendenbach. La gravure manque un peu de profondeur mais c'est un détail. Le talon est du type cuir coin caoutchouc et est très bien monté. (Source: Sartorialisme)

Les renforts

En ce qui concerne les contreforts ils sont en salpa, généralement les marques dans cette gamme de prix utilisent du celastic. Le salpa est en tout point supérieur au celastic et va avoir pour avantage de se former un minimum au talon du porteur.
Le bout dur est en célastic, ce qui est la norme en prêt-à-porter. La marque a pour projet de passer au cuir pour les contreforts et le bout dur sur la Founders line mais elle ne sait pas encore quand cela sera possible. Le cambrion est en acier et est protégé par une couche de cuir. Généralement les marques utilisent du salpa mais ce n'est pas le cas ici ce qui est un très bon point. Et enfin, la marque utilise des ailettes de renfort en cuir, ce qui est excessivement rare. Normalement les renforts de tige sont bien souvent en tissu, le cuir ne se rencontre que très rarement et cela même sur des chaussures de haut de gamme.

Les ailettes de renfort en cuir, il s'agit d'un modèle différent du mien mais tous en sont pourvus. (Source: Bridlen)
Les ailettes de renfort en cuir, il s'agit d'un modèle différent du mien mais tous en sont pourvus. (Source: Bridlen)

Conclusion

Bridlen proposent avec ses Main et Founders line des chaussures extrêmement compétitives, cela ne fait aucun doute. Le montage est très propre et l’utilisation d’un mur gravé est un excellent choix. Leur objectif avec la Founders line est de continuer à apporter des améliorations, que cela soit dans le choix des matériaux comme dans les méthodes de fabrication avec l’introduction de plusieurs étapes effectuées à la main, si la promesse est tenue c’est une démarche très intéressante et prometteuse. Bridlen ne cache pas avoir encore beaucoup à apprendre et se montre extrêmement humble de ce point de vue, ce qui est toujours une bonne chose. Dans nos échanges avec eux les représentants de la marque ont constamment mentionner être conscient de ce qu’ils peuvent améliorer et demandaient activement notre opinion sur les chaussures. Ils étaient d’ailleurs très réceptifs à l’idée de faire un démontage. Cela change beaucoup de l’arrogance des private labels qui sortent tout juste d’école de commerce et qui prétendent être les meilleurs du monde. Ici ce n’est pas le cas, la marque reconnaît volontiers qu’elle peut progresser sur certains points, mais elle doit composer avec les défauts de ses qualités. En effet l’Inde est encore en plein développement et il est parfois difficile de trouver les bonnes machines ou le personnel compétent pour les utiliser. Globalement le produit est déjà très bon, si la marque parvient à accomplir ses objectifs et à fournir un produit de qualité constante, il y a fort à parier qu’il faudra compter sur eux dans les années à venir.

Le site de la marque : https://bridlen.com/
Leur instagram : @bridlenshoes

Démontage d’une paire de Meermin

Avant-propos

Meermin n’est en aucun cas affilié à cet article. Toutes les photos (sauf mention contraire) sont la propriété de Sartorialisme.com et ne peuvent être utilisées sans autorisation.

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La paire qui fait l’objet du démontage est présentée dans notre article précédent et a été achetée neuve début 2018, il s’agit d’un mocassin noir de type penny loafer en montage Goodyear sous rainette. Le modèle n’existe plus dans la collection actuelle de la marque. Cette paire compte environ une trentaine de ports et n’a jamais été portée sous la pluie, elle est donc en très bon état.

Cet article est par définition technique et assume que le lecteur a lu notre article “Qu’est-ce qu’un soulier de qualité”. Néanmoins, voici une illustration comportant quelques indications quant au vocabulaire qui va être utilisé. (Source: Alain Madec)

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Le démontage

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On commence par le démontage du bloc talon. Ce dernier est livré préfabriqué à la marque comme c’est la norme dans l’industrie. À titre informatif, traditionnellement les bottiers assemblent le talon couche par couche, dans le prêt-à-porter (PAP) cette façon de faire ne se rencontre que chez certaines marques du haut de gamme. Le bonbout est du type “cuir coin caoutchouc” et est maintenu par 6 petites pointes en laiton dont le rôle est surtout décoratif.

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Le bonbout en caoutchouc est exposé, on va pouvoir le retirer.

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Le bonbout en caoutchouc a été retiré, et l’on voit maintenant le premier sous bout. Ce dernier a été quadrillé pour permettre à la colle néoprène de mieux adhérer et donc de bien cimenter les deux pièces.
Cette photo permet également de voir l’état de la semelle d’usure, cette dernière bien qu’étant récente est assez usée surtout au niveau du bout. Ce n’est pas étonnant, à ce prix là vous n’avez pas du Bastin ou du Garat, patin et fer sont obligatoires ou en quelques mois vous pouvez trouer votre semelle.

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Le premier sous bout a été enlevé et l’on devine en dessous les clous vissés qui assurent le maintient du bloc talon à la première de montage. Le bloc talon est en cuir, c’est du croupon tannage végétal. Pour du PAP d’entrée de gamme c’est très bien. Il est rare dans cette gamme de prix de trouver du cuir où il est beaucoup plus commun de trouver des blocs talon en caoutchouc, salpa, voire même plastique avec enrobage “cuir”.

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On retourne la chaussure et on enlève la demi première de propreté (à droite), il est mesquin de ne mettre qu’une demi première de propreté mais c’est une économie courante dans cette gamme de prix.
La demi première de propreté a été collée sans attention particulière, dessus vous pouvez distinguer un “made in Spain” trompeur. Ce soulier date de la période où Meermin faisait fabriquer les souliers en Chine pour ensuite les “finir” en Espagne, cela démontre encore une fois qu’il ne faut pas se baser sur les indications de provenance. La production actuelle est exclusivement Chinoise.

En dessous de la demi première de propreté se trouve un morceau de polyéthylène ou de polypropylène blanc de faible densité, cela sert de padding pour le talon. On est très loin d’avoir quelque chose de qualitatif ou de confortable, mais encore une fois dans cette gamme de prix c’est la norme. En dessous de ce padding se trouve la première de montage en cuir avec les 7 clous vissés qui servent à maintenir le bloc talon. La première de montage est plutôt épaisse par rapport à la concurrence et présente l’avantage d’être en cuir, certaines marques parfois beaucoup plus chères utilisent du salpa…. coucou Alden.

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Les clous vissés maintenant exposés après avoir retiré une autre couche du bloc talon. La base du talon a été quadrillée pour permettre une meilleure adhésion de la colle néoprène au premier sous bout du bloc talon. Certain fournisseurs ne prennent pas le temps de quadriller cette partie et rendent le bloc talon beaucoup plus facile à démonter puisque la colle néoprène n’adhère pas aussi bien.

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Le bloc talon a été difficile à démonter ce qui laisse supposer une bonne durabilité dans le temps. Le fait que ce dernier soit fait de cuir et qu’il soit maintenu par 7 clous vissés et de la colle néoprène est un bon point. Beaucoup de marques se contentent bien souvent de 4 clous simples, parfois 3. La qualité dans le monde du soulier n’est pas linéaire, une paire de Meermin à 190€ peut avoir un meilleur bloc talon qu’une paire de Vass à 500 (qui est passé au salpa, du moins sur certains modèles) ou qu’une paire d’Alden à 650. Cette photo permet de voir la roulette d’emboitage, cette dernière n’est pas très marquée ni très belle mais elle a le mérite d’exister.

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On s’attaque maintenant à la couture petit point. Le plus simple est d’insérer un tournevis à tête plate pour séparer légèrement les semelles et ensuite couper la couture à l’aide d’un tranchet ou d’un cutter. Cette paire n’est pas destinée à être remontée, j’ai effectué le découpage rapidement et donc peu proprement. Je n’ai pas non plus pris la peine d’enlever les fils.

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Une fois la couture petit point coupée on peut “ouvrir” le soulier. Le rempli est en pâte de liège et est en bon état, cela n’est pas étonnant puisque la paire a été peu utilisée.

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Le cambrion est monté sous un morceau de salpa et l’ensemble est maintenu en place par un clou vissé ainsi que de la colle néoprène.

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Sans surprise le mur de montage est collé, le fil qui sert à la couture trépointe est noir et la couture a une densité de 2 spi. La bande de toile est de taille moyenne. Pour un mocassin un montage Blake aurait été plus approprié notamment pour sa souplesse, mais Meermin base sa communication sur le Goodyear master race. La tige et les renforts seront pourris avant le montage. Un non sens purement commercial pour appâter les débiles.

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Une fois que l’on a retiré le clou vissé on ôte le cambrion. Sans être difficile à enlever ce dernier résiste plus qu’avec d’autres marques où est il possible de l’enlever juste en soufflant dessus. Je déconne mais pas tant que ça. Le cambrion est en acier et est protégé par un morceau de salpa.

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L’emplacement du cambrion. Le fil se ballade est celui de la trépointe.

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Un petit détail qu’il est intéressant de noter, le couche point est maintenu en place par 6 pointes (semences), ce qui est la technique traditionnelle. De nos jours il est beaucoup plus commun d’utiliser des agrafes, du moins sur les productions qui sortent des usines Européennes.

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Sans la moindre surprise le bout dur est thermocollé comme sur pratiquement l’intégralité des marques de PAP. Toutefois, le celastic (ou autre thermoplastique utilisé) est de médiocre qualité, il est fin et peu rigide à la limite du papier à cigarette. C’est une économie de bout de chandelle sur un élément structurant important.

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Le contrefort est là aussi, sans surprise, en celastic ou tout autre matière thermoplastique. Comme sur le bout dur, il est extrêmement fin et peu rigide. Contrairement à ce qui a été avancé par le nain narcissique et alcoolique qui s’est autoproclamé snob de la pompe, il ne fait pas bon mégoter sur les contreforts. Il s’agit d’une pièce d’usure, structurante, et sur des mocassins il est particulièrement sollicité puisque beaucoup de gens n’utilisent pas de chausse-pied pour les mettre. Si un contrefort synthétique casse, il n’est pas réparable.

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Une comparaison rapide qui illustre le problème. Nous avons ici le pied droit de notre paire de Meermin (pied qui est resté intact). Et le pied gauche d’une paire de mocassin Carmina. En appliquant une pression sur l’arrière du contrefort il est facile de voir à quel point celui-ci se déforme. La pression est la même et il est évident que la paire de Meermin est extrêmement souple à l’emboitage, alors que la paire de Carmina est plus rigide. Il y a une raison derrière cela, Meermin utilise un celastic de qualité médiocre, Carmina utilise du salpa. Je ne vais pas réexpliquer la différence entre contreforts en celastic, salpa, et cuir, cela a déjà été fait dans notre article sur ce qu’est une chaussure de qualité.

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Les renforts sont simplement fabriqués dans une toile collée. Les ailettes de renfort en cuir sont uniquement présentes sur certaines marques haut de gamme.

Conclusion

Avant tout chose, il est important de comprendre que cette paire ne reflète pas nécessairement le reste de la production de Meermin. Chaque modèle est fabriqué selon son propre cahier des charges. Concrètement ce n’est pas parce que ce modèle avait un talon en cuir que c’est le cas des autres mocassins de la marque. Cela est d’autant plus vrai que la marque a vu la qualité de ses productions baisser de manière significative ces derniers temps, du moins en ce qui concerne les finitions et l’attention portée aux détails.      

     
Au final, quel est l’intérêt d’utiliser un montage Goodyear sur un soulier qui va devenir difforme à cause d’éléments structurants fabriqués dans du papier toilette glorifié ? L’intérêt pour la marque est de s’attribuer les qualités de durabilité du montage, pour les transposer au reste de la chaussure. Ainsi on opère le glissement d’une chaussure au montage durable, vers une chaussure durable. Habile, mais ce n’est pas la réalité. Meermin n’est pas le seul coupable de cette pratique, loin de là. Il faut garder à l’esprit qu’il s’agit de chaussures d’entrée de gamme, et que le concurrence n’est pas nécessairement meilleure sur ce point. Ou si elle l’est, elle pèche sur d’autres aspects. Il faut en plus souligner qu’avec un bon roulement et un bon entretien il est parfaitement possible de conserver une paire de Meermin plusieurs années sans soucis.     

     
Le bilan global est donc quand même plutôt positif. Le travail sur le bloc talon et la première de montage est particulièrement louable. L’utilisation de cuir pour ces deux éléments est assez rare dans cette gamme de prix et l’épaisseur de la première de montage est tout à fait correcte. La tige ne présentait pas de défauts majeurs mais ne mérite pas non plus d’éloges.      

Loding en difficulté, quel avenir pour la marque d’entrée de gamme ?

Article mis à jour le 14 Janvier 2022. La procédure de sauvegarde a été convertie en procédure de redressement judiciaire.

Avant-propos

Depuis le 7 Janvier 2021 Loding fait l’objet d’une procédure de sauvegarde. La procédure de sauvegarde a pour objectif de faciliter la réorganisation de l’entreprise afin de permettre la poursuite de l’activité économique, le maintien de l’emploi et l’apurement du passif. La société connaissait déjà des difficultés depuis plusieurs années et la situation économique actuelle n’a certainement rien arrangé. Loding n’est pas la seule entreprise du milieu à faire l’objet d’une procédure collective. Ceux qui nous suivent sur notre Instagram savent déjà qu’Alfred Sargent, le chausseur Britannique a été placé en liquidation judiciaire le 28 Janvier dernier. Sans parler des mystérieuses faillites d'un blogueur au nez refait, qui a probablement réinvesti son capital social chez Cifo... À travers cette procédure de sauvegarde Loding espère pouvoir éviter le même sort et poursuivre son activité.

Histoire de la marque

Loding est une entreprise familiale fondée par Michel et Vadim Gozlan qui en 1998 décident d’ouvrir une boutique de chaussure rue de Berri à Paris. Je vous passe les détails sur l’histoire de la société, on n’est pas dans Dallas et cela n’a aucun intérêt, mais sachez tout de même qu’avant de s’appeler Loding, la société s’appelait Olding, la dénomination sociale changera le 10 Janvier 2000 et que chez les Gozlan on aime bien les bourrins. La famille compte plusieurs éleveurs et propriétaires de trotteurs, vous savez donc maintenant d’où vient le nom et le logo de la marque. Parallèlement à Loding, Michel Gozlan est également le fondateur de la société Mario Dessuti. L’équivalent de Loding, mais pour les costumes. Lancée en 1988 cette marque a un concept simple : un prix unique et attractif (1000 Francs le costume à l’époque), un réseau de boutique luxueuse (en apparence) à travers la France et des produits plutôt qualitatifs pour de l’entrée de gamme avec un fabrication Française. Je précise cela car Mario Dessuti fait actuellement l’objet d’une procédure de redressement judiciaire.

Le site internet de Mario Dessuti annonçant le redressement judiciaire de la marque (Source: Mario Dessuti)
Le site internet de Mario Dessuti annonçant le redressement judiciaire de la marque (Source: Mario Dessuti)

Loding se développe rapidement car de la fin des années 90 au début des années 2000 l’entreprise est relativement seule sur son créneau, cela va lui permettre d’ouvrir plusieurs boutiques sur le territoire Français. Son modèle est basé sur celui de la société sœur Dessuti à savoir un prix unique, un vaste réseau de boutiques et un produit relativement qualitatif. En 2007 la décision est prise de partir sur un modèle de franchise et la marque pousse agressivement son concept afin de trouver des partenaires. Après le décès de Michel Gozlan en 2012, Nathan et Vanessa Gozlan respectivement son fils et sa fille prennent en charge la gestion de Loding ainsi que de Mario Dessuti et continuent de faire évoluer les marques, ou du moins c’est ce qu’ils tentaient de faire.

Les grandes heures

Le Loding de la grande époque, c’est un réseau de franchisés en augmentation pratiquement constante, vendant tous des chaussures en private label fabriquées par Carlos Santos au Portugal. Le prix est fixé à 150€ pour l’intégralité des modèles. Le montage est un Goodyear sous rainette tout ce qu’il y a de plus banal, mais à l’époque il y a encore peu de concurrence sur le Goodyear à bas prix. Il y a bien quelques modèles en Blake mais ils sont encore assez rares. Les cuirs sont corrects et il y a une vaste sélection de modèles. Tous ne sont pas du meilleur goût, certains sont même totalement douteux, mais il y a suffisamment de modèles pour que chaque plouc y trouve ce qu’il cherche. La prospérité est au rendez-vous, le business marche fort. Ça tombe bien puisque c’est l’un des arguments les plus vendeur que l’on puisse avoir lorsqu’on essaye d’étendre un réseau de franchisés. Et c’est justement ce que la marque s’attache à faire, avec un succès impressionnant, Loding promeut son modèle de franchise et est présent sur beaucoup de salons spécialisés sur le sujet comme le démontre la vidéo ci-dessous.

Vincent Di Nino, alors directeur du développement de Loding en train de vendre la Franchise. Il vante le passage de 10 à 24 points de vente en 1 an et demi, espère en ouvrir entre 8 et 10 points de vente en 2009, avec pour objectif final 50 points de vente en France. Et puis, pourquoi pas se développer à l’internationale pour la suite, rien n’est trop gros l’Espagne, le Portugal, la Suisse, le Luxembourg sont au menu pour peu que le Dieu shekel le veuille bien.

Et le fait est que le Dieu shekel est propice. Le réseau Loding, c’était 37 magasins implantés dans 3 pays, 14 millions d'euros de chiffre d'affaires, 13 ouvertures en 2009 et 8 projets d'ouvertures en 2010. En 2012 la marque réalise un chiffre d’affaire total de 22 millions d’euros, et finit par totaliser 68 points de vente. Une réussite incontestable. La marque bénéfice également du regain d’intérêt pour le style classique. Elle chausse toute une génération de jeunes, et sert souvent de première paire en cuir pour beaucoup de gens, dont de futurs calcéophiles forcenés. À l’époque Meermin n’a pas encore percé, la vente par internet n’est pas encore aussi prépondérante qu’elle l’est aujourd’hui, et les autistes d’école de commerce bouffeurs de quinoa importé n’en sont qu’à leurs balbutiements. Mais cela n’allait pas durer.

Le début des difficultés

L’impressionnant réseau de la marque n’est pas sans faille. L’implantation des boutiques n’est pas toujours judicieuse et les franchisés ne sont pas tous compétents. Les conseils prodigués varient énormément en qualité en fonction des lieux d’achat. Beaucoup de clients reçoivent des chaussures qui ne leur vont pas, ou on leur explique que pour entretenir une paire il faut bien la cirer…Commence le jeu des chaises musicales, un certain nombre de franchisés ferment, d’autres ouvrent ailleurs. À partir de 2014/2015 la marque voit la concurrence sérieusement se développer. L’effet Meermin est passé par là, l’entreprise sino-majorquine propose des chaussures à des prix compétitifs, un système de MTO original, et une grande variété de modèles et de formes. Meermin comprend également le potentiel qui est présent parmi les blogs et l’internet. La marque s’acoquine avec toutes les influenceuses possibles et imaginables, elle inonde le net de reviews et fait jouer une communication très agressive. Elle parle aussi le langage des lecteurs de blog et autres amateurs, en mettant en avant, sur le papier du moins, des éléments laissant penser à une production de qualité. Elle détaille les avantages de son parc de formes, elle met en avant une fabrication “traditionnelle”. Tout ceci n’est bien évidemment que de la communication, mais la réalité est que dans l’entrée de gamme il y a un avant et un après Meermin. En parallèle, Loding ne comprend pas les attraits de l’internet et peine à communiquer avec sa cible, les jeunes actifs. La marque joue plutôt l’image du luxe accessible, avec ses boutiques à moquette épaisse et à fauteuil en cuir. Elle ne communique pas sur son parc de forme, normal, elle n’en a pas puisqu’elle travaille avec les formes de Zarco. Chez Loding le chaussant c’est accessoire, beaucoup de franchisés ne savent même pas ce dont il s’agit. Comme ils ignorent tout des tenants et aboutissants du soulier. Pour tenter de se rattraper la marque lance alors différentes gammes d’accessoires, elle propose maintenant des chemises, des cravates, des pulls, mais la qualité n’est pas au rendez-vous, et l’on devine que ces accessoires font l’objet de marges juteuses. En parallèle, le coût du cuir connaît une augmentation, les marques en private label commencent à apparaître un peu partout et face à ces différents facteurs Loding augmente ses prix de 150€ à 160€ puis à 180€ et ainsi de suite au fil des années pour arriver au 195€ d’aujourd’hui.

Les difficultés s’accumulent

Pour lutter face à une concurrence toujours plus féroce Loding décide de se développer vers le bas, comprendre par là, faire des produits moins chers et augmenter les marges. Une décision étrange quand on prétend faire du luxe, mais qui sait peut-être qu’ils espéraient trouver du pétrole. Jusque-là Loding faisait produire ses chaussures en private label essentiellement chez Zarco. Il y a peut-être eu quelques modèles produits ailleurs mais Loding se limitait à l’Europe jusqu’à ce que la société trouve de nouveaux fournisseurs Inde, tout en conservant une partie de la production Zarco. Seul problème, la marque n’indique pas de façon transparente la provenance de ses chaussures, et les modèles Indiens ne font pas l’objet d’une ligne à part à moindre coût. Ils sont directement intégrés dans le cœur de la gamme. J’en veux pour preuve cette image qui est tirée de la vidéo réalisée pour Loding par Mayday, un magazine spécialisée dans l’assistance aux entreprises en difficulté.

Des Chelsea modèle 367 en cousu Goodyear dans l’usine Indienne qui assure la production de Loding. Les semelles utilisées sur les modèles Indiens sont facilement reconnaissables et sont présentes sur plusieurs modèles à 195€ de la marque. (Source: Mayday)
Des Chelsea modèle 367 en cousu Goodyear dans l’usine Indienne qui assure la production de Loding. Les semelles utilisées sur les modèles Indiens sont facilement reconnaissables et sont présentes sur plusieurs modèles à 195€ de la marque. (Source: Mayday)
Les semelles Indiennes (Source: Loding)
Les semelles Indiennes (Source: Loding)
Les semelles Portugaises (Source: Loding)
Les semelles Portugaises (Source: Loding)

Il est possible que Loding ait volontairement utilisé ce stratagème pour pouvoir faire fonctionner sa politique de prix unique. Les modèles Indiens coûtaient moins chers et tiraient les marges vers le haut alors que les modèles Zarco étaient là pour assurer le coté qualitatif, sans que le client lambda ne sache si sa paire venait de Zarco ou du tiers monde. En plus de cela, les modèles en Blake se multiplient également et globalement la qualité est à la baisse. Dans cette stratégie de développement par le bas la marque lance aussi ses premiers modèles de baskets. C’est formidable ça les sneakers, ça coûte trois fois rien à produire et ça se vend à peine moins cher qu’une paire montée en Goodyear.

En 2017 Loding lance en grande pompe son “bar à patine”, ils vont jusqu’à se payer 3 pages dans le numéro 53 de Trépointe pour promouvoir la chose tout en annonçant “s’être réinventé”. Nous reviendrons là-dessus. L’intérêt pour la marque de proposer des patines est double, d’une part cela permet d’utiliser du crust, et le crust c’est bien quand on perd de l’argent parce que c’est moins cher que le box calf. D’autre part cela permet de nourrir l’espoir de devenir une sorte d’Altan ou de Legazel du pauvre et d’attirer une clientèle nouvelle. Loding propose donc pour la première fois des paires en crust, avec une patine à prix unique de 70€. Mais c’est trop peu, trop tard. La direction a totalement ratée le train. Entre 2008 et 2013, pendant les années où la patine était en vogue, le patineur Parisien Paulus Bolten a décapé et patiné des centaines de paires de Loding. C’est bien simple à une époque il n’y avait pratiquement que ça chez lui. Certains clients lui demandaient même si il était possible de patiner autre chose. Loding est complètement passé à côté de cette tendance lorsqu’elle était juteuse et ce n’est pas son patineur sapeur de Ouagadougou qui réussira à sauver la situation. La clôture de l’exercice comptable pour l’année 2017 se fait dans la douleur malgré un chiffre d’affaire de plus de 9 millions d’euros l’entreprise enregistre une perte de 811 964 euros. C’est un échec.

En plus d’avoir raté la vogue des patines Loding a raté son expansion à l’international et a ignoré de nouveaux marchés porteurs, comme les Etats-Unis, qui ont été le territoire de chasse favori de Meermin. Les sino-majorquins s’y sont rapidement implantées et y ont installées une unité de stockage ainsi qu’un magasin. L’effort de Loding s’est limité au lancement d’un site internet pour le continent Nord-Américain, qui ne propose en réalité rien de différent, si ce n’est la géolocalisation par cookies. De cette façon les clients d’Outre-Atlantique doivent acheter les paires au prix fort, car les prix ne sont pas les mêmes qu’en France. Est-ce par mépris, par arrogance, ou par crasse ignorance commerciale, les prix de Loding en Amérique sont presque le double de ce qu’ils sont en France. Comptez $375 pour un cousu Goodyear, $275 pour du Blake, ce qui au taux de change actuel équivaut à 308€ et 225€… Pour rappel, les prix de Loding en France sont de 195€ pour du GW et de 140€ pour du Blake. Insulte suprême, les prix Américains sont annoncés comme déduit de la TVA, il n’en est rien. Certes le client Américain ne paye pas la TVA Française de 20 %, mais le prix n’est pas pour autant 20 % moins cher. En réalité ces 20 % vont dans la poche de l’entreprise, mesure désespérée d’une société à la dérive. Forcément, ne bénéficiant là-bas d’aucune image de marque, étant de parfaits inconnus, sans aucune présence, ni aucun effort marketing et avec des prix disproportionnés la marque réalise là-bas des scores médiocres. Alors, certes il y a bien les 2 magasins à Toronto, mais même avec toute la bonne volonté du monde Toronto ce n’est pas NYC. Pour 2018 les ventes à l’export représentaient à peine plus de 800 000 euros, alors que celles en France dépassaient les 8 millions d’euros.

Le site Internet Français de Loding. (Source: Loding)
Le site Internet Français de Loding. (Source: Loding)
Le site Américain de Loding. Notez les prix gonflés et l’absence de solde. (Source: Loding)
Le site Américain de Loding. Notez les prix gonflés et l’absence de solde. (Source: Loding)

En l’absence de solution immédiate à ses problèmes de rentabilité, la marque commence alors à se perdre et à verser petit à petit dans une sorte de schizophrénie. Elle s’imagine être une marque de haut de gamme aux boutiques à l’atmosphère cossue et aux fauteuils en cuir vendant un produit de luxe, mais attention, de luxe abordable. Ce mirage du luxe abordable sans être la cause directe de la perte de la société est responsable d’une communication mégalomane, incompréhensible et pleine de désillusion. C’est ainsi que Loding lance en 2018 une chaîne Youtube absolument fascinante d’incompétence dont l’échec est tel que même les aveugles en perçoivent l’horreur. Je vous laisse juger par vous-même.

C’est également durant cette même année 2018 que la marque enregistre une perte totalisant cette fois 1 274 571 euros. 462 000 euros de plus que l’année précédente. On pourrait penser que voir l’entreprise saigner à blanc pousserait les propriétaires à arrêter de jeter de l’argent pour les clips vidéos abscons mais il n’en est rien. La marque entretient des liens avec Pointure, qui est l’un des principaux média qu’elle utilise pour communiquer. Pointure qui est un magazine de niche, qui s’adresse surtout aux calcéophiles  de salon sans aucun savoir technique et dont la principale caractéristique est d’avoir plus d’argent que de bon goût. En collaboration avec Pointure et la société sœur de Loding, Mario Dessuti le clip suivant est réalisé :

Musique catchy, mépris des responsabilité, diversité inclusive mettant en scène les prix Nobels de demain dans leurs tenues de ploucs. L’un fait du skateboard, l’autre semble prit de convulsions ou exécute des danses ethniques, on ne sait pas très bien. La cible est clairement jeune, sauf que les jeunes ne lisent pas Pointure et les mannequins présent dans la vidéo n’existent que sur Instagram ou dans l’imaginaire des gauchistes mondialistes. La réalité est autre, mais les publicitaires ont leur vision du monde.

Plongé dans une situation économique déjà critique Loding est frappé de plein fouet par la fermeture des boutiques, le cœur de son système de vente, et se retrouve dans une impasse. La solution ? Faire un nouveau clip vidéo pardi. Cette fois la marque est à la recherche de nouveaux investisseurs.

Musique dramatique avec des violons de rigueur, images de boutiques de luxe, de tranchets et d’usine en Inde... la marque se prend à son propre rêve d’être un ambassadeur du luxe. L’effort est pathétique et désespéré.

Quel avenir pour la marque ?

Loding n’ont jamais été en mesure de comprendre les enjeux ni de la communication ni de l’internet. Ils se sont retrouvés prisonniers d’un système commercial basé sur la franchise daté difficile à restructurer à cause de sa lourdeur et de sa rigidité. Les gestionnaires ont été incapable d’anticiper les changements clés qui ont impacté leur secteur, que ce soit avec Loding comme avec sa société sœur Mario Dessuti et payent aujourd’hui le prix de plusieurs années passées dans l’incapacité de redresser la situation. La procédure de sauvegarde dont Loding fait l’objet va tout d’abord comporter une phase d’observation qui peut durer jusqu’à 6 mois, renouvelables. Un plan de sauvegarde sera ensuite proposé pour sauver la société. Peu importe le contenu du plan il ne fait aucun doute que Loding est amené à changer de façon radicale, pour le meilleur ou pour le pire.