Comment faire de l’argent avec des déchets. Ou pourquoi le cuir blanc est une immondice

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Avant-propos

Aujourd’hui il est très facile pour une marque de faire de l’argent en recyclant des déchets. Et non, je ne parle pas d’écologie mais plutôt de la façon dont certaines marques utilisent des produits bas de gamme et qui par un subtil jeu de communication le transforment en produit de luxe à la mode. En soi la stratégie n’est pas nouvelle, elle est même très bien rodée, c’est pour ainsi dire la base de l’industrie du luxe depuis les années 70 et à juger par les fortunes amassées par les quelques noms du milieu, c’est une voie excessivement lucrative. C’est également la tendance actuelle dans le tekouère, cette mode qui consiste à vendre aux petits bobos écolos du marais des vêtements supposés permettre de partir en OPEX ou à la conquête de l’Everest. Il faudra d’ailleurs qu’on m’explique cette propension qu’on les écolos hypocondriaque des villes à acheter du tekouère fabriqué avec du polytétrafluoroéthylène, du polyester, et autres polyéthers, des matériaux très éco-responsables, fabriqués dans des pays très impliqués dans la sauvegarde de l’environnement, dans des conditions probablement ultra nettes. Même si je sais très bien qu’ils ont des arguments tout trouvés “non mais en fait les matériaux viennent du recyclage“, ce qui nous ramène à notre point de départ, ils vendent bien des déchets au prix de l’or. Entre nous, l’un des intérêts du tekouère, du point de vue des fabricants de matériau est de pouvoir breveter leurs nouvelles trouvailles et leurs isolants magiques, le reste hein ils s’en foutent bien. Mais comme ce sont des marques cool et rigolotes, le bobo est content. Comment est-ce que je sais que ce sont des marques cools et rigolotes ? Elles le disent elles-mêmes. Connaissez-vous “Sympatex” ? C’est réputé dans le milieu et leur nom est un mot-valise qui vient de l’assemblage entre “sympathetic” et “textiles”. Comment ne pas leur faire confiance ?

Un autre déchet que l’on croise assez souvent chez les bobos urbains sont les sneakers en cuir blanc. Ce qui ne me dérange pas plus que cela tant qu’elles sont vendues à des prix normaux mais dès qu’on essaye de les refourguer à des prix plus élevés, ça coince, surtout si c’est sous prétexte d’avoir utilisé un cuir de qualité. Tout simplement car le cuir blanc c’est jamais “de qualité” et peu importe là où vous le trouvez : que ce soit des spectators voire pire…. des mocassins… ou de la maroquinerie, le cuir blanc est une engeance. Car le cuir blanc, c’est comme les licornes, ou le yéti, ça n’existe pas. Le cuir blanc c’est une illusion, une chimère, comme les sourcils d’Edouard Philippe, une minute ils sont là, le lendemain ils ont disparus. Ont-ils seulement jamais existé ? Le cuir blanc c’est comme l’assimilation, ça ne fonctionne que dans la tête de ceux qui y croient. Est-ce que quelqu’un a déjà réellement vu du cuir blanc ? C’est comme la bête du Gévaudan. Certains disent l’avoir croisé, mais de loin, tard le soir, par une nuit de pleine lune. Le cuir blanc, c’est comme l’hétérosexualité de Manu 1er, une perpétuelle quête… de la quéquette.

Le cuir n’est tout simplement pas fait pour être blanc, le cuir au tannage végétal naturel a une couleur un peu pêche, le cuir tanné au chrome est bleuté, quand le cuir est blanc c’est qu’il est aussi artificiel qu’un sourire Colgate, il sonne faux comme un journaliste et vieillit comme une starlette hollywoodienne botoxée qui a dépassé sa date de péremption. Le cuir blanc c’est un discours de campagne, du vent et des promesses sans aucune substance. Le cuir blanc, chez Hermès, c’est une erreur de casting entre le craie et le gris perle, c’est une occasion manquée de montrer qu’on a du goût, une preuve de cécité, un aveu d’appartenance aux classes laborieuses. Le cuir blanc chez Chanel, c’est un plafond en mousse polyuréthane projetée. Le cuir blanc chez Weston c’est de la peau d’albinos vendue au prix de l’or. Le cuir blanc d’Asphalte, c’est une visite chez le dermato.

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Sous-traitance et méthodes de fabrication dans la maroquinerie de luxe

Avant-propos

Si vous ignorez tout du marché de la maroquinerie, nous vous conseillons de commencer par lire notre précédent article intitulé “état des lieux de la maroquinerie de luxe”. Il présente la façon dont s’est structuré ce marché et permet de mieux comprendre le sujet que nous allons développer aujourd'hui.

La maroquinerie de luxe est un milieu qui contient une certaine part d’opacité, notamment car il s’agit de faire payer très chers des produits industriels fabriqués à la chaine qui sont censés être luxueux. Dès lors que le client est reçu dans des showrooms vaguement cossus on met parfois des gants blancs, on parle avec des trémolos dans la voix de “fabrication artisAnale”, de “fait main”. Chez Hermès on va jusqu’à donner rendez-vous pour l’achat de certains sacs à main “en raison de leur rareté”. En réalité, derrière les simagrées les marques sont de plus en plus désespérées pour produire toujours plus vite et pour cela elles sont prêtes à faire beaucoup de concessions en ce qui concerne la fabrication. Dans cet article nous allons justement vous expliquer comment les grandes marques de luxe fabriquent leur maroquinerie.

Le marché Chinois, l’une des raisons derrière la demande soutenue que les grandes marques doivent satisfaire. (Source : UBC)
Le marché Chinois, l’une des raisons derrière la demande soutenue que les grandes marques doivent satisfaire. (Source : UBC)
Gants blancs de rigueur chez Chanel, même si la qualité décline de manière constante depuis au moins la fin des années 80. (Source : Chinadaily)
Gants blancs de rigueur chez Chanel, même si la qualité décline de manière constante depuis au moins la fin des années 80. (Source : Chinadaily)

Commençons par rétablir une vérité qui pourrait sembler évidente, et qui pourtant ne l’est pas pour beaucoup de gens. Non, la maroquinerie Dior, Chanel, Lancel, Hermès, Louis Vuitton, Cartier, Lonchamp etc etc n’est pas fabriquée main. En réalité la vaste majorité de la maroquinerie qui se trouve sur le marché aujourd’hui fait l’objet d’une fabrication industrielle ou semi industrielle, des machines sont utilisées tout au long du processus de fabrication et par conséquent il est mensonger de parler de fabrication main. Bien évidemment dès qu’il s’agit d’une règle il existe des exceptions mais il ne s’agit bien que d’exceptions. Nous avons déjà abordé cette question dans notre “état des lieux de la maroquinerie de luxe” mais nous allons l’approfondir ici. Il s’agit ici de donner une vision d’ensemble, nous n’allons pas aborder tous les cas de figure, toutes les situations, l’idée est de vous donner une compréhension globale des processus de fabrication employés dans le milieu. Bien qu'il soit probablement complexe pour le profane cet article est donc schématique.

Les processus de fabrication

Avec l'industrialisation massive de la maroquinerie les processus de fabrications se sont dramatiquement standardisés. Cela étant dit les grandes étapes de la fabrication sont les mêmes dans la maroquinerie artisanale et dans la maroquinerie industrielle ou semi industrielle. La différence se fait au niveau de la mise en application. Dans l’artisanat c’est bien souvent une seule et même personne qui va réaliser toutes les étapes du processus. Dans l’industriel voire le semi-industriel vous avez en revanche plusieurs personnes qui vont intervenir et qui en général ne réalisent qu’une étape bien spécifique. De nos jours certaines usines se content d'assembler des kits de pièces qu'elles reçoivent, parfois en provenance de l'étranger. Hermès se targue d’être une exception et prétend que chaque sac est réalisé par une seule personne de A à Z… ça n’est pas totalement vrai. Le choix et l’examen de la peausserie est fait en amont par un autre employé, il en va de même pour la coupe. Il est en revanche exact de dire que la marque segmente un peu moins que beaucoup de ses concurrents.

On peut découper le travail de fabrication d'un objet de maroquinerie en trois grandes phases. Il y a tout d'abord la mise au point du modèle, puis le travail de préparation et enfin le travail d'assemblage. Il existe bien évidements des étapes intermédiaires qui peuvent s'ajouter en fonction des objets fabriqués, on pense par exemple au travail de fermeture pour un sac (on parle alors du travail de bijouterie) etc etc.

Conception

Le travail de conception vise à imaginer un produit et implique la création de prototypes et de gabarits pour la découpe. Dans l'industrie cette étape implique plusieurs personnes, dont des créateurs de mode, des designers... Dans l'artisanat le maroquinier est le penseur de ses créations et il a (normalement) été formé à la création de patrons et gabarits. Certains artisans travaillent parfois avec des designers mais c’est une pratique qui est relativement rare. Le travail de prototypage et d’élaborations des gabarits est fortement numérisé. Seul les artisans le font encore à la main et pas nécessairement de manière systématique. C'est un domaine dans lequel l'informatisation a facilité énormément de choses.

Réalisation d’un dessin de designer pour un modèle de sac Dior. L'objectif est de finaliser l'esthétique du produit. (Source: Dior)
Réalisation d’un dessin de designer pour un modèle de sac Dior. L'objectif est de finaliser l'esthétique du produit. (Source: Dior)
Prototypage de sac réalisé par ordinateur. (Source : Cad software)
Prototypage de sac réalisé par ordinateur. (Source : Cad software)
Patron papier de portefeuilles. Le patron de gauche a été réalisé par ordinateur. Celui de droite à la main sur papier millimétré. (Source : Sartorialisme)
Patron papier de portefeuilles. Le patron de gauche a été réalisé par ordinateur. Celui de droite à la main sur papier millimétré. (Source : Sartorialisme)

Préparation

Vient ensuite le travail de préparation. Il est divisé en deux grandes étapes, il y a tout d'abord la découpe et ensuite la mise à l'épaisseur. Il peut également y avoir un travail de rigidification. Idéalement un cuir doit avoir une “main” en accord avec l’utilisation qui va en être faite. Mais c'est de moins en moins le cas, il peut alors être nécessaire de renforcer certains cuirs par du box, une toile, du salpa ou tout autre renfort synthétique pour éviter qu'ils ne se déforment. C’est notamment le cas lorsque vous voulez travailler du cuir tanné au chrome. Toutes les marques ne prennent pas la peine de rigidifier les cuirs trop souples, vous avez donc des produits sans structure qui vont se déformer rapidement. Notez que l'inverse peut également se produire, à savoir que certaines marques utilisent des cuirs trop rigides ou rigidifient trop un cuir souple.

La préparation se fait de plus en plus dans des usines dédiées, les pièces de cuir sont ensuite envoyées sous forme de kits à d'autres usines qui sont chargées de faire l'assemblage. Nous allons voir pourquoi plus loin, mais cela tient essentiellement à l'incompétence générale des ouvriers du milieu, qui en réalité ne font qu'une chose toute leur vie.

Historiquement la découpe se faisait à la main puis est apparue la presse hydraulique et en enfin la découpe laser ou encore à eau. Le levage des peaux à la main se rencontre encore chez certains artisans ou certains faiseurs semi-industriels, le principal inconvénient de cette méthode repose sur sa lenteur. La découpe à la presse hydraulique ou au laser/eau permet un gain de temps considérable c’est d’ailleurs pour cela que ces deux méthodes sont utilisées par tous les grands groupes du luxe. Même Hermès est passé de la découpe manuelle à la presse hydraulique vers la fin des années 80, années charnières pour le groupe qui avait jusque-là la réputation de faire passer la qualité avant la rentabilité. La mise à l’épaisseur est une autre étape qui a fortement été mécanisée, aujourd’hui certains artisans travaillent avec des pareuses mécaniques car le gain de temps est absolument considérable. Le parage manuel étant une technique qui requiert précision, patience et dextérité, des qualités qui ne riment pas avec vitesse. Dans l’industrie il est extrêmement rare de trouver du parage manuel, sauf lorsqu’il n’est pas possible d’utiliser une pareuse mécanique. Certaines marques ne parent rien du tout, on trouve ainsi sur le marché bon nombre de portefeuilles ou porte-cartes qui ont l'épaisseur d'un mauvais sandwich Sodebo.

La découpe des peaux chez Hermès. Depuis la fin des années 80 la marque est passée aux emportes pièces (à gauche), mais la marque utilise également la découpe laser depuis quelques années (à droite). En revanche l’atelier de sellerie du Faubourg Saint-Honoré fait toujours la découpe à main. (Source : Hermès)
La découpe des peaux chez Hermès. Depuis la fin des années 80 la marque est passée aux emportes pièces (à gauche), mais la marque utilise également la découpe laser depuis quelques années (à droite). En revanche l’atelier de sellerie du Faubourg Saint-Honoré fait toujours la découpe à main. (Source : Hermès)
Choix d’emportes pièces pour la fabrication des bracelets de montre Camille Fournet (Source : Camille Fournet)
Choix d’emportes pièces pour la fabrication des bracelets de montre Camille Fournet (Source : Camille Fournet)
Trois types de couteaux à parer sur un bloc de granit servant de pierre à parer. Le premier (à gauche) utilise une lame de rasoir qui est remplaçable. Le second (au centre) est un couteau dit Japonais et est en réalité multi-usage. Le troisième (à droite) est dit Anglais et est uniquement dédié au parage, il est donc extrêmement tranchant. Il existe encore d’autres types de couteaux à parer qui ne sont pas présentés ici. (Source : Sartorialisme)
Trois types de couteaux à parer sur un bloc de granit servant de pierre à parer. Le premier (à gauche) utilise une lame de rasoir qui est remplaçable. Le second (au centre) est un couteau dit Japonais et est en réalité multi-usage. Le troisième (à droite) est dit Anglais et est uniquement dédié au parage, il est donc extrêmement tranchant. Il existe encore d’autres types de couteaux à parer qui ne sont pas présentés ici. (Source : Sartorialisme)
Parage machine dans l’usine Parisienne de Camille Fournet (Source : Camille Fournet)
Parage machine dans l’usine Parisienne de Camille Fournet (Source : Camille Fournet)
Des "maroquiniers" du groupe Rioland (sous-traitant LVMH, entre autres) qui sont chargés de l’élaboration de kits de pièces. Ils ne font que du parage à longueur de journée. (Source: franceterretextile)
Des "maroquiniers" du groupe Rioland (sous-traitant LVMH, entre autres) qui sont chargés de l’élaboration de kits de pièces. Ils ne font que du parage à longueur de journée. (Source: franceterretextile)
Deux exemples de l'effet "boudin" causé par une absence de parage sur des porte-cartes. Celui de gauche est un modèle de chez YSL, l'épaisseur est de 5mm. À droite un parpaing Bleu de Chauffe qui doit largement dépasser le centimètre. Sur un porte-carte au delà de 3mm en tranche on est sur du (gros) foutage de gueule. (Source: YSL/Bleu de chauffe)
Deux exemples de l'effet "boudin" causé par une absence de parage sur des porte-cartes. Celui de gauche est un modèle de chez YSL, l'épaisseur est de 5mm. À droite un parpaing Bleu de Chauffe qui doit largement dépasser le centimètre. Sur un porte-carte au delà de 3mm en tranche on est sur du (gros) foutage de gueule. (Source: YSL/Bleu de chauffe)

Assemblage

Le travail d'assemblage comprend plusieurs étapes successives qui visent à monter ensemble toutes les pièces pour obtenir un produit fini. Il y a l’encollage, le piquage (ou la couture, c’est selon), les finitions (filetage, teinture ou peinture des tranches...). Dans la maroquinerie industrielle ou semi industrielle il n’y a que rarement de la couture main, tout ou presque est piqué machine. Lorsque les contraintes structurelles sont fortes il est possible de trouver du point sellier mais c’est rare. Un sac Hermès va peut-être avoir 5 % de ses coutures faites au point sellier. Pour les bracelets de montre c’est pareil puisque l’intégralité du bracelet est cousu machine et seuls les 2 ou 3 derniers points au niveau de la boucle sont cousus main, ainsi que les 3 points du passant. Bien évidemment l’objectif n’est pas de dénigrer le piquage machine, même s’il est fragile. Il a sa place en maroquinerie, il doit se trouver là ou une couture est nécessaire mais non vue, ou lorsqu’on se trouve sur une pièce de cuir peu sollicitée. Autant dire que son usage actuel est totalement disproportionné et contraire à toute notion de durabilité. Nous consacrerons bientôt un article entier au point sellier et au piquage machine.
D’une façon générale le travail d’assemblage est globalement très mécanisé dans l’industrie aujourd’hui il existe même des machines qui servent à appliquer la peinture de tranche. D’ailleurs la peinture de tranche est elle-même un symbole de l’industrialisation de la maroquinerie de luxe, elle est une innovation relativement récente et elle remplace le rembort qui, avant, était largement majoritaire.

Le genre d’image que les médias et les marques aiment à mettre en avant, l’ouvrière jeune et consciencieuse qui s’applique sur son point sellier dans le calme et la tranquillité. (Source : Hermès)
Le genre d’image que les médias et les marques aiment à mettre en avant, l’ouvrière jeune et consciencieuse qui s’applique sur son point sellier dans le calme et la tranquillité. (Source : Hermès)
Alors que la réalité c’est plutôt des salles pleines de piqueuses qui font ça toute la journée.
L’artisanat à la Française, ici nous avons pour exemple une usine de Maroquinerie Thomas un géant sur le marché Européen et très gros sous-traitant de LVMH. (Source : Maroquinerie Thomas)
Alors que la réalité c’est plutôt des salles pleines de piqueuses qui font ça toute la journée. L’artisanat à la Française, ici nous avons pour exemple une usine de Maroquinerie Thomas un géant sur le marché Européen et très gros sous-traitant de LVMH. (Source : Maroquinerie Thomas)
Ce qui est cousu main sur un sac Birkin est entouré en orange. Les attaches pour les anses le sont mais elles sont en parties invisibles (triangle orange), en revanche la lanière attachant la clochette au sac ne l’est pas, elle est dans le triangle uniquement à cause de la perspective. Quelques points de la clochette sont cousus mains (carrés orange). Le reste est piqué machine. (Source : Sartorialisme)
Ce qui est cousu main sur un sac Birkin est entouré en orange. Les attaches pour les anses le sont mais elles sont en parties invisibles (triangle orange), en revanche la lanière attachant la clochette au sac ne l’est pas, elle est dans le triangle uniquement à cause de la perspective. Quelques points de la clochette sont cousus mains (carrés orange). Le reste est piqué machine. (Source : Sartorialisme)
Un portefeuille Vuitton, intégralement piqué machine, la régularité laisse un peu à désirer pour de l’industriel et c’est le modèle qui a été sélectionné pour le packshot… (Source : LVMH)
Un portefeuille Vuitton, intégralement piqué machine, la régularité laisse un peu à désirer pour de l’industriel et c’est le modèle qui a été sélectionné pour le packshot… (Source : LVMH)

La standardisation dans le monde de la maroquinerie est relativement récente, elle commence véritablement à battre son plein à partir des années 70. L'objectif n'est pas de débattre des effets positifs ou non de la mécanisation, mais il est nécessaire de l'expliquer car cela permet de comprendre pourquoi la maroquinerie de luxe d'aujourd'hui est aussi uniforme en apparence. Car ce que les clients perçoivent comme de la beauté est en réalité de l’uniformité. Non qu’il y ait un problème avec l’uniformité l’artisan doit lui-même tendre vers l’uniformité. La valeur de son travail réside dans la maitrise qu’il a de ses mains et de ses gestes. Mais il est bien évidemment beaucoup plus difficile d’obtenir un résultat uniforme avec ses mains qu’avec une bête machine. Non seulement la maroquinerie moderne est fortement mécanisée, mais elle est mécanisée de la même façon partout, ce qui en passant facilite le travail des contrefacteurs. Aujourd'hui la majorité des entreprises de maroquinerie fonctionnent sur une stricte division du travail, sur une absence totale d'initiative et sur un schéma préétabli à l'avance via la fiche de travail. La fiche de travail comporte une description du mode de montage des pièces pour le façonnage de l'objet, mais également tous les détails nécessaires à la fabrication de la commande (type de cuir, spécification etc etc). Énormément d'usines (même petites) utilisent le schéma dans lequel chaque personne a un rôle bien défini. Pour cette forme de travail, l'ouvrier n'est pas obligé de maîtriser la conception de l'ensemble de la fabrication. Il est en fait un simple exécutant. Et c'est ce que l'on essaye de vous vendre pour du “savoir-faire”, des gens qui touchent des machines toute la journée.
L'industrie n'a pas toujours fonctionné de cette façon, et heureusement il existe encore des entreprises qui travaillent autrement, sans parler bien évidemment des artisans, enfin les bons, car c’est comme tout, il en existe aussi des mauvais et des véreux. Certaines entreprises privilégient la polyvalence et utilisent encore des méthodes “à l'anciennes”. C'est encore un peu le cas d'Hermès qui a une façon plus proche du semi-industriel que ses concurrents. On va en revanche éviter de parler des sujets qui fâchent comme leur marque petit H, et dire à la place qu'ils ont de très bons selliers si jamais vous faites du cheval et que vous avez envie de monter plutôt que de vous faire monter.

Une vidéo promotionnelle intitulée « savoir-faire » chez Chanel, alors qu’il n’y a pratiquement QUE du travail machine. Deux choses amusantes, la première ce sont les moutons en commentaire sur la page Youtube qui bêlent au génie à l’unisson, alors qu’il n’y a aucun savoir-faire. La seconde ce sont les mains que vous voyez dans la vidéo : elles sont toutes parfaitement manucurées, pas question de foutre les doigts boudinés de la grosse Josette. À croire qu’ils ont été recruter des mannequins mains juste pour l’occasion. (Source : Chanel)

Comme la maroquinerie moderne est très industrialisée, elle ne repose pas sur des compétences qui sont difficiles à acquérir. Elle se prête donc particulièrement bien à la pratique de la sous-traitance. Voire à la délocalisation. C’est ce que nous allons voir maintenant.

La sous-traitance dans le monde du luxe, un secret de polichinelle.

Il faut savoir que tous les grands groupes du luxe répartissent leur production entre des usines qu'ils possèdent en nom propre et des sous-traitants.
À ce petit jeux Hermès possède en nom propre le plus d'ateliers (un peu plus de 20) dédiés à la maroquinerie en France suivi par Louis Vuitton (17 ateliers en France). En réalité quand on parle du tissu industriel de la maroquinerie en France, on parle essentiellement de ces deux marques. Ces deux marques représentent à elles seules pratiquement 40 lieux de productions de bonne taille.
Les autres groupes sont plus internationalisés. Le cas de Kering est un peu à part, le groupe est Français mais possède un portefeuille de marques essentiellement Italiennes et n'a qu'un seul lieu de production Français dans les environs d'Angers, tout le reste est fabriqué à l’étranger et en sous-traitance. Chanel est également un cas à part car le groupe est immatriculé au Royaume-Unis, il ne possède en nom propre que les Ateliers de Verneuil, qui viennent d'être agrandis, le reste de la production se fait soit à l’étranger soit en sous-traitance notamment chez Sophan à Segré. Les sous-traitants des maisons de luxe sont totalement dépendant de ces dernières. Il se murmure que 60% de la production estampillée Louis Vuitton en maroquinerie est réalisé par des sous-traitants notamment chez Ateliers d'Armançon, une usine du groupe Maroquinerie Thomas, l'un des plus gros sous-traitants du milieu (plus de 100 millions d’€ de CA). Il n'est donc pas surprenant d'apprendre que les maisons de luxe représentent parfois jusqu'à 90% du chiffre d’affaires de ces sous-traitants, ce qui assure leur coopération et surtout leur docilité.

L'intérêt des sous-traitants est évident, d'un côté en cas de crise cela permet de réduire la voilure chez eux, avant de devoir la réduire en interne. Les journalopes ont tendance à faire plus de battage merdiatique quand ça vire chez Hermès ou n’importe quel autre gros nom que chez un sous-traitant dont le grand public n'a rien à faire car il ignore jusqu’à son existence. Existence qui fait en général peu de vagues, les usines sont grises et anonymes, les employés signent des contrats comportant des clauses de confidentialité. Ce genre de montage a été bien utile lors de la récente panique sanitaire puisqu’on peut lire dans le rapport financier d’Hermès que “Fidèle à son engagement d’employeur responsable, Hermès a maintenu les emplois et les salaires de base de ses collaborateurs partout dans le monde, sans avoir recours aux aides gouvernementales. Le groupe versera en 2021 une prime de 1 250 € à l’ensemble des collaborateurs pour leur engagement et leur contribution aux résultats”. Autrement dit, le recours à l’externalisation permet de rassurer les actionnaires sur la bonne santé du groupe puisqu’ils n’ont pas à se préoccuper outre mesure du devenir des sous-traitants et de leurs problèmes.

Avoir recours à des sous-traitants permet également de faire produire beaucoup de choses dans des pays du tiers monde sans que cela ne se sache trop. C'est le principe des poupées russes qui est très utilisé dans le milieu et qui bénéficie d’ailleurs d’une législation française extrêmement laxiste.
Prenons un exemple concret, le groupe Maroquinerie Thomas, principal sous-traitant de Vuitton dispose d'une usine en France ainsi que d'une usine au Vietnam. Rien ne les empêche de faire produire certaines pièces au Vietnam pour ensuite les assembler en France. Car comme vous le savez, il n’est pas nécessaire d’assembler intégralement un produit sur le territoire hexagonal pour revendiquer une fabrication Française. En assemblant en France des pièces fabriquées à l’étranger vous faites baisser vos coûts de production, vous conservez le sacro-saint “fabriqué en France” et c'est plus discret que de se retrouver dans la presse avec des titres du genre “Louis Vuitton délocalise au Vietnam” ou “ Louis Vuitton fait fabriquer sa maroquinerie au Vietnam”. C'est une pratique extrêmement courante qui permet de faire fabriquer énormément de pièces en Chine, Roumanie, Espagne pour ensuite les assembler en France sans que cela n'endommage l'image de marque du donneur d'ordre. En retour ce dernier peut satisfaire la demande qui est en pleine expansion tout en communiquant à fond sur le savoir-faire Français pluriséculaire (qui est en réalité en train de disparaitre). Cela étant dit et sans cautionner la pratique il y a quelque chose d'amusant à revendre 1000 fois plus chers aux Chinois ce qui est en partie fabriqué pour trois fois rien dans leurs propres usines.

Le projet de campus flambant neuf des ateliers de Verneuil, l’unique usine de maroquinerie appartenant à Chanel en France. Comme c'est la maison mère il faut que l'image soit imposante. (Source : leparisien)
Le projet de campus flambant neuf des ateliers de Verneuil, l’unique usine de maroquinerie appartenant à Chanel en France. Comme c'est la maison mère il faut que l'image soit imposante. (Source : leparisien)
Alors qu'en réalité la majorité de la production sort d'usines comme celle-ci. L’usine Sophan, sous-traitant de Chanel, l’usine pourrait produire des boites de vitesses que cela ne choquerait absolument pas. Personne n'est au courant, donc l'image de luxe n'est pas nécessaire. (Source : Actu.fr)
Alors qu'en réalité la majorité de la production sort d'usines comme celle-ci. L’usine Sophan, sous-traitant de Chanel, l’usine pourrait produire des boites de vitesses que cela ne choquerait absolument pas. Personne n'est au courant, donc l'image de luxe n'est pas nécessaire. (Source : Actu.fr)
 Quand Louis Vuitton parle de sa main d’œuvre c’est soit sous le prisme de gens morts il y a plus de 100 ans (à gauche) soit sous le prisme de l’artisan imaginaire à gants blancs (à droite). Paradoxalement, les ouvriers NUPES aux carottes (en bas) des ateliers d’Armançon (maroquinerie Thomas) qui fabriquent (entre autres) des sacs Vuitton, on n’en entend jamais parler. Je peux le comprendre hein, objectivement ça ferait baisser la valeur des produits, c’est ça aussi l’intérêt de la sous-traitance, anonymiser la main d'œuvre pour mieux l'exploiter dans la communication. (Source LVMH / Bien public)
Quand Louis Vuitton parle de sa main d’œuvre c’est soit sous le prisme de gens morts il y a plus de 100 ans (à gauche) soit sous le prisme de l’artisan imaginaire à gants blancs (à droite). Paradoxalement, les ouvriers NUPES aux carottes (en bas) des ateliers d’Armançon (maroquinerie Thomas) qui fabriquent (entre autres) des sacs Vuitton, on n’en entend jamais parler. Je peux le comprendre hein, objectivement ça ferait baisser la valeur des produits, c’est ça aussi l’intérêt de la sous-traitance, anonymiser la main d'œuvre pour mieux l'exploiter dans la communication. (Source LVMH / Bien public)

Grande marque de luxe cherche désespérément maroquinier bon à presser.

En France la maroquinerie de luxe manque constamment de main d'œuvre à tel point que cela freine la capacité de production et donc la croissance de certains géants du milieu. Exemple typique du serpent qui se mord la queue, on ne peut pas participer pendant des décennies au démantèlement complet et systématique d'une filière entière et espérer ensuite qu'elle attire de nouveaux talents. Vous combinez une éducation nationale qui s'acharne depuis 40 ans à dévaloriser les formations manuelles (les CAP sont devenus des formations pour cas sociaux) à une industrie du luxe qui s'est lancée dans le massacre des artisans (à l'exception de ceux qui acceptent de travailler pour eux comme des espèces en voie d'extinction dans un zoo) et vous savez pourquoi personne n'a envie de tenter sa chance. Je peux comprendre que personne ne soit particulièrement excité par l'idée d'être payé 10€ de l'heure pour fabriquer des sacs qui se vendent 7000€. Et qu'on ne blâme pas les multinationales trop rapidement, les charges imposées par l'état Français sont purement et simplement débiles, mais que voulez-vous, il y a des retraites à payer. Je peux également comprendre que personne ne soit particulièrement tenté pour se lancer dans l’apprentissage de la maroquinerie de luxe. Le rendement est naze en raison d’un ratio temps de travail/prix de vente dérisoire et vous allez vous faire chier à apprendre des techniques qui ne sont pas valorisées. Quel est l'intérêt de passer des heures sur une couture point sellier quand Lancel, Longchamp, Goyard, Chanel, Vuitton... peuvent dire à leur client dans le confort de leur showroom “tout coudre à la main” alors que ça n'est pas vrai. N’espérez pas que cela change, la France est opposée à la préservation de son artisanat, et dans une moindre mesure de son industrie. Il ne faut pas ensuite s'étonner qu'il y ait pénurie de main d'œuvre. Mais alors, d'où viennent les “artisans” des maisons de luxe ? Facile, de Pôle emploi, tout simplement.

Je n'ai rien contre les gens qui veulent changer de carrière et se reconvertissent. Beaucoup ont été poussés par un système con à obtenir un diplôme universitaire afin de “rejoindre l'élite” de la classe moyenne. Les diplômes étant comme la monnaie, à savoir que plus vous en imprimez moins ils ont de valeur, ces personnes sont ensuite confrontées à un monde du travail saturé de diplômés inutiles et se retrouvent à faire un métier qui ne leur convient pas. Souvent dans les bureaux, car cela fait intelligent. Déçus ils décident qu'ils ont envie de revenir à quelque chose de plus concret, tant mieux pour eux et bravo pour avoir le courage de prendre leur vie en main. J'ai en revanche un problème avec la façon dont les marques de luxe en font ensuite de égéries de l'artisanat Français, des demi dieux détenteurs d'un savoir-faire immémoriel, alors qu'ils ont été sélectionnés sur du collage de gommettes et ont 4 mois de formation dans les pattes. À noter tout de même qu’Hermès ont lancé en 2021 leur propre CFA (centre de formation d’apprentis) qui délivre un CAP de maroquinerie après une formation d’un an et demi, dans leur cas ils ne se limitent donc pas à piocher chez Pôle emploi. Cela dit, on reste bien loin du savoir-faire des anciens.

La manufacture de Senlis travaille pour Hermès et est partenaire de Pôle emploi (Source : Pôle emploi)
La manufacture de Senlis travaille pour Hermès et est partenaire de Pôle emploi (Source : Pôle emploi)
Le genre d’annonce qui pullule sur les réseaux sociaux de la maroquinerie, dans les groupes Facebook etc etc. Ça parle de savoir faire millénaire, d'excellence, d'ardeur et d'artisanat. Tout ça pour finir derrière une machine à coudre à 10€/heure. (Source : manufacture de Senlis)
Le genre d’annonce qui pullule sur les réseaux sociaux de la maroquinerie, dans les groupes Facebook etc etc. Ça parle de savoir faire millénaire, d'excellence, d'ardeur et d'artisanat. Tout ça pour finir derrière une machine à coudre à 10€/heure. (Source : manufacture de Senlis)

Les industriels toutes catégories confondues aiment beaucoup sacraliser leur main d'œuvre. Qu'on parle d'une usine de province qui va faire des portefeuilles dans des chutes de cuir sous prétexte d'écologie ou d'une grande marque qui va faire des sacs à main à la chaine pour les Chinois, tous mettent sur un piédestal leurs ouvriers. Je n'ai rien contre la main d'œuvre qualifiée, bien au contraire, mais il arrive un moment où il faudrait voir à ne pas trop se foutre de la gueule du monde. Malgré le fait qu'Hermès ou encore Chanel appellent tous leurs ouvriers des artisans voire des maroquiniers, il est bien évident qu'ils n'en sont pas. C'est comme si Weston appelait tous leurs ouvriers des bottiers. Bien sûr, il y a des cadres qui sont effectivement maroquiniers, comme il existe encore des bottiers chez Weston mais la fabrication dans les usines est uniformisée et le travail divisé, la majorité des ouvriers ont en général une vision parcellaire de ce qu'ils fabriquent. Je sais bien qu'il est à la mode de faire des vidéos pour Youtube avec des ouvriers en gants blancs qui par la magie du montage vont donner l'impression de fabriquer un sac tout seul comme si c'était de l'art, mais c'est bien évidemment de la communication. Comme toujours on vise à mettre en avant un savoir-faire ancestral etc etc... Alors que la réalité est tout autre, pire il y a eu un appauvrissement terrible du savoir-faire, même à un niveau industriel. Même chez Hermès, les ouvriers qui ont 10 ans de maison se plaignent toujours que le sac Constance est “difficile à réaliser”, car il comporte beaucoup de point de sellier, ce qui est vrai (dommage qu’il soit si laid). Mais c’est la base même de la maroquinerie, on parle là des rudiments du métier, se plaindre de la difficulté d’un sac car il comporte “beaucoup de point sellier” c’est aussi ridicule qu’être médecin et hypocondriaque. On en est là aujourd’hui niveau savoir faire. Il faut savoir que jusque dans les années 80 les ouvriers “voyageaient”, c'était la terminologie employée dans le milieu. À l'époque une fois sortis de formation il était courant qu'un employé ne reste pas dans le même atelier très longtemps. Si le salaire ne leur convenaient pas, si ils n'aimaient pas les conditions ou le patron, ils mettaient les voiles et allaient voir ailleurs. Ce faisant ils voyaient énormément de techniques différentes, ils apprenaient des normes nouvelles et d'autres façons de travailler. On trouve d'ailleurs un principe similaire dans le compagnonnage avec l'idée du tour de France. Cela permettait bien évidemment aux ouvriers d'acquérir de l'expérience, mais surtout cela leur donnait un fort pouvoir d'initiative car ils pouvaient introduire des techniques apprises ailleurs dans leur nouveau lieu de travail. Malheureusement dans la maroquinerie, même les Compagnons sont devenus des fournisseurs de chaire à canon pour Vuitton, les apprentis se retrouvent chez les sous-traitants des grands groupes du luxe alors qu’ils voulaient apprendre un métier dans le respect de ses traditions. Aujourd'hui vous imaginez bien que les ouvriers de Cartier comme de Longchamp n'ont pas la moindre initiative et se contentent de bien sagement suive leur fiche de travail.

Les outils d’ateliers qui servent à des tâches spécifiques. Ils sont étiquetés avec le nom de modèle ou les spécifications… juste au cas où un “maroquinier” ès Pôle emploi ne s’emmêle les pinceaux. Ça évite aussi que les outils ne disparaissent et servent à la fabrication de contrefaçons (véridique). (Source : Hermès).
Les outils d’ateliers qui servent à des tâches spécifiques. Ils sont étiquetés avec le nom de modèle ou les spécifications… juste au cas où un “maroquinier” ès Pôle emploi ne s’emmêle les pinceaux. Ça évite aussi que les outils ne disparaissent et servent à la fabrication de contrefaçons (véridique). (Source : Hermès).

Vous avez maintenant trois grands profils dans la maroquinerie industrielle. Vous avez les maroquiniers de formation, qui sont en général des contremaitres et qui s'assurent que tout fonctionne comme il se doit. Ils ne sont en général pas directement impliqués dans la fabrication au quotidien. Vous avez ensuite les ouvriers de formations, ils peuvent être piqueurs, assembleurs etc etc. Ce sont des ouvriers plus ou moins qualifiés qui sont en charge de la production quotidienne. Vous avez ensuite les personnes sans qualification recrutées via Pôle emploi et formées en interne. En raison de la pénurie de main d'œuvre cette dernière catégorie représente une part de plus en plus importante des effectifs. Pour vous expliquer comment fonctionnent aujourd'hui les usines nous allons vous détailler le parcours qui est suivi par un employé recruté par Pôle emploi. Bien évidement il ne s'agit ici que de vous donner un aperçu, toutes les formations ne fonctionnent pas exactement de la même façon, mais nous essaierons comme toujours d'être le plus complet possible.

Formation Pôle emploi, la nouvelle main d'œuvre du luxe.

Les formations manuelles étant devenues en partie un vaste zoo pour mongoles cela fait plusieurs années que pour remplir les postes de leurs nouvelles usines les grandes marques du luxe recrutent des personnes sans formation ni expérience via Pôle emploi. Il existe différentes périodes de recrutement pendant l'année et les exigences sont différentes en fonction des centres chargés de faire passer les tests d'embauches. De façon générale les candidats doivent passer une épreuve pratique, on parle de recrutement par simulation, autrement dit de la dinette pour débiles, et un entretien oral. Lors de l'épreuve pratique on mesure surtout leur dextérité, pour connaître plusieurs personnes passées par cette étape je peux vous assurer que la sélection est intraitable, les nerfs sont mis à rude épreuve. Coller des gommettes dans le centre d'un cercle, découper au ciseau pile sur le trait, colorier avec un feutre sans déborder... l'excellence à la Française quoi. Pratiquement Versailles. Vous auriez tort de penser que c'est une blague, c'est très sérieux. Quand les postes à remplir sont plus importants, les exercices augmentent en difficulté et on demande de faire une couture en point sellier ou un astiquage (ça n'est pas sale). Lors de l'épreuve orale il s'agit de vérifier que le candidat potentiel peut s'adapter au moule “de la maison”. Il s'agit aussi de s'assurer que c’est une personne fiable qui ne va pas être responsable de la “disparition” de sacs, ne riez pas, ça s’est déjà vu et bien plus souvent que vous ne l’imaginez.

Panneau publicitaire pour le maroquinier Sofama, un autre sous-traitant de Louis Vuitton (entre autres). Là aussi pas besoin d’expérience, la formation est faite via le Pôle emploi et à la fin vous devenez un maroquinier au savoir-faire millénaire. (Source: Sofama)
Panneau publicitaire pour le maroquinier Sofama, un autre sous-traitant de Louis Vuitton (entre autres). Là aussi pas besoin d’expérience, la formation est faite via le Pôle emploi et à la fin vous devenez un maroquinier au savoir-faire millénaire. (Source: Sofama)
Séance de recrutement par simulation au pays des autistes. Gants blancs obligatoires pour le coloriage, il paraît qu’on se sent plus artisan millénaire comme ça. (Source: centrefrance)
Séance de recrutement par simulation au pays des autistes. Gants blancs obligatoires pour le coloriage, il paraît qu’on se sent plus artisan millénaire comme ça. (Source: centrefrance)

Une fois les candidats sélectionnés (moins ils ont d'expérience dans le domaine du cuir, mieux c'est) ils passent par une période de “formation” dont la durée varie, de 3 mois pour les plus courtes à 18 pour les plus longues. Les programmes de formations sont très différents, par exemple Hermès a pendant longtemps travaillé en collaboration avec l’école Boudard. L'objectif de cette formation est d'apprendre à maitriser les techniques de bases et surtout de valider ou non le recrutement du candidat afin de pouvoir le lancer sur la fabrication de l'unique modèle de sac qu'il aura appris à fabriquer dans sa formation. Si la personne reste dans l'entreprise (ou plus exactement si l'entreprise lui fait signer un contrat) elle apprendra ensuite à fabriquer d'autres modèles de produits. Les personnes formées via Pôle emploi n'apprennent pas tant la maroquinerie qu'ils apprennent à assembler des pièces de cuir. Le collage de gommettes c’est ça aujourd'hui le “savoir-faire à la Française” et c’est ça qu’on essaye de vous vendre dans des showrooms feutrés. C’est d’ailleurs en partie pour cette raison que le showroom est feutré, le feutre c’est la vaseline du débile. Cela fait bien longtemps que l’industrie du luxe est devenue un monde de simagrées qui se concentre plus sur les apparences que sur le produit en lui-même. Car souvent le produit ne représente plus grand-chose si ce n’est une image.

10,57€ brut de l’heure pour bosser chez Senlis débutant ou pas, vous n’êtes pas tenté les cons ?    (Source Manufacture Senlis)
10,57€ brut de l’heure pour bosser chez Senlis débutant ou pas, vous n’êtes pas tenté les cons ? (Source Manufacture Senlis)

Les illusions de la demi-mesure

Avant-propos

Le mot « mesure » vous fait rêver ? Vous avez raison, la grande mesure, c’est beau. Mais si vous ne savez pas la différence entre grande mesure (bespoke) et demi-mesure (made-to-measure), il vaudrait mieux que vous restiez prudents. D’une part, ces mots ne sont la garantie de rien du tout puisque n’importe qui peut se les approprier. Ensuite, l’ambiguïté du mot sur-mesure, permet de détourner l’aura de qualité superlative désormais portée par le mot mesure. Soyons clairs : la grande mesure, c’est de l’artisanat, c’est 80 heures pour réaliser un costard et du travail à la main. Ça coûte un bras. Ou même plus, demandez à François Fillon. La petite mesure, c’est moins cher, mais comme ça comporte une bonne dose de travail à la main et que ça ne sort pas de machines roumaines, c’est pas donné non plus.
En revanche la demi-mesure, ça peut être n’importe quoi. Certes, vous avez des gens sérieux qui proposent une bonne sélection de tissus, qui savent prendre des mesures, faire des retouches et qui font fabriquer dans des manufactures avec un cahier des charges convenable. Mais, souvent, vous allez vous retrouver avec un costard thermocollé dans des tissus d’entrée de gamme.

Costume bespoke (« grande mesure ») à 395£ : l’entubage à prix plancher. Le tissu, la doublure fantaisie et « un style original » tout ça sur une feuille placardée à la fenêtre avec un petit coup de stabilo pour faire sérieux. Alléchant.
Costume bespoke (« grande mesure ») à 395£ : l’entubage à prix plancher. Le tissu, la doublure fantaisie et « un style original » tout ça sur une feuille placardée à la fenêtre avec un petit coup de stabilo pour faire sérieux. Alléchant.
La grosse machine marketing : le bon goût à l’italienne avec des bellâtres à l’œil ténébreux qui portent des tissus qui brillent dans des pubs pleines d’un second degré ou de force. Prometteur.
La grosse machine marketing : le bon goût à l’italienne avec des bellâtres à l’œil ténébreux qui portent des tissus qui brillent dans des pubs pleines d’un second degré ou de force. Prometteur.

Avec un marketing plus ou moins spectaculaire, les marques de demi-mesure tentent de vous vendre du rêve. Elles sollicitent donc les influenceurs qui ne cessent de découvrir « la nouvelle pépite aux prix très placés », et cela même si le produit est identique aux autres marques et sans éclat particulier. On voit sur la toile de jeunes influenceurs demeurés donner des conseils sartoriaux et parler sans cesse d’artayeur alors qu’ils ont porté trois costards Devred dans leur vie. Autoproclamés « experts », ils se jettent sur la demi-mesure avec l’empressement énamouré d’un écologiste face à un cassoulet au tofu. Piochant leurs fameuses « règles de l’élégance » dans les tutos anarchiques d’autres blogueurs ignares, ils singent les codes de l’élite aristo-bourgeoise de l’entre-deux guerres et vous parlent de tenue « formelle » comme s’ils portaient la queue de pie toutes les semaines. Un conseil : n’écoutez pas leurs conseils.
Il est tentant de se laisser éblouir par l’emploi des mots mesure, atelier, artisanat, art tailleur : ce sont des appâts évoquant un monde disparu, sans plus de réalité contemporaine que la queue-de-pie sus-nommée. Le petit tailleur de quartier, ça n’existe plus : les costumes sont désormais fabriqués dans des usines. Les véritables tailleurs artisanaux qui existent encore fabriquent à un niveau de prix qui ne peut pas être celui de la demi-mesure. Ou alors dans des pays lointains ou la main d’œuvre est payée comme vous n’aimeriez certainement pas qu’on vous rémunère.

Comme pour les chaussures dont vous avez entendu parler ici, il faut savoir que la plupart des marques font fabriquer dans les mêmes usines, avec un cahier des charges plus ou moins variable. Inutile de chercher à décrire la cartographie des usines : cela change fréquemment. Il y a de nombreux fabricants, que les magasins parisiens utilisent abondamment, notamment Formens (Roumanie) et Studio Tailleur (Portugal), mais il y a aussi des ateliers italiens chinois, indiens, coréens… Et puis, par ailleurs, certaines des marques qui conçoivent les patronages et les outils de vente, qui réalisent la fabrication et proposent aux magasins leurs produits, comme Munro Tailoring (Pays-Bas), fabriquent eux-mêmes dans des usines différentes.
Le problème, c’est moins l’origine que la nature des produits : vous n’avez aucune idée du niveau de prestation que chaque marque exige de l’usine. On peut vous vendre de l’entoilage, mais sans aucune garantie de sa qualité ni d’ailleurs de ce que cela désigne (un plastron en poils de cul collé sur un tissu synthétique ?). On peut vous vendre de jolis tissus pour la ceinture du pantalon mais avec une toile de renfort minable qui s’affaisse tout de suite (contrairement à une canapina de qualité avec une rigidité qui donne de la forme à la ceinture).

C’est beau, les gadgets, mais ça sert à quoi ?À donner une impression de qualité. « Impression », c’est le mot important.
C’est beau, les gadgets, mais ça sert à quoi ?À donner une impression de qualité. « Impression », c’est le mot important.

Il faut d’abord savoir qu’une boutique en demi-mesure n’est en rien une boutique de tailleur. Vous pouvez ouvrir votre bouclard sans la moindre connaissance dans le domaine : il suffit d’avoir un peu de trésorerie et l’arrogance de vouloir vous faire passer pour un arbitre des élégances. En fait, avec un grand miroir, une machine à café et des ciseaux de tailleur négligemment posé dans un coin, ça fait la blague. Si, en plus, vous avez un canapé Chesterfield, vous pouvez prétendre à recréer le Club des Cinq (José Camps, André Bardot, Di Nota, Socrate et Gaston Waltener, étendu à Max Ezveline, Claude Rousseau, Henri Urban, Francesco Smalto — oui, c’était autre chose que le club des Glandin & Mereloye, Laniero, Boggio & Cie).

Ça marche pareil qu’un restaurant : une fois que vous avez le décor, vous achetez le contenu tout préparé et vous faites un vague assemblage. Ce qui compte, c’est que le pigeon ait l’impression d’avoir bien mangé et d’être bien habillé. En général, le client est content, ou se force à l’être parce qu’il a lâché 1500 boules pour un costume fabriqué en Roumanie avec un col mal emboîté, des boutons mal alignés, un excédent de tissu sous les aisselles et les dorsaux trop serrés (exemple vécu, faut payer pour apprendre).

Le fonctionnement d’une boutique en demi-mesure est simple : on prend les mesures (plus ou moins bien) à l’aide d’un gabarit qu’on a acheté auprès d’un fabricant, on lui envoie la fiche et il le fabrique dans son atelier familial artisanal aux méthodes ancestrales usine. Les marques qui fabriquent ne sont pas les exécutants du gentil tailleur. C’est plutôt l’inverse : elles disposent de l’outil de production et proposent aux boutiques un ensemble des prestations qui vont du contenu marketing à la réalisation des vêtements en passant par le design, la gamme de produits et jusqu’à l’argumentaire que le vendeur postpubère vous refilera quand il n’est pas occupé à se branler devant des photos du Pitti avec des étoiles dans les yeux.

Parce qu’en réalité, la boutique ne sait rien faire du tout. Elle achète à peu près l’ensemble de ce qu’elle vous présente : les cahiers avec les belles images, les liasses de tissus, les gabarits, les accessoires, etc. Le fabricant fournit aussi des manuels d’aide à la prise de mesure. La prise de mesure, pour le faux tailleur qui a eu une formation de trois mois, consiste à vous faire enfiler une veste ou un pantalon en prêt-à-porter (le gabarit) et à ajuster en retirant un centimètre par-ci, par-là. Le fabricant livre un manuel avec la liste des défauts potentiels et la résolution approximative des problèmes (« si c’est trop serré là, alors relâchez d’un centimètre »). Evidemment, ce processus se fait sans que l’usine ait jamais vu le client et le vendeur qui prend vos mesures n’a jamais tenu une aiguille dans les mains et ne connaît pas forcément les contraintes matérielles de la fabrication. En général (il y a quand même d’heureuses surprises avec certaines maisons dont le personnel a pu recevoir une formation de tailleur), il n’est d’ailleurs pas du tout qualifié pour adapter un patronage à la morphologie ou la posture du client : et si le patronage est lui-même moyen, ça ne risque pas de s’améliorer.
Et ne comptez pas sur des essayages intermédiaires : il faudrait renvoyer le costume, ce qui serait coûteux. On fait au mieux, on cache les problèmes au client et, si vous avez de la chance, on accepte de faire des retouches qui seront confiées au couturier en bas de la rue. On est loin du rêve de perfection artisanale qu’on vous a fait miroiter à l’aide de photographies en noir et blanc, d’images de ruban et de craie de tailleur. Donc, vous aurez vraisemblablement un vêtement à votre taille, mais avec des plis, du mauvais goût et une absence totale de proportion.

Or, la vraie grande mesure n’a rien à voir. Ce qui différencie la grande-mesure de la demi-mesure, c’est que « grand » implique un processus vraiment artisanal, c’est-à-dire la création d’un patron correspondant à la morphologie du client et non une vague adaptation d’un gabarit préexistant. Dans la grande mesure, on fait plusieurs essayages et le travail est essentiellement réalisé à la main. La qualité de l’apiécement est sans commune mesure, ainsi que la mise en valeur de la silhouette et le cachet qui ressort d’un vêtement dont les détails ont été travaillés et non bâclés. Le prix n’est pas le même, évidemment.

Dans la demi-mesure, on peut certes choisir un croisé ou un deux boutons, tel ou tel type d’épaule, des poches plaquées ou à rabats, des boutons en corozo ou en imitation corne : les décisions paraissent infinies et, pour le débutant qui ne s’était jamais posé ces questions, cela parait le summum de la personnalisation, le vêtement unique, l’originalité absolue. Rendez-vous compte, vous pouvez même choisir une doublure avec des motifs rigolos ou une ceinture intérieure de pantalon avec un tissu fantaisie. Seulement, voilà, si l’on vous propose les gadgets et tout ce qui est standardisable, tout ce qui relève véritablement du style du vêtement n’est pas abordé. De coupe, il n’est jamais question.
Car le patronage qui sert à faire les costumes de tous les clients ne changera pas. S’il vous venait l’envie de descendre le niveau du cran, la ligne de l’anglaise, de modifier l’aplomb de la manche, l’orientation de la couture d’épaule, le dessin du revers, vous vous trompez d’adresse. Tel tailleur en ligne vous propose un bas de pantalon « étroit-moyen-large » : ça c’est de la mesure précise ! Votre posture, la taille des mollets, la morphologie de la jambe ? Bof, du moment que ça rentre. Quant à réclamer un pantalon à taille haute, une fourche et des montants confortables, vous n’y pensez pas, on n’est pas tailleur, non plus. Une pince ou deux, on peut, mais faut pas pousser plus loin.
Cependant, les modifications liées à la réalisation du vêtement sont parfois prévues dans les manuels des fabricants, mais il n’y a guère de vendeurs qui soient capables de juger de l’emmanchement (qui peut pourtant être monté ou descendu) ou de détails que l’usine devra prendre en compte à distance. Les documents proposés par les marques / fabricants ont pour raison d’être le fait même que les vendeurs des magasins ne soient pas des tailleurs puisqu’ils expliquent comment identifier et corriger des défauts dont un tailleur compétent n’aurait pas besoin d’être averti. On trouve donc des outils spécifiquement conçus pour permettre à des vendeurs de magasin de se former à la prise de mesure, au repérage et à la correction des défauts. Ces documents, souvent bien réalisés, servent à minimiser les défauts les plus criants, mais ne remplacent pas une véritable formation tailleur. L’écart entre la demi-mesure et la grande mesure est donc, au fond, que le client à affaire, dans le premier cas, à un vendeur et dans l’autre, à un tailleur.

Consignes de base pour savoir comment mesurer la taille d’un pantalon. Les fabricants semblent savoir à qui ils s’adressent alors ils les prennent par la main…
Consignes de base pour savoir comment mesurer la taille d’un pantalon. Les fabricants semblent savoir à qui ils s’adressent alors ils les prennent par la main…
L’identification des problèmes par les documents du fabricant, même décrits en détail, nécessite un œil, une capacité de jugement et une expérience qui ne sont pas forcément entre les mains du vendeur.
L’identification des problèmes par les documents du fabricant, même décrits en détail, nécessite un œil, une capacité de jugement et une expérience qui ne sont pas forcément entre les mains du vendeur.

Fondamentalement, le fait que la prise de mesures et la fabrication soient dissociées constitue un problème que certains magasins parviennent à résoudre assez bien, s’ils ont des vendeurs expérimentés, et que d’autres choisissent de régler par l’approximation. Un magasin en demi-mesure qui compliquerait trop les possibilités relevant de la coupe, prendrait le risque d’erreurs plus nombreuses. S’il acceptait trop d’essayages avec des retouches, il y laisserait sa marge. L’intérêt est donc de vous faire croire que tout va bien. De toute manière, le vendeur ne voit pas non plus les défauts, alors tout le monde il est content et la vie est belle. Pour une description des catastrophes, reportez-vous à un article précédent. Et puis, bon, le costume s’adresse en général à quelqu’un qui va à un mariage et qui le portera avec des chaussures pointues.

Expérience personnelle chez une marque qui prétend que « Italians do fit better » : avec la même prise de mesures ( !), une veste de costume aux manches trop longues et un manteau aux manches trop courtes et trop serrées et à la jupe trop courte : et impossibilité de corriger en relâchant la largeur de la manche faute de tissu à l’intérieur (ils coupent au plus juste). L’aplomb douteux du croisé, la cassure au milieu du revers sont d’autres péripéties stylistiques qu’on ne s’imagine pas devoir avaler quand on commande de la demi-mesure en croyant aux miracles. Sans parler du beau costume bleu désormais immettable parce qu’il cloque de partout malgré un supposé entoilage « en crin de cheval cousu en utilisant la technique de la picchiettatura avec une aiguille en crochet appelée rostriglione » : j’avoue, à l’époque, j’y ai cru. Mais, bon, à l’usage, quand un tissu fait des bulles, ça sent le thermocollé, quand même, non ?
Autre expérience d’une grande marque italienne de prêt-à-porter proposant un service de demi-mesure : un trois-pièces convenable, mais avec un pantalon fuselé et à taille basse qui rend l’ensemble complètement déséquilibré.

Mais pour vous refiler une illusion, la boutique doit s’appuyer sur le marketing. Le fabricant est donc susceptible de fournir à la boutique des catalogues présentant les tissus, les modèles de vêtements et recommande de « booster les ventes » en mettant en avant ses produits de saison. Régulièrement la boutique se fait harceler par la retape du fabricant qui lui enjoint de fourguer des manteaux déperlants l’hiver, des chemisettes affreuses l’été, des sneakers de merde toute l’année — mais attention, sur-mesure, hein. Du moment que vous pouvez ajouter vos initiales ou faire broder un petit cœur, ça montre que vous n’êtes pas un pégreleux comme les autres.
Parmi les outils marketing, des tenues complètes sont proposées avec le bon goût d’Italiens d’école de commerce (ou de droit). La boutique reçoit les images qui sont censées être « inspirantes » et paye un supplément pour les personnaliser avec son logo. Bon : il y a des dizaines d’autres boutiques avec les mêmes images, le même superbe costume de mariage « pour être élégant en toutes circonstances »… et les mêmes arguments. Certains fabricants fournissent aussi un petit cours d’histoire du vêtement — enfin, « histoire », c’est surtout des clichés lapidaires qu’on trouve sur internet, c’est pas Fernand Braudel — voire une présentation d’un tisserand : on fournit au magasin le narratif clé en main (« une maison historique soucieuse de l’environnement, fidèle aux méthodes de fabrication authentiques »). Dans ces documents, le détail le plus anodin reçoit un nom technique pour bien épater le gogo : la couture des jeans, c’est plus classe quand le vendeur vous dit que c’est un point de chaînette… On ira jusqu’à créer une différence entre modèles « standard » et « sartorial » : on rajoute une surpiqûre, une poche monnaie et un point d’arrêt avec une couture fantaisie et votre jeans, pourtant parangon de la banalité, devient le sommet du graal du paroxysme de la sophistication intemporelle de l’artayeur.

Ces fabricants peuvent aussi vous proposer une gamme en prêt-à-porter : le magasin compose ainsi un vêtement d’après les possibilités offertes par l’atelier et est obligé de commander un certain nombre de pièces à la taille pour que cela soit rentable. On perçoit bien la finalité des fabricants qui est, au fond, de rentabiliser la production en limitant les complications. La tendance est d’ailleurs chez ces enseignes à proposer, à côté de la mesure, de plus en plus de pièces casual — pulls, jeans, vestes de travail — ce qui contredit la vocation de la véritable mesure laquelle repose sur la précision de la coupe pour mettre en avant la silhouette. Le vêtement casual, par définition, n’a pas pour mission de travailler des tissus nobles et de construire une prestance morphologique. On remplace donc la précision du travail de tailleur par la personnalisation industrialisée (oxymore, oui, oui) destinée à flatter le client qui veut acheter haut de gamme et pouvoir dire « mon tailleur ». Le costume sur-mesure n’y est plus alors qu’un produit parmi les autres qui sert à promouvoir une image de marque fondée sur une forme de distinction.

L’art tailleur ou la personnalisation ?… Tout ça pour finir par s’habiller de manière banale avec des pièces ne faisant pas appel au savoir-faire tailleur.
L’art tailleur ou la personnalisation ?… Tout ça pour finir par s’habiller de manière banale avec des pièces ne faisant pas appel au savoir-faire tailleur.

Conclusion

Le mieux pour ces magasins est de parvenir à vendre aussi des pièces qui relèvent du prêt à porter puisqu’elles ne dépendent pas de la mesure : écharpes, bonnets, sneakers, accessoires divers : là, au moins, impossible de se planter dans la prise de mesure. L’idée est de vous habiller « des pieds à la tête » en vendant de la « personnalisation » (custom) : ce n’est pas un hasard si le terme commence à se substituer à l’idée de mesure qui renvoie trop à l’idée d’une perfection tailleur qui, au fond, n’est pas l’objet de ce processus.

En définitive, l’avantage de la demi-mesure, c’est de choisir son tissu et les détails de son costume. C’est à peu près tout. Sinon, pour la mesure proprement dite, le style, la coupe, on se demande s’il ne vaut pas mieux une bonne retouche sur de la seconde main…

Marques recommandables à Paris : Les Francs-Tireurs (conseiller compétent), Artling (qui possède sa propre usine), Jean-Manuel Moreau (petite mesure réalisée par Orazio Luciano et pantalons faits main par Alberto Voglio), Atelier de Luca (petite mesure). Scabal, Maison Pen et Clotilde Ranno ont fait des choses bien.