Le guide de la seconde main partie 1 : ce qu’il faut savoir avant de se lancer

Avant-propos

Vous êtes désargenté mais vous voulez être sapé comme un roi, n’ayez pas peur cet état de fait n’est pas une fatalité. Il existe plein de gens désargentés qui ont une grosse garde-robe. Le fondateur d’un blog très connu est en faillite personnelle et donc (théoriquement) sans le sou, ça ne l’empêche pas d’être habillé comme un oligarque de mauvais goût. En réalité, ça ne l’a même pas empêché d’acheter une maison ancienne avec ses dépendances pour une petite centaine de millier d’euros. Il a même ensuite trouvé le moyen de rénover le tout, piano de cuisson Lacanche Cluny à 10k€ compris. Imaginez les longues heures de labeur qu’il a fallu accomplir chaque weekend pour en arriver là, en costume Chiffon Nelly bien évidemment. Comme quoi, tout est possible dans la vie. Malheureusement si contrairement à lui vous n’êtes pas doués des mêmes capacités en matière…. d’optimisation, il va falloir user de patience et faire preuve d’ingéniosité. Cette série d’articles va avoir pour but de vous aider à naviguer le marché de l’occasion.
Il existe plusieurs profils d’acheteurs de seconde main, il y a ceux qui sont attirés par les prix bas, ceux qui cherchent des pièces anciennes ou de prestige, ceux qui ne peuvent pas faire autrement et ainsi de suite. Sans que cette série d’articles ne s’adresse à un public en particulier, la seconde main va surtout être traitée sous l’angle de la chasse à la bonne affaire. Le collectionneur de pièces anciennes ou de prestige sait déjà où trouver l’objet de ses addictions.

Quelques principes de base

Si vous comptez vous investir dans le marché de la seconde main il est important de comprendre certaines choses avant d’espérer trouver quoique ce soit d’intéressant.

Une activité chronophage

Tout d’abord chiner demande du temps libre, beaucoup de temps libre même. Surtout au début. Il va falloir déterminer quels sont les endroits physiques ou virtuels que vous préférez pour chiner, connaître parfaitement vos mensurations etc etc… Heureusement l’investissement en temps est dégressif, au début il va falloir passer beaucoup de temps pour acquérir des connaissances. Car moins vous êtes expérimenté, plus il est facile de vous baiser. Vous ne savez pas faire la différence entre une mainline, une ligne outlet, une licence ? Vous êtes incapable de différencier le cordovan du box calf ? Vous allez vous faire enfler, parfois profondément. Plus le nom est prestigieux plus les risques sont grands. Pour se lancer dans la jungle qu’est la seconde main il faut savoir un peu de tout dans beaucoup de domaines, plus vos connaissances sont larges plus vous avez la possibilité de faire des bonnes affaires. Dans un prochain article nous vous donnerons quelques pistes à suivre pour vous aider dans l’identification des vêtements. Vous devez constamment faire des recherches afin de savoir ce que vous achetez, mais une fois que vous avez acquis suffisamment de connaissance, la majorité du temps sera passée à chercher des bonnes affaires plutôt qu’à chercher des informations.

Tout est atroce, mais là n’est pas la question. Dans cette photo vous avez tout, ligne de diffusion, mainline, licence…. À vous de faire le tri. (Source: Ebay)
Tout est atroce, mais là n’est pas la question. Dans cette photo vous avez tout, ligne de diffusion, mainline, licence…. À vous de faire le tri. (Source: Ebay)
Un costume Smalto pas cher? (Source: Ebay)
Un costume Smalto pas cher? (Source: Ebay)
Raté, il s’agit de la ligne de diffusion Smaltoby d’une qualité plus que médiocre. (Source: Ebay)
Raté, il s’agit de la ligne de diffusion Smaltoby d’une qualité plus que médiocre. (Source: Ebay)

Si vous ne voulez pas investir autant de temps dans la recherche d’information, il est bien évidemment possible de vous cantonner aux sites spécialisés ou revendeurs “professionnels”. Il en existe des centaines sur Ebay, Vinted… mais cela comporte certains désavantages. Nous allons revenir là-dessus dans un instant.

Aller à son rythme

Les prix bas peuvent facilement faire tourner la tête et on fait rapidement des erreurs. Les erreurs sont inévitables et bien souvent nécessaires afin d’apprendre. Elles forment votre parcours, votre œil et vos goûts dans un sens il est préférable de se tromper sur des pièces d’occasion pas chères plutôt que sur des produits neufs et plus onéreux. Selon votre approche, vous allez avoir tendance à être plus conservateur ou au contraire à être un acheteur compulsif. Si vous avez la place et les moyens pour le faire, c’est une façon comme une autre de vous former. Gardez néanmoins à l’esprit qu’avec le temps vous allez trouver plus facilement des bonnes affaires et qu’elles risquent dès lors de s’entasser dans votre garde-robe. D'un autre coté, plus vite vous allez apprendre et plus vite vous allez être en mesure de cibler des pièces qui vous conviennent.

Connaitre sa taille

Encore un autre point qui peut paraître évident, mais qui est en fait crucial. En fonction de votre morphologie il va être plus ou moins facile de trouver des vêtements de seconde main. Tous les physiques hors de la “norme” vont être plus difficile à satisfaire, c’est une évidence. Il ne faut pas non plus oublier que le service après-vente dans le monde de la seconde main est très différent de ce qui se fait dans le neuf. Bien souvent il est impossible de procéder à un retour ou d’obtenir un remboursement. La seule façon de vous débarrasser d’une pièce qui ne vous convient pas sera soit de la revendre soit de la jeter/en faire don. Il est donc important de connaître vos mensurations, mais également de connaître le fit des marques qui vous intéressent le plus. Mesurez scrupuleusement toutes les pièces qui vous vont le mieux, garder ces mesures dans un carnet ou je ne sais quoi. Veillez à archiver vos mesures en tenant compte des caractéristiques des vêtements. Très concrètement vous ne voulez pas avoir des notes du genre “longueur de pantalon : XX” mais “pantalon taille haute double pinces françaises avec une fourche basse = longueur XX”. Il faut toujours comparer ce qui est comparable. Cela vous donnera un point de référence qui sera très utile. Une fois que vous recevez un nouveau vêtement, mesurez-le également et ajouter ces mesures à votre liste. Avec le temps vous allez pouvoir bâtir une base de donnée qui vous facilitera la vie. Nous allons aborder la question des retouches dans la seconde partie de ce guide.

Certains sites spécialisés possèdent leur propre guide pour les mesures. Pratique mais parfois trompeur. (Source: Savvyrow)
Certains sites spécialisés possèdent leur propre guide pour les mesures. Pratique mais parfois trompeur. (Source: Savvyrow)

Maintenant que vous avez ces principes en tête nous pouvons aborder la question centrale des lieux de débauche qu’il va vous falloir fréquenter.

Connaissez les bonnes adresses et allez là où les autres ne vont pas

Les magasins et commerces physiques

Il existe un certain nombre de friperies un peu partout en France (et en Europe), mais ne négligez pas non plus les œuvres de bienfaisance (Saint Vincent de Paul, Emmaüs...), et autres brocantes. Ils peuvent être une mine d'or pour trouver des vêtements ou des accessoires de qualité, parfois à des prix absolument imbattables. Si vous êtes patient et minutieux, vous pouvez trouver de tout. C’est l’avantage mais aussi l’inconvénient majeur de beaucoup de ces endroits, la perle rare est bien souvent noyée au milieu d’un tas d’immondices et il vous faudra beaucoup de patience. Il n’y a pas de secret, pour avoir la moindre chance de trouver quelque chose d’un peu intéressant vous devez être habitué à fureter. Les chances de repartir avec quelque chose qui vous va, qui est en bon état et au bon prix lors d'une seule visite sont extrêmement faibles pour ne pas dire inexistantes. Il faut bien souvent plusieurs visites régulières et un esprit d’initiative pour commencer à se constituer une garde-robe uniquement à partir des commerces physiques. Par exemple il est parfois préférable de passer tous les jours pour 5 minutes, qu’une fois par semaine pour une demi-heure, mais c’est à vous de vous adapter en fonction de vos objectifs.

282 Portobello une fripperie très célèbre à Londres. (Source: the500hiddensecrets)
282 Portobello une fripperie très célèbre à Londres. (Source: the500hiddensecrets)
La friperie de Salaise-sur-Sanne, une surface de 750m2 à naviguer. Imaginez l’enfer si vous ne savez pas faire la différence entre une couture main et une couture machine. (Source: Radiofrance)
La friperie de Salaise-sur-Sanne, une surface de 750m2 à naviguer. Imaginez l’enfer si vous ne savez pas faire la différence entre une couture main et une couture machine. (Source: Radiofrance)

L’autre problème des commerces physiques est également lié à leur nature… physique. Ces commerces sont ancrés dans une location, et ce que vous trouvez est plus ou moins fortement lié à la démographie environnante. Plus vous êtes dans une région dense et plus vous avez des chances de trouver ce que vous cherchez. Malheureusement comme le Français moyen se plouquifie à un rythme effarant vos chances ne vont pas être les mêmes si vous habitez Paris, Grignoble ou Aurillac… C’est pourquoi en fonction de votre situation il peut être bénéfique de ne pas perdre trop de temps dans le seul Emmaüs miteux de votre cambrousse, vous n’allez rien y trouver. La solution passe donc évidemment par la vente en ligne.

L’internet

Les sites généralistes et sites dédiés au vêtement

Vous en connaissez au moins trois, Ebay, Vinted et Leboncoin. Mais pourquoi se limiter aux sites les plus connus ? Il existe une offre pléthorique de sites de seconde main à travers le monde. Citons par exemple Poshmark, Videdressing, Mercari, Grailed, Vestiaire Collective, Therealreal…
Tous n’offrent pas les mêmes services, ne fonctionnement pas de la même manière et surtout ne sont pas intéressants à visiter quotidiennement. C’est à vous d’adapter votre routine en fonction de ce que vous cherchez et de votre degré d’investissement. Il peut exister des barrières à acheter sur des sites étrangers, la langue est le premier mais parfois il existe des restrictions sur les livraisons ou bien même sur la création d’un compte. Pour autant cela ne doit pas vous empêcher d’aller découvrir ces sites. Utilisez tous les outils à votre disposition, il existe des traducteurs en ligne si la langue vous pose problème. Il existe également des sociétés de reshipping qui vous donnent une adresse de livraison dans le pays d’achat et se chargent ensuite de vous faire parvenir le colis. Il n’a jamais été aussi simple d’acheter à l’étranger.

Poshmark est un site peu connu en France, mais il est possible d'y faire de bonnes affaires. (Source: poshmark)
Poshmark est un site peu connu en France, mais il est possible d'y faire de bonnes affaires. (Source: poshmark)
Le genre de choses que l’on peut trouver sur les sites moins populaires. Le prix est très en dessous de ce qu'on trouve habituellement pour la marque. (Source: Mercari)
Le genre de choses que l’on peut trouver sur les sites moins populaires. Le prix est très en dessous de ce qu'on trouve habituellement pour la marque. (Source: Mercari)
Vendeurs pros ou spécialisés dans le sartorial, amis ou ennemis ?

La seconde main s’est rapidement professionnalisée et il existe maintenant des gens dont c’est le métier de vendre sur Ebay, Vinted…. il s’est même développé une offre de sites spécialisés dans la seconde main dite sartoriale. Tous ceux qui achètent sur le marché de l’occasion le savent, c’est une activité extrêmement chronophage et c’est justement là qu’interviennent ces sites et boutiques en ligne, ils vous font gagner du temps.

Pour ce qui concerne les vendeurs professionnels, il faut savoir que plus le revendeur a professionnalisé son activité, plus il est fourbe. Il proposera bien souvent des pièces intéressantes, mais au prix fort. L’un des plus gros revendeurs d’Ebay passe 70h par semaine pour alimenter sa boutique et ça depuis la fin des années 90, son succès est tel qu’il roule en Ferrari. N’espérez pas faire une bonne affaire chez lui. Il est un intermédiaire entre vous et l’objet et est donc en trop. En contrepartie il propose une sélection de pièces (très) intéressantes, qui ont déjà été triées, mesurées inventoriées parfois même nettoyées voire restaurées. Vous économisez donc énormément de temps, mais vous en payez le prix. Tout est donc une question de priorité et de moyens. À l’inverse, vous imaginez bien que plus le vendeur est ignorant, moins le prix va être cher. Une veuve qui se débarrasse de la garde-robe de son mari va rarement avoir l’envie ou la motivation (à moins que son veuvage ait été disons… planifié) pour se renseigner sur la valeur de chaque pièce, surtout qu’elle a toujours entendue de la bouche de son défunt mari que “ce n’était pas cher”. En revanche elle aura également moins la motivation pour prendre des photos représentatives ou mesurer les vêtements. La majorité des vendeurs occasionnels ne vont pas prendre la peine de vous fournir des informations intéressantes, et il faudra bien souvent les contacter pour essayer d’obtenir des photos supplémentaires ou des mesures précises, ce qui peut être difficile.

Pour les sites spécialisés dans le sartorial, le constat est le même. En règle générale ces sites sont à éviter si vous êtes à la recherche des prix les plus bas possibles. D’une part ils sont un intermédiaire et il faut donc leur graisser la patte, alors que le service qu’ils offrent se limite bien souvent à l’établissement d’une plateforme en ligne. D’autre part ils vous mettent en relation directe avec votre ennemi fatal, le revendeur (professionnels ou non) de vêtements “sartoriaux”. Contrairement à notre chère veuve ou aux enfants qui héritent d’une garde-robe qu’ils vont juger ringarde, le propriétaire de vêtements sartoriaux connaît la valeur de ce qu’il possède. Du moins, il croit la connaître, car bien souvent beaucoup de ces gens surestiment très largement la valeur de leurs pièces. Surtout quand il s’agit d’une marque avec des fanboys très con comme Alden ou Arnys. Les prix de ces pièces en seconde main sont absolument ridicules comparé à la qualité intrinsèque de l’objet. La mise en relation de l’offre et de la demande est donc un concept intéressant, mais même sans les fanboys elle conduit à une augmentation des prix, et le gain de temps que vous effectuez est en fait relativement marginal. Si vous avez un système un peu rodé, que vous savez où chercher et que vous savez ce que vous voulez, ces sites ne présentent que très peu d’intérêt. En revanche si vous êtes un débutant complet ce genre de site permet de connaitre le nom des marques qui peuvent être intéressantes et qui ne sont pas forcément représentée ailleurs. Vous trouverez beaucoup plus de pièces de niche à un seul endroit, immédiatement cataloguées et généralement bien présentées. C’est encore une fois à vous de vous organiser en fonction de vos préférences.

Le site officiel de Vass avec une paire en solde à 374€ pour clients hors UE. (Source: Vass)
Le site officiel de Vass avec une paire en solde à 374€ pour clients hors UE. (Source: Vass)
Exactement la même paire neuve mais en vente sur un site US dédié à la chaussure qui mélange seconde main et produits neufs. Si vous achetez là plutôt que chez Vass, vous allez le regretter.
Exactement la même paire neuve mais en vente sur un site US dédié à la chaussure qui mélange seconde main et produits neufs. Si vous achetez là plutôt que chez Vass, vous allez le regretter.

Voici maintenant une comparaison entre 3 sites pour la même recherche. L'un est généraliste, les deux autres sont spécialisés.

La recherche "Meermin" sur un site de seconde main spécialisé. Le prix est plus haut et la sélection moindre. (Source: Vulpilist)
La recherche "Meermin" sur un site de seconde main spécialisé. Le prix est plus haut et la sélection moindre. (Source: Vulpilist)
Un second site spécialisé (le même qui avait les Vass trop chères) mais Américain. Là aussi les prix sont élevés et la sélection moindre.
Un second site spécialisé (le même qui avait les Vass trop chères) mais Américain. Là aussi les prix sont élevés et la sélection moindre.
Enfin le site international d'Ebay, la sélection est plus large et les prix commencent à un niveau inférieur. (Source: Ebay)
Enfin le site international d'Ebay, la sélection est plus large et les prix commencent à un niveau inférieur. (Source: Ebay)

L’exemple ci-dessus illustre plusieurs choses.
Tout d'abord, les sites généralistes peuvent parfois être “meilleurs” pour les marques très répandues. Alors, j’en vois déjà dire “oui mais les frais postaux depuis les États-Unis ect etc”. Certes, mais même en payant $50 pour rapatrier votre colis si la paire de base ne coûte que $30 vous êtes toujours gagnant par rapport à une paire vendue 100€ en France. Surtout si vous prenez en compte le taux de change. L'inverse est aussi vrai, si vous cherchez un costume Camps de Luca, Vinted ou Ebay sont des options valables, mais vous avez plus de chance de trouver rapidement sur un site spécialisé.
Ensuite, cela ne veut pas dire que vous deviez ignorer les sites spécialisés, loin de là, simplement qu’il ne faut pas hésiter à visiter plusieurs plateformes pour avoir une idée des prix pratiqués. Chaque plateforme est son propre microcosme et donc son propre marché avec une offre et une demande spécifique et des règles propres. Par exemple sur Vulpilist l’acheteur paye une commission de 15% alors qu’en général la majorité des autres sites le vendeur paye la commission. Sur Vestiaire collective il y a un service d’authentification qui existe et permet de limiter la présence de contrefaçons, alors que sur Ebay les contrefaçons sont courantes.
Enfin cet exemple illustre également une dernière chose, la quantité d'objets en vente est bien souvent proportionnelle à la popularité du site. Plus le site est populaire, plus il y a de choix, c'est une évidence, mais il est bon de la rappeler.

Les risques inhérents à l’occasion

Pour clore cette première partie nous allons aborder rapidement les risques auxquels vous vous exposez en achetant de la seconde main. Le plus commun est évidement le cas du vendeur malhonnête, renseignez-vous au mieux sur le profil du vendeur, vérifier les avis laissés par ces précédents clients s’il y en a. Parcourez ses autres ventes, vérifiez la provenance des images de l’annonce… Il y a ensuite le risque des contrefaçons, c’est un problème très répandu et peu de marques sont épargnées. Il y a des contrefaçons Drake’s, E.Marinella… donc même les marques un peu “de niche” sont touchées, mais les marques les plus connues sont bien évidemment plus souvent concernée par ce problème. Là encore vos connaissances sont la meilleure façon d’éviter les problèmes, il existe maintenant plein de sites qui permettent de vérifier l’authenticité d’un objet. Enfin il y a le risque des mites, ayez des sacs de lavande dans votre penderie, aérez vos vêtements régulièrement, utilisez un pressing si vous pensez que cela est nécessaire. Attention, beaucoup de pressing sont tenus par des gros cons qui ne savent pas faire leur métier et ils flinguent très régulièrement des vêtements. Vous avez été prévenu.

Un lot de cravates E.Marinella contrefaites. (Source: corrierefiorentino)
Un lot de cravates E.Marinella contrefaites. (Source: corrierefiorentino)
Les mites, l’enfer que vous voulez impérativement éviter. (Source: Adobestock)
Les mites, l’enfer que vous voulez impérativement éviter. (Source: Adobestock)

Et en guise de bonus, une petite arnaque Ebay de derrière les fagots. Si vous ne voyez pas immédiatement le problème, ne vous lancez pas dans la seconde main.

Une paire de Corthay? (Source: Ebay)
Une paire de Corthay? (Source: Ebay)
Ou une paire d'Aubercy? (Source: Ebay)
Ou une paire d'Aubercy? (Source: Ebay)

Oui ces deux annonces existent sur le site de façon simultanée, oui il s'agit de la même paire de chaussures et du même vendeur. Non, ce ne sont ni des Corthay, ni des Aubercy.

Anatomie de la cravate

Avant-propos

Cet article n’a pas pour vocation d’être une anthologie de la cravate, mais plutôt une réflexion sur l’objet, ses qualités et sa fabrication. Il ne va pas s’agir de débattre de l’utilité ou non de la cravate ou de sa place dans le vestiaire masculin, je laisse ça aux branlettes en cercle de forums.

Rapide histoire de l’objet.

La cravate est un accessoire moderne puisqu’elle apparaît, sous la forme qu’on lui connaît aujourd’hui, au début du 20ème siècle. En effet, le premier dépôt de brevet d’une cravate moderne similaire à ce qui se fait aujourd’hui remonte à 1922 et a été fait par l’américain Jesse Langsdorf. Notez que Langsdorf ne prétend pas avoir inventé la cravate, il a simplement amélioré ce qui existait déjà. Dans les pays anglo-saxons les hommes portaient souvent le four-in-hand qui était déjà une forme de cravate et qui aujourd’hui fait surtout référence à un type de nœud. De la même façon en France la régate était déjà un accessoire proche de la cravate actuelle. Le brevet de Langsdorf vise surtout à améliorer la durabilité et la tenue des four-in-hand en faisant en sorte que la souplesse de la triplure soit en adéquation avec celle de l’enveloppe. Il suggère pour cela l’utilisation de matériaux appropriés et coupés “on the bias” autrement dit, à un angle de 45°. Vous en savez maintenant assez pour briller dans les dîners mondains de la capitale, vous pouvez glisser cette anecdote au détour d’une discussion sur votre prochaine faillite frauduleuse ou entre deux petits fours. Ça impressionnera bien Karen cette riche américaine récemment divorcée d’un avocat devenu impuissant.

Schéma explicatif déposé par Jesse Langsdorf pour son brevet. (Source: Google patents)
Schéma explicatif déposé par Jesse Langsdorf pour son brevet. (Source: Google patents)
Une photo datant de 1890 illustrant le "four-in-hand". La différence avec la cravate moderne tient surtout dans le processus de fabrication.  (Source: photosmadeperfect)
Une photo datant de 1890 illustrant le "four-in-hand". La différence avec la cravate moderne tient surtout dans le processus de fabrication. (Source: photosmadeperfect)
Une page provenant d'un catalogue du magasin B. Altman & Company illustrant au milieu les nouveaux "four-in-hand". (Source: Harvard Library)
Une page provenant d'un catalogue du magasin B. Altman & Company illustrant au milieu les nouveaux "four-in-hand". (Source: Harvard Library)

Les critères de qualité, entre magie noire et science textile.

Contrairement à un soulier, probablement l'un des éléments les plus complexes du vestiaire masculin ou à une veste, il est très facile de décortiquer une cravate. Après tout, il ne s'agit que de tissu replié sur lui-même et cousu avec du fil. On ne parle donc pas exactement d'un élément qui nécessite un diplôme en physique nucléaire pour être compris. Pour autant, il serait trop simple de limiter la cravate à cette définition, il s'agit en réalité d'un élément plus complexe qu'il n'y paraît. Pas nécessairement dans sa fabrication, mais plus souvent dans ce qui fait ses qualités.

La cravate est un accessoire qui est par définition fasciste, de par sa connotation élitiste bien sûr, mais surtout elle élève au rang de qualité des critères que d'aucuns jugeront comme subjectifs alors qu'ils sont objectifs. Tout d'abord il y a la beauté du tissu, ses motifs et ses couleurs. Par exemple une cravate ornée d'un 7 démesuré dans des tons criards donnera immédiatement à son porteur l'apparence d'un gros plouc. Une cravate doit ensuite fournir un tombé qui soit satisfaisant, critère particulièrement abscons qui tient plus du vaudou que de la science dure, nous avons tous des cravates qui sont des gagneuses de peu de foi et refusent de produire le nœud qui leur a été demandé, tous les sacrifices humains du monde n'y changeront rien. Il y a aussi les cravates gauchistes, qui forment des nœuds impeccables car le tissu semble suivre comme un mouton vos mouvements, mais qui sont incapables de rester nouées convenablement, trahissant ainsi leur nature hypocrite, perfide et probablement pédophile. Enfin comme une femme battue, une cravate doit être capable de retrouver rapidement sa forme initiale, peu importe la façon dont vous la maltraitez, si la moindre occasion se présente elle doit être capable de cacher les atrocités que vous lui avez fait subir la veille afin d'avoir l'air présentable en public et de vous éviter des questions embarrassantes.

Le genre de cravate à éviter, sauf si vous voulez être le roi des ploucs. (Source: Delsignore)
Le genre de cravate à éviter, sauf si vous voulez être le roi des ploucs. (Source: Delsignore)
Une cravate objectivement atroce. Le porteur marque son appartenance à la communauté des iGents en laissant bien dépasser le petit pan. C'est un peu leur "code foulard".  (Source:rincondecaballeros)
Une cravate objectivement atroce. Le porteur marque son appartenance à la communauté des iGents en laissant bien dépasser le petit pan. C'est un peu leur "code foulard". (Source:rincondecaballeros)

La dichotomie commerciale, la belle cravate ou la cravate idéale?

Comme vous l'avez sûrement remarqué dans notre paragraphe précédent, les critères que nous retenons pour une bonne cravate ne sont pas des critères qui tiennent à la fabrication de la cravate, mais à sa tenue et à son apparence. Car comme il a été expliqué, c'est très con à fabriquer une cravate. N'importe qui peut le faire, ou presque. Munissez-vous du livre, “Custom Making Neckties at Home” achetez du tissu, du fil et des aiguilles et vous pouvez vous improviser maître cravatier es enculade. Avec un peu de chance, vous serez invité sur le talk show le plus célèbre de St Florentin. Un million d’abonnés selon lui, 170 000 selon la préfecture. Car bien qu'il soit très facile de comprendre comment est fait une cravate, personne ne prend vraiment la peine de le faire, et il est aisé à n'importe quel arnaqueur de devenir la coqueluche de toutes les influences sans trop d'effort. Plus d’information là-dessus dans un prochain article qui sera particulièrement savoureux.

La cravate est en réalité l'un des rares domaines dans lequel, cher ne veut pas nécessairement dire “mieux”. Alors évidement, il n'est pas question de dire que les cravates luisantes en polyester fabriquées en masse dans les pays du tiers monde sont meilleures que les cravates fabriquées à la main dans les ateliers Italiens par mama Rossa, le lecteur étant souvent distrait et parfois un peu con, il a tendance à extrapoler, il est donc bon de préciser ces évidences. Néanmoins les cravates des grands noms sont souvent plus des machines à marge qu'autre chose. Vous achetez avant tout un bel objet, cela ne veut pas pour autant dire que cet objet fera des nœuds impeccables ou qu'il aura un impact sur votre style proportionnel à son prix. De toute façon, la majorité des gens ne verront pas la différence entre une cravate Brooks Brothers et une Charvet et même les attar... génies des forums ne sont pas capables de faire la différence entre une véritable cravate E.Marinella, d'une contrefaçon. La preuve qu'il s'agit avant tout d'une question de perception et non de qualité intrinsèque.

Comment est fabriquée une cravate ?

Les différentes parties de la cravate et leurs matériaux.

Tout d’abord il faut comprendre qu’une cravate est généralement composée de trois parties : l’enveloppe, la doublure et la triplure. C’est le principe, et comme tout principe il y a des exceptions, certaines cravates ne sont pas doublées ou triplées, voire les deux à la fois.

Laine, cachemire, donegal tweed. Un simple exemple de matières disponibles. Notez que ces cravates 3 plis ne sont pas doublées. (Source: Styleforum)
Laine, cachemire, donegal tweed. Un simple exemple de matières disponibles. Notez que ces cravates 3 plis ne sont pas doublées. (Source: Styleforum)
L’enveloppe

L'extérieur de la cravate s'appelle donc l'enveloppe. Il est préférable que cette dernière soit fabriquée avec des fibres naturelles (soie, laine, cachemire, lin…) plutôt que des fibres chimiques (polyester, polyamide...). Non que cela ait un quelconque rapport avec l’écologie, je m'en tamponne les amygdales à coup de klaxon, il s’agit simplement d’une question de bonne tenue du tissu.

Mais cela n'est pas suffisant pour parler d’une “bonne cravate” il existe en effet différentes qualités de soies, de laines, etc... et toutes ne se valent pas loin de là. Dans le cadre de la soie par exemple il faut prendre en compte le poids, le détail du tissage, la qualité et la précision de l’impression. Non qu'une soie imprimée de façon industrielle soit meilleure qu'une soie imprimée par cadrage, au niveau de la tenue de votre nœud c’est du pareil au même, en revanche la différence est à chercher du côté du prix de vente et du marketing qui est fait autour. Vient ensuite la question de l'exclusivité du motif, un sujet que j’ai toujours trouvé particulièrement risible et qui est bien souvent l’apanage des ploucs les plus flamboyants, en général un grand nombre d’entre eux postent sur Style Forum ou Instagram pensant être les nouveaux Cary Grant. Les soieries et autres fabricants d’étoffes disposent tous d’une vaste librairie de motifs à leur disposition, certains “exclusifs” d’autres anciens, en fait il en existe tout simplement une quantité illimitée. Il est parfaitement ridicule de chercher “LE” motif parfait, ou original ou je ne sais quelle autre fadaise pour montrer votre individualité fantasmée quand on sait que les motifs sont copiés, refabriqués, dupliqué, modifiés en permanence et cela depuis des décennies. Si vous voulez impérativement le motif Hermès petit pingouin numéro 605988TA de je ne sais quelle année, votre existence est très certainement misérable. Que vous vouliez accorder le motif à votre tenue, c’est très bien, que vous vouliez achetez un motif uniquement parce qu’il est “rare” ou “vintage” c’est très con.

Le genre de motif enfantin qui hurle: "je fais ma crise de milieu de vie et je me crois drôle" ou pire  "je suis un membre de l’intelligentsia française et un kiddy fiddler". (Source: Grailed)
Le genre de motif enfantin qui hurle: "je fais ma crise de milieu de vie et je me crois drôle" ou pire "je suis un membre de l’intelligentsia française et un kiddy fiddler". (Source: Grailed)
En 1977, le président égyptien Anouar el-Sadate devient le premier dirigeant arabe à effectuer une visite officielle en Israël. Il arbore pour l’occasion une cravate au motif représentant le symbole universel de la paix et de l’amour chez les hindous, démontrant son fin flair sartorial ainsi que sa volonté de normaliser les relations entre les deux pays. (Source: Reddit)
En 1977, le président égyptien Anouar el-Sadate devient le premier dirigeant arabe à effectuer une visite officielle en Israël. Il arbore pour l’occasion une cravate au motif représentant le symbole universel de la paix et de l’amour chez les hindous, démontrant son fin flair sartorial ainsi que sa volonté de normaliser les relations entre les deux pays. (Source: Reddit)

L’enveloppe de la cravate est le plus souvent fabriquée en plusieurs parties, généralement entre deux et trois mais il existe parfois des cravates fabriquées en une seule pièce. La raison principale derrière le nombre de parties qui composent l’enveloppe est plus économique qu’autre chose, cela a une influence sur l’optimisation du patronage à la coupe et sur la taille de la pièce de tissu d’origine. Contrairement au cuir où le coupeur doit lever sa peau avec attention (dans le cadre de l’artisanat) afin d’éviter les défauts, un tissu ne présente pas les mêmes difficultés et de fait est beaucoup plus facile à travailler tout en générant moins de chutes. Cela ne veut pas dire qu’il n’existe pas d’imperfections sur les rouleaux de tissus, elles sont simplement beaucoup moins courantes.

Cette photo illustre parfaitement comment le tissu est utilisé à la découpe. En fonction du placement des différents patrons il est possible d'éviter au maximum les chutes et donc d'augmenter la rentabilité. (Source: Quarantalocatelli)
Cette photo illustre parfaitement comment le tissu est utilisé à la découpe. En fonction du placement des différents patrons il est possible d'éviter au maximum les chutes et donc d'augmenter la rentabilité. (Source: Quarantalocatelli)
Une cravate réalisée en deux parties, reconnaissable à la couture unique sur l'endroit. (Source: Sartorialisme)
Une cravate réalisée en deux parties, reconnaissable à la couture unique sur l'endroit. (Source: Sartorialisme)
Une cravate réalisée en trois parties, reconnaissable aux deux coutures sur l'endroit. (Source: Sartorialisme)
Une cravate réalisée en trois parties, reconnaissable aux deux coutures sur l'endroit. (Source: Sartorialisme)
La doublure

La doublure est visible sur le grand pan et sur le petit pan une fois la cravate mise à l’envers. Elle peut être réalisée dans le même tissu que l’enveloppe. On parle alors de self tipping. Ce morceau de tissu provient dans la grande majorité des chutes à la coupe et n’est donc pas facteur d’un coût supplémentaire, il s’agit au contraire d’une économie. Il est donc amusant de voir que certaines marques via l’intermédiaire des influenceuses fassent passer cela pour une finition de luxe coûteuse à réaliser. Il existe également des cravates sans doublures, également appelées untipped.
Certaines cravates utilisent une doublure dans un autre tissu que celui de la cravate, parfois en fibres synthétiques, très honnêtement cela ne change pas grand-chose à la qualité de la cravate, la seule différence encore une fois se jouera sur le babillage ennuyeux qu’on appelle “communication” ou encore enculage de mouches. Ça plait aux ploucs il paraît, la preuve certains blogs ne font que ça.

Une cravate en grenadine de soie avec doublure. (Source: Poszetka)
Une cravate en grenadine de soie avec doublure. (Source: Poszetka)
Une cravate en grenadine de soie, cette fois sans doublure. (Source: kydos)
Une cravate en grenadine de soie, cette fois sans doublure. (Source: kydos)
La triplure

La triplure est l’élément qui permet à la cravate de maintenir sa souplesse et son élasticité, tout en lui donnant la tenue voulue. C'est elle qui lui donne vraiment corps et d’ailleurs les Italiens qui aiment en faire des tonnes pour pas grand-chose appellent parfois cette partie “l’anima”, l’âme. Bon, ils l’appellent aussi “teletta” que l’on peut traduire par l’entoilage mais c’est tout de suite moins vendeur. La matière choisie pour la triplure est donc un point particulièrement important, traditionnellement la triplure est faite en laine, parfois en soie voire en coton. Il existe bien évidement de très nombreuses variations en fonction du résultat voulu, le poids, le tissage vont donc changer en fonction des objectifs que le fabricant cherche à accomplir. L’essentiel étant de faire correspondre les caractéristiques de la triplure avec celles de l’enveloppe. Par exemple les soies fines s’accommodent mal d’une triplure trop épaisse. En général toutes les cravates trois plis ont une triplure, au moins au niveau de l’encolure mais voilà, toutes les cravates n’ont pas de triplure. Si l’on suit la logique des Italiens, toutes les cravates n’ont donc pas d’âme. Un peu comme les roux quoi, surtout celui de B… oups je m’égare. Je disais donc que toutes les cravates n’ont pas de triplure. Les cravates sept plis en sont parfois dépourvues puisqu’elles réclament plus de tissus pour leur fabrication, il n’est pas forcément nécessaire de rajouter du poids via la triplure. Dans un sens c’est un pied de nez assez amusant fait par le vocabulaire. Certaines cravates sept plis sont donc sans âmes, alors qu’elles sont de loin les modèles les plus snobs… un juste retour de bâton au non-sens du marketing. Nous reviendrons sur les cravates sept plis un peu plus loin.

Un choix de triplures avec des compositions différentes. (Source: Artlining)
Un choix de triplures avec des compositions différentes. (Source: Artlining)
Installation d'une triplure à la main chez Drake's. (Source: Spitalfieldslife)
Installation d'une triplure à la main chez Drake's. (Source: Spitalfieldslife)
La même étape mais plus avancée. (Source: Spitalfieldslife)
La même étape mais plus avancée. (Source: Spitalfieldslife)

Les méthodes de fabrication.

Toutes les cravates ne suivent pas la même méthode de fabrication. Il y a plusieurs façons de procéder, comme pour les chaussures l’industrie aime perpétuer ses petits mensonges et faire croire au tout artisanal, la réalité est assez souvent autre. Pour faire simple disons qu’il y a trois façons de faire. La première et la plus artisanale est évidement la fabrication à la main. Il y a ensuite la fabrication semi mécanisée où certaines étapes sont faites à la main et d’autres à la machine. Et enfin il y a la production totalement mécanisée. Comme pour les souliers ou les costumes vous allez donc retrouver un certain nombre de fabricants qui vont se vanter d’une fabrication entièrement à la main, pour en réalité être essentiellement mécanisée.

Les machines de Brooks Brothers qui coupent la soie au laser viennent certainement de Dominion, vous n’avez donc aucune raison de douter de la mention “fait main”. (Source: Youtube)
Les machines de Brooks Brothers qui coupent la soie au laser viennent certainement de Dominion, vous n’avez donc aucune raison de douter de la mention “fait main”. (Source: Youtube)

Nous n’allons pas entrer dans les détails de fabrication, car il est impossible de synthétiser les différentes méthodes de production entre l’artisanat le plus traditionnel et l’industrialisation intégrale il existe un monde de différence et tout un lot de techniques qui mélangent les deux. Sachez simplement qu’il existe trois grandes étapes de fabrication, le coupage, l’assemblage et le repassage. Normalement la coupe s'effectue à 45° par rapport au sens des fibres du tissu, pour permettre à la cravate de facilement retrouver sa forme et afin d’éviter qu'elle ne se vrille une fois nouée. Plus on peut obtenir de cravates à partir d'un rouleau de tissu, moins elles sont chères à produire, ce qui explique à la fois la tendance des cravates “skinny” de ploucs, et pourquoi certaines marques ne coupent pas en biais. Dans le cadre d’une cravate sept plis une marque comme Drake’s réalise deux cravates par bloc de soie. D’après eux en ne coupant pas en biais ils pourraient réaliser le double de cravates par bloc de soie, donc quatre. Toujours chez Drake’s n’imaginez pas que le coupeur s’amuse à couper chaque cravate une par une, jusqu’à cinquante “feuilles” de soie sont coupées simultanément ce qui est un exercice assez délicat à réaliser. C’est pourquoi la coupe est maintenant très largement automatisée et peu de marques font cela à la main. Il en va de même avec l’assemblage, il est encore parfois réalisé à la main mais cela fait bien longtemps que beaucoup de fabricants prestigieux ou non ont recours à la LIBA, une machine qui se charge de l’entoilage des cravates.
Comme dans toute industrie de confection, l’excellence dans la maîtrise et la réalisation de chacune des étapes de fabrication va distinguer les bonnes usines des mauvaises.

Découpe de la soie à la main chez Drake's. Notez l'orientation du patron à 45°.  (Source: Spitalfieldslife)
Découpe de la soie à la main chez Drake's. Notez l'orientation du patron à 45°. (Source: Spitalfieldslife)
Toujours chez Brooks Brothers, “handcrafted in Queens” alors que l’entoilage est fait à la LIBA. Ce n’est pas l’utilisation de machines qui est gênant, mais l’usurpation de la mention “fait main”. L’usurpation, un problème qui semble courant ces derniers temps outre-Atlantique. (Source : Youtube)
Toujours chez Brooks Brothers, “handcrafted in Queens” alors que l’entoilage est fait à la LIBA. Ce n’est pas l’utilisation de machines qui est gênant, mais l’usurpation de la mention “fait main”. L’usurpation, un problème qui semble courant ces derniers temps outre-Atlantique. (Source : Youtube)
Certains ateliers vont jusqu'à coudre les étiquettes à la main. (Source: Timeslessman).
Certains ateliers vont jusqu'à coudre les étiquettes à la main. (Source: Timeslessman).

Les finitions manuelles ou l’art du décorum superflu.

Il existe pléthore de finitions et autres arguments marketing qui sont avancés par les marques bien souvent pour justifier un prix de vente plus élevé, et qui ont en général peu ou pas du tout d’impact sur la qualité finale du produit. L’objectif est avant tout de générer de l’attrait “artisanal” pour un objet qui devient de plus en plus marginal dans le vestiaire d’aujourd’hui. Cela permet de faire fonctionner le commerce et de brosser le plouc dans le sens du poil puisqu’il a l’impression d’acheter un objet “rare”. Je n’ai absolument rien contre le superflu, le beau inutile et tout autre finition qui n’a pour finalité que l’embellissement de l’objet, après tout je m’extasie bien devant des roulettes d’emboitage. Mais il faut bien comprendre une fois pour toute que l’objectif est ici purement marketing et ne vise qu’à embellir l’objet. Les conséquences sur la qualité sont négligeables voire inexistantes malgré ce que peut avancer la clique d’influenceuses habituelle.

Voici quelques exemples de finitions futiles mais belles:

- Le roulottage à la main. Une finition très populaire ce qui en soi devrait déjà être une bonne indication qu’elle n’est pas si difficile à réaliser. Il est toujours amusant d’entendre parler de “finitions exclusives” alors qu’elles sont très répandues. Pour information une roulotteuse expérimentée ne passe pas plus d’une à deux minutes maximum pour faire un roulottage à la main. Il n’existe d’ailleurs pas de modification congénitale qui empêcherait les Chinois de roulotter aussi bien que les Italiens, vous avez donc potentiellement un milliard de roulotteurs dans le monde, cqfd.

Roulottage main sur une cravate Calabrese 1924. (Source: Zampa di gallina)
Roulottage main sur une cravate Calabrese 1924. (Source: Zampa di gallina)

- Arrêt de la dernière couture avec un fil de friction, il s’agit d’une petite longueur de fil qui dépasse pour pouvoir retendre le fil et donc la cravate. Parfois le fil forme une simple boucle parfois il est agrémenté d’un bouton, ou même d’une décoration. Je n’ai jamais eu à retendre mes cravates mais peut être que je ne traîne pas dans les bons cercles.

Fil de friction sur une cravate Shibumi Firenze. Notez que le roulottage est également fait main. (Source: Shibumi Firenze)
Fil de friction sur une cravate Shibumi Firenze. Notez que le roulottage est également fait main. (Source: Shibumi Firenze)
Juste pour le plaisir, voici une finition inutile supplémentaire, le travetto aux couleurs du drapeau Italien. (Source: Lanieri)
Juste pour le plaisir, voici une finition inutile supplémentaire, le travetto aux couleurs du drapeau Italien. (Source: Lanieri)

Enfin comment ne pas parler de l’un des “nouveaux” arguments de vente et d’inflation des prix, la multiplication des plis.

La cravate que l’on connaît aujourd’hui ne comporte historiquement que trois plis. La multiplication du nombre de plis est une invention récente. Il existe un nombre incalculable d’histoires sur l’apparition des cravates sept plis toutes plus improbables les unes que les autres. C’est le propre du monde des “élégants”, s’inventer une histoire est quelque chose de très courant dans le milieu, cela passe parfois des changements de patronymes. d’Olga Squeri on devient Olga Berluti, de Massimo Caiselli on devient Massimo Cifonelli. Certain s’inventent des clients prestigieux, des vies antérieures, d’autres ont des délires de noblesse, ou s’inventent des compétences qu’ils n’ont pas. D’apiéceur on devient tailleur, d’alcoolique dépressif on devient bottier formé chez Bemer. Vous l’avez compris, le révisionnisme est une pratique courante dans le milieu.
Certains attribuent l’apparition des cravates sept plis à une pénurie de triplure dans l’Italie d’après-guerre. D’autres disent que la technique est ancestrale mais avait disparue parce que les nonnes qui les fabriquaient avaient cessé de les produire. Dans les années 80, Robert Talbott racontait dans le cadre d'une campagne de marketing pour sa nouvelle ligne de cravate sept plis qu’il aurait "redécouvert" cette technique perdue depuis longtemps lorsqu'il a rencontré Lydia Grayson, une immigrée yougoslave qui les fabriquait aux alentours de 1920. Certains aurait vu des publicités pour des sept plis dans des magazines américains des années 30, mais leurs photos sont toujours floues. Luca Rubinacci lui, les a vues dans une révélation que la Sainte Vierge lui a fait alors qu’il comptait ses millions…bref on ne sait pas d’où ça vient, juste que ça sert à faire de la thune.

Les cravates sept plis peuvent être doublées comme celles de chez E.Marinella ou juste roulottées comme celles de chez Arnys ou de Ralph Lauren. Elles utilisent plus de tissus que les cravates normales et demandent plus de travail au niveau du pliage. La réalité est qu’elles permettent de tromper le plouc en lui expliquant que plus il y a de plis, mieux c’est. Le raisonnement numérique prévaut et comme pour les laines et leur “super 100, 120, 130…” le chaland va penser qu’il est l’homme du 21ème siècle si à la place d’une 3 plis on lui propose une 7 plis. Ou une 9 plis. Voire une 12 plis. La seule limite étant la crédulité du client et le niveau de fumisterie du vendeur. Les deux étants infinis j’annonce en exclusivité pour Sartorialisme le lancement de notre collection de cravates 77 plis au prix “très serré” de 3250 euros. Cheers les cons.

Une sept plis de chez Turnbull & Asser (Source: turnbullandasser)
Une sept plis de chez Turnbull & Asser (Source: turnbullandasser)
Un patron pour cravate sept plis. La multiplication du nombre de plis demande plus de tissus. (Source: Tieatie)
Un patron pour cravate sept plis. La multiplication du nombre de plis demande plus de tissus. (Source: Tieatie)

Démontage d’une paire de Meermin

Avant-propos

Meermin n’est en aucun cas affilié à cet article. Toutes les photos (sauf mention contraire) sont la propriété de Sartorialisme.com et ne peuvent être utilisées sans autorisation.

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La paire qui fait l’objet du démontage est présentée dans notre article précédent et a été achetée neuve début 2018, il s’agit d’un mocassin noir de type penny loafer en montage Goodyear sous rainette. Le modèle n’existe plus dans la collection actuelle de la marque. Cette paire compte environ une trentaine de ports et n’a jamais été portée sous la pluie, elle est donc en très bon état.

Cet article est par définition technique et assume que le lecteur a lu notre article “Qu’est-ce qu’un soulier de qualité”. Néanmoins, voici une illustration comportant quelques indications quant au vocabulaire qui va être utilisé. (Source: Alain Madec)

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Le démontage

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On commence par le démontage du bloc talon. Ce dernier est livré préfabriqué à la marque comme c’est la norme dans l’industrie. À titre informatif, traditionnellement les bottiers assemblent le talon couche par couche, dans le prêt-à-porter (PAP) cette façon de faire ne se rencontre que chez certaines marques du haut de gamme. Le bonbout est du type “cuir coin caoutchouc” et est maintenu par 6 petites pointes en laiton dont le rôle est surtout décoratif.

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Le bonbout en caoutchouc est exposé, on va pouvoir le retirer.

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Le bonbout en caoutchouc a été retiré, et l’on voit maintenant le premier sous bout. Ce dernier a été quadrillé pour permettre à la colle néoprène de mieux adhérer et donc de bien cimenter les deux pièces.
Cette photo permet également de voir l’état de la semelle d’usure, cette dernière bien qu’étant récente est assez usée surtout au niveau du bout. Ce n’est pas étonnant, à ce prix là vous n’avez pas du Bastin ou du Garat, patin et fer sont obligatoires ou en quelques mois vous pouvez trouer votre semelle.

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Le premier sous bout a été enlevé et l’on devine en dessous les clous vissés qui assurent le maintient du bloc talon à la première de montage. Le bloc talon est en cuir, c’est du croupon tannage végétal. Pour du PAP d’entrée de gamme c’est très bien. Il est rare dans cette gamme de prix de trouver du cuir où il est beaucoup plus commun de trouver des blocs talon en caoutchouc, salpa, voire même plastique avec enrobage “cuir”.

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On retourne la chaussure et on enlève la demi première de propreté (à droite), il est mesquin de ne mettre qu’une demi première de propreté mais c’est une économie courante dans cette gamme de prix.
La demi première de propreté a été collée sans attention particulière, dessus vous pouvez distinguer un “made in Spain” trompeur. Ce soulier date de la période où Meermin faisait fabriquer les souliers en Chine pour ensuite les “finir” en Espagne, cela démontre encore une fois qu’il ne faut pas se baser sur les indications de provenance. La production actuelle est exclusivement Chinoise.

En dessous de la demi première de propreté se trouve un morceau de polyéthylène ou de polypropylène blanc de faible densité, cela sert de padding pour le talon. On est très loin d’avoir quelque chose de qualitatif ou de confortable, mais encore une fois dans cette gamme de prix c’est la norme. En dessous de ce padding se trouve la première de montage en cuir avec les 7 clous vissés qui servent à maintenir le bloc talon. La première de montage est plutôt épaisse par rapport à la concurrence et présente l’avantage d’être en cuir, certaines marques parfois beaucoup plus chères utilisent du salpa…. coucou Alden.

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Les clous vissés maintenant exposés après avoir retiré une autre couche du bloc talon. La base du talon a été quadrillée pour permettre une meilleure adhésion de la colle néoprène au premier sous bout du bloc talon. Certain fournisseurs ne prennent pas le temps de quadriller cette partie et rendent le bloc talon beaucoup plus facile à démonter puisque la colle néoprène n’adhère pas aussi bien.

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Le bloc talon a été difficile à démonter ce qui laisse supposer une bonne durabilité dans le temps. Le fait que ce dernier soit fait de cuir et qu’il soit maintenu par 7 clous vissés et de la colle néoprène est un bon point. Beaucoup de marques se contentent bien souvent de 4 clous simples, parfois 3. La qualité dans le monde du soulier n’est pas linéaire, une paire de Meermin à 190€ peut avoir un meilleur bloc talon qu’une paire de Vass à 500 (qui est passé au salpa, du moins sur certains modèles) ou qu’une paire d’Alden à 650. Cette photo permet de voir la roulette d’emboitage, cette dernière n’est pas très marquée ni très belle mais elle a le mérite d’exister.

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On s’attaque maintenant à la couture petit point. Le plus simple est d’insérer un tournevis à tête plate pour séparer légèrement les semelles et ensuite couper la couture à l’aide d’un tranchet ou d’un cutter. Cette paire n’est pas destinée à être remontée, j’ai effectué le découpage rapidement et donc peu proprement. Je n’ai pas non plus pris la peine d’enlever les fils.

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Une fois la couture petit point coupée on peut “ouvrir” le soulier. Le rempli est en pâte de liège et est en bon état, cela n’est pas étonnant puisque la paire a été peu utilisée.

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Le cambrion est monté sous un morceau de salpa et l’ensemble est maintenu en place par un clou vissé ainsi que de la colle néoprène.

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Sans surprise le mur de montage est collé, le fil qui sert à la couture trépointe est noir et la couture a une densité de 2 spi. La bande de toile est de taille moyenne. Pour un mocassin un montage Blake aurait été plus approprié notamment pour sa souplesse, mais Meermin base sa communication sur le Goodyear master race. La tige et les renforts seront pourris avant le montage. Un non sens purement commercial pour appâter les débiles.

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Une fois que l’on a retiré le clou vissé on ôte le cambrion. Sans être difficile à enlever ce dernier résiste plus qu’avec d’autres marques où est il possible de l’enlever juste en soufflant dessus. Je déconne mais pas tant que ça. Le cambrion est en acier et est protégé par un morceau de salpa.

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L’emplacement du cambrion. Le fil se ballade est celui de la trépointe.

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Un petit détail qu’il est intéressant de noter, le couche point est maintenu en place par 6 pointes (semences), ce qui est la technique traditionnelle. De nos jours il est beaucoup plus commun d’utiliser des agrafes, du moins sur les productions qui sortent des usines Européennes.

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Sans la moindre surprise le bout dur est thermocollé comme sur pratiquement l’intégralité des marques de PAP. Toutefois, le celastic (ou autre thermoplastique utilisé) est de médiocre qualité, il est fin et peu rigide à la limite du papier à cigarette. C’est une économie de bout de chandelle sur un élément structurant important.

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Le contrefort est là aussi, sans surprise, en celastic ou tout autre matière thermoplastique. Comme sur le bout dur, il est extrêmement fin et peu rigide. Contrairement à ce qui a été avancé par le nain narcissique et alcoolique qui s’est autoproclamé snob de la pompe, il ne fait pas bon mégoter sur les contreforts. Il s’agit d’une pièce d’usure, structurante, et sur des mocassins il est particulièrement sollicité puisque beaucoup de gens n’utilisent pas de chausse-pied pour les mettre. Si un contrefort synthétique casse, il n’est pas réparable.

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Une comparaison rapide qui illustre le problème. Nous avons ici le pied droit de notre paire de Meermin (pied qui est resté intact). Et le pied gauche d’une paire de mocassin Carmina. En appliquant une pression sur l’arrière du contrefort il est facile de voir à quel point celui-ci se déforme. La pression est la même et il est évident que la paire de Meermin est extrêmement souple à l’emboitage, alors que la paire de Carmina est plus rigide. Il y a une raison derrière cela, Meermin utilise un celastic de qualité médiocre, Carmina utilise du salpa. Je ne vais pas réexpliquer la différence entre contreforts en celastic, salpa, et cuir, cela a déjà été fait dans notre article sur ce qu’est une chaussure de qualité.

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Les renforts sont simplement fabriqués dans une toile collée. Les ailettes de renfort en cuir sont uniquement présentes sur certaines marques haut de gamme.

Conclusion

Avant tout chose, il est important de comprendre que cette paire ne reflète pas nécessairement le reste de la production de Meermin. Chaque modèle est fabriqué selon son propre cahier des charges. Concrètement ce n’est pas parce que ce modèle avait un talon en cuir que c’est le cas des autres mocassins de la marque. Cela est d’autant plus vrai que la marque a vu la qualité de ses productions baisser de manière significative ces derniers temps, du moins en ce qui concerne les finitions et l’attention portée aux détails.      

     
Au final, quel est l’intérêt d’utiliser un montage Goodyear sur un soulier qui va devenir difforme à cause d’éléments structurants fabriqués dans du papier toilette glorifié ? L’intérêt pour la marque est de s’attribuer les qualités de durabilité du montage, pour les transposer au reste de la chaussure. Ainsi on opère le glissement d’une chaussure au montage durable, vers une chaussure durable. Habile, mais ce n’est pas la réalité. Meermin n’est pas le seul coupable de cette pratique, loin de là. Il faut garder à l’esprit qu’il s’agit de chaussures d’entrée de gamme, et que le concurrence n’est pas nécessairement meilleure sur ce point. Ou si elle l’est, elle pèche sur d’autres aspects. Il faut en plus souligner qu’avec un bon roulement et un bon entretien il est parfaitement possible de conserver une paire de Meermin plusieurs années sans soucis.     

     
Le bilan global est donc quand même plutôt positif. Le travail sur le bloc talon et la première de montage est particulièrement louable. L’utilisation de cuir pour ces deux éléments est assez rare dans cette gamme de prix et l’épaisseur de la première de montage est tout à fait correcte. La tige ne présentait pas de défauts majeurs mais ne mérite pas non plus d’éloges.