Passaggio Cravatte: histoire d’un scandale

Avant-propos

Les illustrations de cet article ainsi que les légendes qui les accompagnent jouent un rôle important dans la narration de cette affaire. Prenez soin de les lire en intégralité sous peine de manquer des points importants. Si certaines images sont trop petites, il vous suffit de faire un clic droit dessus et de choisir de les ouvrir dans nouvel onglet pour qu’elles apparaissent dans leur taille originale.

L’industrie de “l’élégance” est une excroissance cancéreuse de l’industrie du luxe, elle-même création de la bourgeoisie qui tel M Jourdain, rêvait d’être mais ne pouvait que paraître. Le véritable luxe statutaire étant réservé à ceux qui étaient et n’avaient donc point besoin de paraître. Explication de texte pour les cons : le luxe c’est un truc de parvenus et l’élégance un truc de ploucs parvenus. Il suffit de regarder les vedettes du milieu pour s’en convaincre. La parade des suçons.

Il s’agit donc d’un marché de niche, essentiellement destiné à une frange limitée de la population (Dieu merci) qui se croit détentrice d’un savoir sibyllin millénaire oublié par ses contemporains et envers lequel il pense avoir un devoir perpétuel. L’élégant se sent investi d’une mission sacrée qui le met au ban de la société, une quête divine dont il cache le coût à sa compagne, sans qu’il n’en sache lui-même précisément la nature ou le but. Il le sait, il le sent, la perpétuation d’une tradition vestimentaire oubliée repose sur ses épaules, il se DOIT de parfaire son élégance et pour cela il est à la recherche constante de la perle rare, du Saint Graal de la sape, d’une pièce exceptionnelle qui comblera un instant la vacuité de son existence. Au fond, l’élégant est un pigeon, un pigeon bon à plumer, sa quête l’exposant souvent cul nu à toute une bande de maquereaux en recherche constante de nouveaux clients. Et c’est justement l’histoire d’un de ces maquereaux que nous allons vous raconter aujourd’hui.

Enfin, ne vous emballez pas trop vite. On ne va pas vous présenter un Christophe Rocancourt, il n’en a pas le physique, ou un Jordan Belfort, il n’en a pas l’envergure. Néanmoins, un escroc aussi petit soit-il, demeure un escroc et Gianni Cerruti fait honneur à la profession. Bien que le nom soit le même, il n’a aucun lien de parenté avec Nino Cerruti fondateur du groupe Cerruti, il est simplement un petit “journaliste” de mode, du moins c’est ce qu’il racontait à une époque. Car comme tous les Italiens Gianni est un peu mythomane. C’est cette même mythomanie qui l’a poussé à s’imaginer maitre cravatier ès enculade. En tant que cravatier il n’est pas brillant, mais en matière d’enculade, grande lavoro, bellissimo, molto macaroni! Superbe.

Le protagoniste principal de cette sombre affaire, signore Gianni Cerruti, cravatier dilettante et mythomane patenté. (Source : Musella Dembech Milano)
Le protagoniste principal de cette sombre affaire, signore Gianni Cerruti, cravatier dilettante et mythomane patenté. (Source : Musella Dembech Milano)
La genèse du mal, Gianni est crapule de naissance et raconte comment déjà à l’époque il se faisait passer pour ce qu’il n’était pas. (source : L&A)
La genèse du mal, Gianni est crapule de naissance et raconte comment déjà à l’époque il se faisait passer pour ce qu’il n’était pas. (source : L&A)

Les premières années dans la cravate.

Alors, je vous vois venir, vous allez me dire “mais comment devient-on maitre cravatier” ? Vaste question. Je peux vous dire qu’il faut deux choses : du savoir-faire et du tissu. Dans le cadre de Gianni, tout commença entre 2010 et 2011 quand lui et Martha Passaggio fondirent Passaggio cravatte. L’objectif de la marque est de proposer des cravates bespoke en tissu “vintage”. Pourquoi vintage ? Parce que comme tous les escrocs Gianni a un fond d’intelligence mal placée, et il sait que c’est un argument de vente qui va attirer tous les dandys en mal d’inspiration et autres élégants de pacotille. Car il faut le savoir, en Italie si vous n’avez pas votre cravate taillée dans le Saint-Suaire à 50 ans, vous avez raté votre vie. Seulement Gianni Cerutti et sa partenaire n’ont suivi aucune formation dans le milieu, dans un sens ce sont des précurseurs de la vague des cyber “artisans” d’école de commerce. Ce sont des néophytes complets. Dès lors comment assurer l’aspect “bespoke” de “leur” production ? Il leur a suffi de trouver un atelier déjà installé. Lequel fabrique des cravates pour d’autres… vous savez, le principe des private label ? En l’occurrence l’atelier en question est situé dans les alentours de Naples et sert entre autres à, Patrizio Cappelli, quelqu'un de plutôt réputé dans le milieu. Voilà qui assurait le savoir-faire. Pour ce qui est du tissu maintenant, c’est on ne peut plus simple. Il se trouve que Gianni a obtenu par l’intermédiaire d’un ouvrier indélicat un lot de tissu Anglais volé…à Patrizio Cappelli, lot de tissu provenant de l’atelier qui à l’époque leur était commun. Patrizio Cappelli l’apprend et l’employé indélicat en question s'est retrouvé avec une tête de cheval mort dans son lit ou a appris à nager dans la baie de Naples avec des plombs aux pieds, on ne sait pas très bien. Toujours est-il que Cappelli décide de ne pas faire de scandale et Gianni, conserve donc le tissu volé, à partir duquel il va faire fabriquer des cravates, ce qui fait de lui un receleur. Pas mal pour un début, mais c’est un peu juste, on ne commence pas un business de vente de cravates uniquement avec un lot de tissu volé. Niveau sélection, c’est pas top.

Cette cravate de Passaggio a été l’une des premières réalisations de la marque et a été fabriquée avec un tissu volé chez Cappelli. (Source : Dessedwell)
Cette cravate de Passaggio a été l’une des premières réalisations de la marque et a été fabriquée avec un tissu volé chez Cappelli. (Source : Dessedwell)
Un lot de tissu provenant de chez Cappelli, le tissu est identifié comme appartement à Cappelli sur l’étiquette, et le dernier tissu est, oh surprise, le même que celui utilisé pour la cravate Passaggio présentée au-dessus. (Source : Dressedwell)
Un lot de tissu provenant de chez Cappelli, le tissu est identifié comme appartement à Cappelli sur l’étiquette, et le dernier tissu est, oh surprise, le même que celui utilisé pour la cravate Passaggio présentée au-dessus. (Source : Dressedwell)

Afin de bien comprendre la suite de l’affaire Passaggio il nous faut maintenant ouvrir une parenthèse sur les méthodes d’impression de la soie.

Les différentes techniques d’impression de la soie.

Il existe trois façons d’imprimer de la soie, la première façon, la plus ancienne correspond à l’impression par blocs. Le principe est simple, l’application complexe. Pour imprimer un motif sur un tissu il faut tout d’abord sculpter le motif dans un bloc de bois. Le bloc est ensuite trempé dans la couleur que l’on souhaite utiliser, et est positionné sur le tissu. L’ouvrier frappe ensuite le bloc avec un maillet garni de plomb pour assurer le transfert de la couleur du bloc au tissu. Il faut utiliser un bloc par couleur et il faut être extrêmement minutieux pour que le motif soit régulier. Inutile de dire qu’il s’agit d’un processus lent. Le simple fait de sculpter les motifs dans un bloc de bois est un art à part entière, pour donner une idée, les artisans qui se chargeaient de cette étape pour la célèbre maison Liberty devaient suivre un apprentissage qui durait… 7 ans. Avec la révolution industrielle et la mécanisation de l’industrie, ce processus a ensuite été adapté à la machine à vapeur. On parlait alors de “roller printing” ou parfois de “calico printing” en référence au tissu de coton communément utilisé à l’époque. En Angleterre, la dernière entreprise à imprimer la soie par blocs était David Evans & Co, elle a arrêté dans les années 80 mais la technique se pratique encore couramment en Inde.

La gravure d’un bloc est une étape chronophage et délicate à réaliser. (Source : Channel 4)
La gravure d’un bloc est une étape chronophage et délicate à réaliser. (Source : Channel 4)
La difficulté du processus tient dans l’alignement du motif et sa régularité. L’exemple utilisé dans ces photos montre un essai raté avec un espace significatif entre deux impressions. Pour s’aider les ouvriers utilisaient des petits repères pour aligner correctement chacun des blocs mais cela laisse une trace sur la soie. C’est d’ailleurs l’un des moyens existant pour repérer une soie imprimée par blocs. (Source : Channel 4)
La difficulté du processus tient dans l’alignement du motif et sa régularité. L’exemple utilisé dans ces photos montre un essai raté avec un espace significatif entre deux impressions. Pour s’aider les ouvriers utilisaient des petits repères pour aligner correctement chacun des blocs mais cela laisse une trace sur la soie. C’est d’ailleurs l’un des moyens existant pour repérer une soie imprimée par blocs. (Source : Channel 4)
La révolution industrielle a mécanisé l’impression par blocs avec les premières machines. Le principe reste le même, mais à la place de blocs de bois on utilise des motifs forgés dans du métal. (Source : Wikimedia)
La révolution industrielle a mécanisé l’impression par blocs avec les premières machines. Le principe reste le même, mais à la place de blocs de bois on utilise des motifs forgés dans du métal. (Source : Wikimedia)

À partir de 1911 une autre technique plus efficace s’est développée : l’impression par cadre, également appelée silkscreen printing en Anglais. Le principe est celui de la sérigraphie, si l’on veut simplifier à l’extrême pour ceux qui sont à la ramasse : l’impression par cadre (plat ou rotatif) revient à utiliser la méthode du pochoir. La sérigraphie est une technique d’impression qui fonctionne avec un écran formé d’une pièce de tissu aux mailles bouchées à certains endroits et ouvertes à d’autres afin de laisser ou non passer l’encre. Une fois l'écran fixé dans le cadre, le sérigraphe dépose l'encre sur le tissu. Avec une raclette d'impression l'encre est forcée au travers des mailles ouvertes du tissu mais elle est bloquée là où les mailles sont bouchées. Cela peut sembler compliqué, mais c’est en réalité assez simple. L’impression par cadre plat est en revanche un processus qui demande beaucoup de place pour son industrialisation. En effet le textile n’est pas une matière rigide. Il n’est par conséquent pas possible d’imprimer la première couleur, de retirer le textile, de laisser sécher l’encre puis de repositionner le textile au même endroit pour imprimer la couleur suivante sans risque de déformation. Pour pallier ce problème on utilise un carrousel sur lequel on fixe tous les écrans, comme sur une ligne de montage. Cela implique d’avoir beaucoup d’espace disponible puisque certaines tables d’impression dites à la lyonnaise font jusqu’à 150 mètres de longueurs.

Une gravure qui va servir à fabriquer un cadre sérigraphique à partir duquel la soie sera imprimée. (Source : Hermès)
Une gravure qui va servir à fabriquer un cadre sérigraphique à partir duquel la soie sera imprimée. (Source : Hermès)
Un ouvrier forçant la couleur à travers l’écran à l’aide d’une raclette. (Source : Medium)
Un ouvrier forçant la couleur à travers l’écran à l’aide d’une raclette. (Source : Medium)
Les tables d’impression chez Hermès, avec au premier plan un cadre. Cette photo illustre bien la place considérable dont il est nécessaire de disposer pour faire de l’impression par cadre plat à un niveau industriel. (Source : Hermès)
Les tables d’impression chez Hermès, avec au premier plan un cadre. Cette photo illustre bien la place considérable dont il est nécessaire de disposer pour faire de l’impression par cadre plat à un niveau industriel. (Source : Hermès)
Le même principe mais à un niveau artisanal. Cette photo est intéressante car elle montre bien la façon dont l’encre traverse le tissu pour colorer aussi bien l’endroit que l’envers. (Source : Ina)
Le même principe mais à un niveau artisanal. Cette photo est intéressante car elle montre bien la façon dont l’encre traverse le tissu pour colorer aussi bien l’endroit que l’envers. (Source : Ina)

La troisième et dernière technique d’impression est la plus moderne puisqu’il s’agit de l’impression par imprimante jet d’encre. Apparue à la toute fin des années 80, l’impression digitale ne se développe réellement que dans les années 90 pour connaître ensuite une croissance fulgurante. Elle utilise un processus similaire à celui que vous pouvez utiliser chez vous pour imprimer une feuille de papier mais bien évidemment adapté au textile. L’impression jet d’encre a deux avantages, elle permet de réaliser un gain de place considérable, ainsi qu’un gain de temps. En revanche l’impression textile numérique a un inconvénient majeur que Gianni semblait ignorer ou du moins il espérait que ses clients l’ignorent, l’encre ne traverse pas complètement le support, l’envers reste donc vierge. Et comme bien souvent pour des raisons techniques le tissu utilisé est blanc, l’envers est blanc. Cela rend les soies imprimées très facilement identifiable, souvenez-vous en, c’est le cœur de notre affaire.

Une imprimante textile. Vous pouvez voir le gain de place et de temps que cette technique permet d’effectuer. (Source : Economyup)
Une imprimante textile. Vous pouvez voir le gain de place et de temps que cette technique permet d’effectuer. (Source : Economyup)
Une impression jet d’encre et le stock de soie blanche chez Robert Keyte Silks Ltd, l’usine utilise également la technique de l’impression par cadre. (Source : FieldGrey)
Une impression jet d’encre et le stock de soie blanche chez Robert Keyte Silks Ltd, l’usine utilise également la technique de l’impression par cadre. (Source : FieldGrey)

Le rôle des influenceurs.

Fermons maintenant la parenthèse technique et revenons à Passaggio. En 2012, Gianni passe à l’offensive, l’opération maquereautage de masse est lancée. Il contacte plus ou moins toutes les grosses gagneuses du milieu. Huguette de Paris, Simone de Londres, et même Justine des Amériques. Toutes les tenancières des blogs en vogue du milieu, Gianni veut le plus beau bordel qui soit. Le One-Two-Two à coté c’est un clapier, le Chabanais ? Un bouge monsieur, un bouge ! Gianni a la taule la plus en vogue de tous les interwebz. À toutes ses gagneuses il donne des cravates gratuites et surtout le même discours : le signore Cerruti est un véritable artisan, ses cravates sont fabriquées à la main comme il y a plus de cents ans. Et ses tissus sont des pièces exceptionnelles, majoritairement anciennes, avec beaucoup d’années sur leur épaules (oui, oui la formule est de Gianni, j’y reviendrai). Après la petite explication sur les méthodes d’impression, vous commencez un peu à le voir venir le truc des soies anciennes ? Toujours est-il que ses gagneuses font leur travail, elles racolent comme si leur vie en dépendait. Avec les superlatifs et tout le toutim tout en ignorant bien évidemment ce qu’elles ont véritablement entre les mains.

Simone de Londres qui vante sur son blog “le style permanent” les mérites des cravates Passaggio. Il est particulièrement content de sa cravate rouge, celle en soie “vintage”. Oui, oui celle avec l’envers blanc. Celle avec la soie imprimée à l’imprimante jet d’encre. Celle qui ne doit pas avoir plus de 10 ans d’âge. C’est pas vraiment vintage, ça, 10 ans. La preuve, c’est le millésime favori d’un Cohn-Bendit ou d’un Duhamel. Quelle surprise, le spécialiste du style permanent ne sait pas de quoi il parle. Notez également la mention des “90 % ” cela va avoir son importance plus tard. (Source : Permanentstyle)
Simone de Londres qui vante sur son blog “le style permanent” les mérites des cravates Passaggio. Il est particulièrement content de sa cravate rouge, celle en soie “vintage”. Oui, oui celle avec l’envers blanc. Celle avec la soie imprimée à l’imprimante jet d’encre. Celle qui ne doit pas avoir plus de 10 ans d’âge. C’est pas vraiment vintage, ça, 10 ans. La preuve, c’est le millésime favori d’un Cohn-Bendit ou d’un Duhamel. Quelle surprise, le spécialiste du style permanent ne sait pas de quoi il parle. Notez également la mention des “90 % ” cela va avoir son importance plus tard. (Source : Permanentstyle)
Sans surprise chez Huguette de Paris les louanges sont également au rendez-vous. Notez les “méthodes centenaires” qui est un gimmick soufflé à sa gagneuse par Gianni qu’il va ensuite répéter ad nauseam à qui veut bien l’entendre. La mention d’une production “exclusivement sur mesure” a été également soufflée par Gianni, alors que ses produits sont vendus en PAP chez un certain nombre de revendeurs. Nous reviendrons également là-dessus plus tard. (Source : Parisiangentleman)
Sans surprise chez Huguette de Paris les louanges sont également au rendez-vous. Notez les “méthodes centenaires” qui est un gimmick soufflé à sa gagneuse par Gianni qu’il va ensuite répéter ad nauseam à qui veut bien l’entendre. La mention d’une production “exclusivement sur mesure” a été également soufflée par Gianni, alors que ses produits sont vendus en PAP chez un certain nombre de revendeurs. Nous reviendrons également là-dessus plus tard. (Source : Parisiangentleman)
Ce qui fait l’attractivité des tissus anciens, c’est en partie leur grande rareté. Dès lors n’est-il pas étrange que Gianni ait beaucoup de tissus “jumeaux” à savoir des lots avec les mêmes motifs mais dans des couleurs différentes ? Enfin qui sait… peut-être a-t-il mis la main sur le trésor de guerre du Duce ? (Source : Parisiangentleman)
Ce qui fait l’attractivité des tissus anciens, c’est en partie leur grande rareté. Dès lors n’est-il pas étrange que Gianni ait beaucoup de tissus “jumeaux” à savoir des lots avec les mêmes motifs mais dans des couleurs différentes ? Enfin qui sait… peut-être a-t-il mis la main sur le trésor de guerre du Duce ? (Source : Parisiangentleman)
À ce niveau le nombre de duplicatas est presque comique pour des tissus prétendument anciens. Étonnamment à l’époque personne n’a tiqué. (source : Dressedwell)
À ce niveau le nombre de duplicatas est presque comique pour des tissus prétendument anciens. Étonnamment à l’époque personne n’a tiqué. (source : Dressedwell)
Gianni en compagnie d’une partie de ses gagneuses au Pitié Uomo. (Source : Parisiangentleman)
Gianni en compagnie d’une partie de ses gagneuses au Pitié Uomo. (Source : Parisiangentleman)

Pour Gianni les affaires commencent à tourner à plein régime, il intègre alors le guide PG d’Huguette. Le fameux guide des maisons “triées sur le volet”. Comprendre par-là, celles qui acceptaient de payer une cotisation pour y figurer. Fin 2013 Gianni visiblement content du succès qu’a eu l’opération maquereautage se dit qu’il est temps de passer à la vitesse supérieure. Il devient alors affilié à Styleforum. Pour ceux qui l’ignorent Styleforum est l’une des plus grosses plateformes de discussion dédiée au vêtement “classique” dans le monde anglophone. Le site offre la possibilité aux marques qui le désirent d’ouvrir un “thread” affilié en échange d’une cotisation, qui à l’époque avoisinait les $600 par mois. Gianni y voit l’opportunité de toucher une clientèle nouvelle, plus internationale et après un court processus d'admission c’est avec la bénédiction de l’équipe administratrice de Styleforum qu’il ouvre son thread en Septembre 2013.

Passaggio dans le guide des plaisirs d’Huguette. Je rappelle que sur le même site on parlait de “la nouvelle référence mondiale de la cravate sur mesure”. À ce niveau ce n’est plus de la flagornerie mais de l’anulingus. (Source : Parisiangentleman via Archive.org)
Passaggio dans le guide des plaisirs d’Huguette. Je rappelle que sur le même site on parlait de “la nouvelle référence mondiale de la cravate sur mesure”. À ce niveau ce n’est plus de la flagornerie mais de l’anulingus. (Source : Parisiangentleman via Archive.org)

L’intronisation du cravateur par StyleForum.

Seulement, comme tous les escrocs qui gagnent un peu trop en confiance Gianni devient négligent et commet plusieurs erreurs. Notamment celle de s’engager auprès d’une communauté anglophone, alors que son niveau d’Anglais est inférieur à celui d’un élève du primaire. Il parle par exemple de “vintage thirst” pour parler de soies anciennes car Google traduit “sete” (soies en Italien) par… thirst, ça en dit long sur son niveau de professionnalisme. Mais ce n’est pas tout, il a bien remarqué que ce que l'on retient de ses cravates, c'est avant tout le fait qu'elles soient fabriquées soi-disant avec des tissus vintages et qu'elles soient “bespoke”. C'était d'ailleurs son plan depuis le début. Aux élégants ploucs pigeons de Styleforum il va présenter l’intégralité de ses tissus comme exclusivement vintage et ses cravates comme étant uniquement bespoke. Seulement souvenez-vous, sa gagneuse Simone, celle du style permanent avait déclaré que 90% des tissus étaient anciens.... Comme tous les mythomanes Gianni commence à se perdre dans ses mensonges. Et en ce qui concerne l'aspect exclusivement bespoke de l'affaire, B&Tailor en Corée du Sud vendent des cravates Passaggio en prêt à porter.... mais Gianni devait s'imaginer que c'était suffisamment loin pour que ses pigeons Occidentaux ne soient au courant. En réalité, il a même plusieurs revendeurs à travers le monde.

Gianni n'a de cesse de le répéter, il ne fait pas de prêt-à-porter. À chaque interview où la question lui est posée, sa réponse est catégorique et pourtant....  (Source: Passaggio & Uptowndandy)
Gianni n'a de cesse de le répéter, il ne fait pas de prêt-à-porter. À chaque interview où la question lui est posée, sa réponse est catégorique et pourtant.... (Source: Passaggio & Uptowndandy)
Des cravates Passaggio prétendument bespoke en vente chez B&Tailor et d’autres revendeurs. Merde, la nouvelle référence mondiale de la cravate sur mesure quand même…. (Source : Dressedwell)
Des cravates Passaggio prétendument bespoke en vente chez B&Tailor et d’autres revendeurs. Merde, la nouvelle référence mondiale de la cravate sur mesure quand même…. (Source : Dressedwell)
Vous remarquerez que B&Tailor ont également des cravates “vintage” à l'envers blanc. La marque prendra ensuite soin d'indiquer la provenance vintage entre guillemets. (Source:B&Tailor via Archive.org)
Vous remarquerez que B&Tailor ont également des cravates “vintage” à l'envers blanc. La marque prendra ensuite soin d'indiquer la provenance vintage entre guillemets. (Source:B&Tailor via Archive.org)
Le premier message de Gianni sur son thread affilié de Styleforum. Plusieurs choses sont intéressantes, et contredisent directement des éléments que nous venons juste d'exposer. La première est bien évidemment l'affirmation faite par Gianni qu'il ne fait que du bespoke. La seconde est qu'il n'utilise que des soies “anciennes” qui “ont entre 40 et 80 ans sur leurs épaules” quand je vous disais que la formule était de Gianni.... Et enfin Gianni ne veut pas ouvrir de boutique car “they are too commercial”. On croirait entendre un collégien puceau qui crache sur le reste de l'industrie musicale alors que son “groupe” ne s'est jamais produit en dehors du garage familial. (Source : Styleforum)
Le premier message de Gianni sur son thread affilié de Styleforum. Plusieurs choses sont intéressantes, et contredisent directement des éléments que nous venons juste d'exposer. La première est bien évidemment l'affirmation faite par Gianni qu'il ne fait que du bespoke. La seconde est qu'il n'utilise que des soies “anciennes” qui “ont entre 40 et 80 ans sur leurs épaules” quand je vous disais que la formule était de Gianni.... Et enfin Gianni ne veut pas ouvrir de boutique car “they are too commercial”. On croirait entendre un collégien puceau qui crache sur le reste de l'industrie musicale alors que son “groupe” ne s'est jamais produit en dehors du garage familial. (Source : Styleforum)

Le reste de l’année 2013 se passe plutôt très bien pour Gianni, c’est d’ailleurs l’année où la recherche “passaggio cravatte” atteint son maximum sur Google. Il y a bien sa tapineuse, Simone de Londres qui lui cause quelques ennuis. Elle se plaint que le tissu choisi pour sa nouvelle cravate (gratuite) n’est pas adapté à une construction 7 plis… ce que Simone oublie de mentionner c’est que c’est de sa faute puisqu’elle a choisi le tissu. C’est un problème assez commun avec les cravates Passaggio car comme les clients (et Gianni) n’y connaissent rien et que de toute façon l’intégralité ou presque du business est fait par mail, personne n’a une chance de vérifier que le tissu choisi est adapté pour être utilisé sur une cravate 7 plis. Ça peut paraître incroyable, mais pour une offre bespoke soi-disant de luxe, la vaste majorité des clients n'ont même pas la possibilité de toucher le tissu qu'ils achètent, ni même de le voir en personne (à l’exception des rares trunk show) Gianni ne prend même pas la peine d'envoyer un bout de liasse ou une sélection de petits morceaux de tissus, tout se fait par mail. Vous pouvez lire notre article “anatomie de la cravate” pour en apprendre plus sur la façon dont est, correctement, fabriquée une cravate, c'est un peu plus compliqué que de couper du tissu et de le coudre.

Non seulement chez Gianni tout se fait par email, mais en plus on paye par virement bancaire ou par Western Union… un système de paiement n’offrant pas la plus grande protection à l’acheteur en cas de conflit, mais c’est probablement un hasard. (Source:Styleforum)
Non seulement chez Gianni tout se fait par email, mais en plus on paye par virement bancaire ou par Western Union… un système de paiement n’offrant pas la plus grande protection à l’acheteur en cas de conflit, mais c’est probablement un hasard. (Source:Styleforum)
Une capture d’écran du fichier Wetransfer envoyé aux clients potentiels. (Source : Dressedwell)
Une capture d’écran du fichier Wetransfer envoyé aux clients potentiels. (Source : Dressedwell)
Simone qui se plaint d’avoir récupéré une cravate au tissu non adapté.... par sa faute. (Source : Permanentstyle)
Simone qui se plaint d’avoir récupéré une cravate au tissu non adapté.... par sa faute. (Source : Permanentstyle)

Cave ne cadas. (Prends garde à la chute.)

Malheureusement pour le petit Mozart de la soie tout va subitement se compliquer à partir d’Avril 2014. De façon fortuite le pot aux roses est découvert par l’un de ses premiers clients qui poste sur Styleforum sous le pseudonyme de C&A. Ce dernier a été surpris de voir Gianni présenter en 2014 sur Styleforum une cravate “vintage” identique à celle qu’il avait fait réaliser par Gianni en 2011 alors que Passaggio venait tout juste d'être crée. Lorsque C&A avait commandé cette cravate en 2011 il avait choisi un tissu provenant de Seteria Bianchi qui n’était pas du tout “vintage” et qui pouvait être remanufacturée sur simple commande à l’usine, il a donc été étonné de voir que Gianni présentait maintenant ce tissu comme ancien, avec beaucoup d’années sur ses épaules. À partir de là commence une “enquête sur un citoyen au-dessus de tout soupçons”…

Gianni présente fièrement la dernière cravate vintage qu’il a “réalisée” pour un de ses “great friend of mine customer” (Source : Styleforum)
Gianni présente fièrement la dernière cravate vintage qu’il a “réalisée” pour un de ses “great friend of mine customer” (Source : Styleforum)
Cravate réalisée dans un tissus qu’il avait déjà utilisé deux ans auparavant pour un autre client, qui malheureusement pour Gianni fréquente Styleforum sous le pseudonyme de C&A. (Source : Styleforum)
Cravate réalisée dans un tissus qu’il avait déjà utilisé deux ans auparavant pour un autre client, qui malheureusement pour Gianni fréquente Styleforum sous le pseudonyme de C&A. (Source : Styleforum)
La réponse de Gianni se montre pour le moins évasive, certes il a bien réalisé une autre cravate dans le même tissu, mais c’est fini, terminé, y’a plus de tissu. C&A est intrigué par cette réponse et va tenter d’en savoir plus…. (Source : Styleforum)
La réponse de Gianni se montre pour le moins évasive, certes il a bien réalisé une autre cravate dans le même tissu, mais c’est fini, terminé, y’a plus de tissu. C&A est intrigué par cette réponse et va tenter d’en savoir plus…. (Source : Styleforum)
Il contacte donc Seteria Bianchi, les producteurs du tissu pour savoir s’il est encore possible d’en commander. Leur réponse ne se fait pas attendre, non seulement il est possible d’en commander, mais ils lui envoient également un exemple des différentes variations de couleurs possibles (non exclusives) sur ce motif, ainsi que les quantités minima de tissu nécessaire pour lancer la fabrication. (Source : Dressedwell)
Il contacte donc Seteria Bianchi, les producteurs du tissu pour savoir s’il est encore possible d’en commander. Leur réponse ne se fait pas attendre, non seulement il est possible d’en commander, mais ils lui envoient également un exemple des différentes variations de couleurs possibles (non exclusives) sur ce motif, ainsi que les quantités minima de tissu nécessaire pour lancer la fabrication. (Source : Dressedwell)

Merde alors, Gianni aurait-il menti ? Petit à petit, tout va commencer à s’éclaircir, l’histoire des tissus volés chez Capelli fait surface, et certaines rumeurs commencent à émerger à propos de l'envers blanc de certaines des cravates Passaggio, et sans que l’on en soit encore arrivé à un scandale à proprement parler un petit nombre d'incrédules commencent à questionner Gianni sur la provenance de ses tissus. Il a beau expliquer être un antiquaire du textile, partir en campagne, faire les poubelles, se déguiser en plombier pour s’introduire chez les gens et découper leurs rideaux il n’en reste pas moins que Gianni ne parvient pas à convaincre tout le monde sur la façon dont il se procure ses soieries soi-disant anciennes. En réalité en plus d’un stock de tissus, imprimés par cadre, relativement ancien mais pas du tout rare puisqu’étant surtout composé de fins de rouleaux provenant de Canepa S.P.A (un revendeur de tissu en Italie) il utilise également des tissus Anglais récents qu’il fait passer pour Italiens et vieux. Et surtout, il utilise des tissus récents imprimés à l’imprimante jet d’encre qu’il fait passer pour des tissus imprimés “à l’ancienne” comme il y a plus de 100 ans... mais ça vous le savez parce qu'on vous l'a expliqué. À l'époque sur Styleforum, tout n'est pas aussi clair. Devant les critiques, dans un premier temps Gianni feint d’ignorer les problèmes, et surtout joue la surprise et l’émotion. Il est blessé que ses amis clients puissent douter de lui.

Quand les questions commencent à se faire pressantes, Gianni à une réponse toute trouvée. “Why cheat my customer friends ? My buisness would be finished”. La logique est implacable, la commedia dell'arte dans toute sa splendeur. (Source : Styleforum)
Quand les questions commencent à se faire pressantes, Gianni à une réponse toute trouvée. “Why cheat my customer friends ? My buisness would be finished”. La logique est implacable, la commedia dell'arte dans toute sa splendeur. (Source : Styleforum)

Comme toujours dans ces situations, les réactions sont multiples. Il y a d’abord les victimes du syndrome de Stockholm, ils prennent parti pour leur maquereau et sont contents d’être victime, si c’était à refaire, ils redonneraient volontiers leur derrière et le plus drôle est qu'ils sont majoritaires. Il y a ensuite les indécis, ils attendent de voir dans quelle direction le vent tourne avant de prendre position. Et puis il y a ceux qui ne digèrent pas d’avoir payé un “premium” pour un produit qui n’était pas aussi “exclusif” qu’il prétendait être. Le fait est que Gianni est cher… très cher. Ses prix oscillent entre 150 et 220€ mais atteignent parfois plus de 300€. Certaines mauvaises langues disent que si Gianni est aussi cher c’est parce qu’il offre 75 % de sa production à son harem de gagneuses, ses petites influenceuses qui traînent aux quatre coins de l’internet pour vanter les louanges de Passaggio. Devant la pression Gianni commence à craquer et indique qu'il est peut-être possible que, éventuellement, son stock comporte quelques reproductions...

Gianni va finalement admettre que seulement 99.9 % de ses tissus sont anciens, alors que (souvenez-vous) jusque-là il avait toujours prétendu sur Styleforum que la totalité de ses tissus étaient “vintage”. Dans sa réponse il ira même jusqu'à prétendre que dans les interviews qu'il a pu donner à d'autres médias il a toujours mentionné que certains de ses tissus étaient des reproductions.... Mais est-ce bien le cas ? (Source : Styleforum)
Gianni va finalement admettre que seulement 99.9 % de ses tissus sont anciens, alors que (souvenez-vous) jusque-là il avait toujours prétendu sur Styleforum que la totalité de ses tissus étaient “vintage”. Dans sa réponse il ira même jusqu'à prétendre que dans les interviews qu'il a pu donner à d'autres médias il a toujours mentionné que certains de ses tissus étaient des reproductions.... Mais est-ce bien le cas ? (Source : Styleforum)
Voilà au moins deux interviews de Gianni qui prouvent le contraire et où il affirme n'utiliser que des tissus anciens.
Voilà au moins deux interviews de Gianni qui prouvent le contraire et où il affirme n'utiliser que des tissus anciens.
Gianni va aller jusqu’à dire que ses clients mécontents sont en fait des concurrents qui lui font mauvaise presse….  Si jamais vous l'ignorez, un voleur a toujours peur d'être volé. (Source : Styleforum)
Gianni va aller jusqu’à dire que ses clients mécontents sont en fait des concurrents qui lui font mauvaise presse…. Si jamais vous l'ignorez, un voleur a toujours peur d'être volé. (Source : Styleforum)

Afin de ne rien arranger Henry Carter, un autre revendeur de cravates, mais honnête cette fois, explique aux membres de Styleforum dans son propre thread d'affilié la différence entre une impression jet d’encre et une impression par cadre. Vous avez le bénéfice d’avoir eu ce petit topo plus tôt dans l’article, mais pour les ploucs de SF la distinction n’est pas encore bien comprise, malgré le très grand nombre d’experts autoproclamés au savoir millénaire qui parcourent le forum, beaucoup n’y ont vu que du feu. C'est ce que l'on gagne lorsque ce sont les ratés les plus rances qui décrètent le goût du jour.

Henry Carter qui explique sur son propre thread d’affilié, que bon, Passaggio, c’est un peu de l’arnaque quand même. (Source : Styleforum)
Henry Carter qui explique sur son propre thread d’affilié, que bon, Passaggio, c’est un peu de l’arnaque quand même. (Source : Styleforum)
Petit florilège des cravates à dos blanc Passaggio (Source: Uptwondandy, shoeblogsnob, permanentstyle, styleforum, dressedwell, thefineyounggentleman)
Petit florilège des cravates à dos blanc Passaggio (Source: Uptwondandy, shoeblogsnob, permanentstyle, styleforum, dressedwell, thefineyounggentleman)

De fait c'est à ce moment que beaucoup de “customer friends” s’aperçoivent que le dos de leur cravate supposée “vintage” est tellement blanc qu’on lui reprocherait presque la colonisation, le réchauffement climatique, la génétique et tout le reste. Tous ne vont pas apprécier de s'être fait cravater de la sorte et la colère monte. Chez Styleforum c’est la panique, le feu est au bordel, il s’agit de protéger l’enfant prodige et ils font de leur mieux pour tenter d’étouffer l’affaire en supprimant beaucoup de messages et en bannissant quelques membres. Tel un Houdini, Gianni va d’ailleurs disparaitre pendant quelques temps et ignorer ses problèmes car il a un trunk show important à Londres qui arrive. Il va d’ailleurs être accompagné de sa tapineuse Polonaise aux loafers bleus, si vous ne savez pas de qui il s’agit, vous ne manquez pas grand-chose, c’est un énième influenceur morveux spécialement spécialiste, expert du vide, et professionnel artisanal du néant.

Malheureusement au retour de Gianni, la situation ne s'est pas améliorée, de plus en plus questionné sur la provenance de ses soies et sur son éthique en générale Gianni va finir par craquer et se décide à répondre à toutes les critiques qui lui sont adressées dans un message sur son thread d’affilié. Tel un discours présidentiel il multiplie les approximations, contradictions et - bien évidemment – les mensonges. Selon lui 90 % de ses tissus sont vintage, l’air de rien on a perdu 9,9 % de tissus anciens en juste quelques jours… Et puis de toute façon qu’est-ce qu’on l’emmerde, les imprimantes jets d’encres ont au moins 20 ans d’âge alors elles aussi elles sont vintages. Et probablement fabriquées à la main “like 100 years ago”. Tel le roi Midas qui transformait en or tous ce qu’il touchait, Gianni transforme en antiquité tout ce qui entre en contact avec ses mains. Quand on lui demande comment il date un tissu, affront, grando colèro, tout son savoir sur la soierie lui est venu alors que tout jeune bambino il suçait les rideaux en soie de sa grand-mère. Gianni adore la soie, depuis qu’il est tout petit il se roule dedans, il s’essuie le derrière avec, il pense comme la soie, vit comme la soie, Gianni EST la soie.
Il termine par un cinglant, “I'm apologize for this bad situation. And now let me work. I don't care the controversy.”. Merde à la fin, c’est quoi ces empêcheurs d’escroquer en rond. Le navire prend l’eau de toute part mais SF vient, une fois de plus, jeter une bouée de sauvetage à l’enfant prodige en disant qu’il n’est pas question d’accuser Gianni d’activités illicites, et que le problème est donc clos. Le message est simple : achetez les cravates de l’affilié et ne faites pas chier !

La tirade de Gianni est reproduite ici, tel une pierre de Rosette, pour le plus grand plaisir des linguistes.  Ces derniers essayent encore de comprendre le babillage du bambino prodige. (Source : Styleforum)
La tirade de Gianni est reproduite ici, tel une pierre de Rosette, pour le plus grand plaisir des linguistes. Ces derniers essayent encore de comprendre le babillage du bambino prodige. (Source : Styleforum)

Et il s’en est fallu de peu pour que l’affaire s’arrête là, heureusement pour notre plus grand bonheur il n'en est rien. Gianni est un voyou de petite envergure, son affaire c'est 50% de culot et 50% de vide, Il est parti dans la vie du pied d'imposture, il s'imagine cravatier comme Biden s'imagine président. C'est du vent, de la ventriloquie, du spectacle pour caniche. La cour des impuissants mégalomanes. Non seulement il mégote, trafic, ergote, sur la provenance des tissus, mais il entube aussi sur les délais et la qualité de fabrication. Comme nous l’avons expliqué pour passer commande chez lui, rien de plus simple, vous lui envoyez un mail, il vous répond en envoyant un fichier Wetransfer avec l’intégralité de son catalogue de tissus, vous choisissez ce que vous voulez et vous payez. Si vous avez de la chance 3 semaines après vous recevez votre cravate. À moins que ça ne soit 6 semaines, ou 12… ou 6 mois. De plus en plus de personnes se plaignent ne pas recevoir leur cravate… et quand les cravates arrivent (si elles arrivent) elles sont bien souvent défectueuses.

Bien souvent les cravates de Gianni ont des problèmes de dimension, mais elles ont aussi des défauts flagrants, comme des étiquettes cousues à l'envers ou des tissus endommagés. (Source : Styleforum)
Bien souvent les cravates de Gianni ont des problèmes de dimension, mais elles ont aussi des défauts flagrants, comme des étiquettes cousues à l'envers ou des tissus endommagés. (Source : Styleforum)

Autant les premières cravates fabriquées par Gianni provenaient bel et bien d'un atelier réputé, il semble qu'à un certain moment y ait eu un changement dans le lieu de fabrication. Aucune certitude là-dessus, mais à voir les photos de Gianni dans son “atelier” (vous pouvez en voir plus sur ce blog asiatique) on peut imaginer qu'il se partage maintenant la fabrication avec son associée Martha. Ou du moins qu'il assure lui-même certaines étapes de la fabrication... Car quand on voit comment les broderies sont effectuées….

Le travail d’un artisan de talent, sans aucun doute. Les problèmes de centrage sont évidemment là pour souligner la qualité millénaire du travail tuttofattoamano™. (Source: Dressedwell, styleforum, passaggiocravatte)
Le travail d’un artisan de talent, sans aucun doute. Les problèmes de centrage sont évidemment là pour souligner la qualité millénaire du travail tuttofattoamano™. (Source: Dressedwell, styleforum, passaggiocravatte)
Gianni joue au cravatier comme un môme jouerait à la dinette. On appréciera la machine à coudre Singer de bonne mère de famille. Un modèle d’exception utilisé par tous les artisans renommés, Edward Sexton avait la même. (Source: Passaggiocravette, dressedwell)
Gianni joue au cravatier comme un môme jouerait à la dinette. On appréciera la machine à coudre Singer de bonne mère de famille. Un modèle d’exception utilisé par tous les artisans renommés, Edward Sexton avait la même. (Source: Passaggiocravette, dressedwell)

Mais les critiques, moqueries et requêtes légitimes adressées par certains clients lésés vont rester lettre morte, Gianni semble en avoir marre de ses customer friends exigeants et il finira par quitter brutalement Styleforum en Juillet 2014 en ne renouvelant pas son statut d’affilié. Certains ne recevront jamais leurs cravates.

Du côté de l'administration de Styleforum, petit groupe de boutiquiers d'arrière loge, on souhaite le meilleur à Gianni et on passe sous silence le fait d'avoir donné des clients à un escroc. C’est de l’opportunisme de voyou, mais bon, il faut bien payer le crédit de la Porsche. Les acheteurs lésés par Passaggio, sponsor et affilié du forum peuvent aller se faire mettre. (Source : Styleforum)
Du côté de l'administration de Styleforum, petit groupe de boutiquiers d'arrière loge, on souhaite le meilleur à Gianni et on passe sous silence le fait d'avoir donné des clients à un escroc. C’est de l’opportunisme de voyou, mais bon, il faut bien payer le crédit de la Porsche. Les acheteurs lésés par Passaggio, sponsor et affilié du forum peuvent aller se faire mettre. (Source : Styleforum)
Le scandale ne sera pas sans conséquence. Les revendeurs de Passaggio liquident leur stock de cravates “uniquement fabriquées sur mesure”. (Source : Granqvist)
Le scandale ne sera pas sans conséquence. Les revendeurs de Passaggio liquident leur stock de cravates “uniquement fabriquées sur mesure”. (Source : Granqvist)
Le Mozart de la soie ne sait même pas ce qu’est un motif de type “regimental”. (Source Passaggio)
Le Mozart de la soie ne sait même pas ce qu’est un motif de type “regimental”. (Source Passaggio)

Epilogue

Est-ce pour autant la fin de notre faussaire du textile ? Non, bien sûr que non. Il va brièvement disparaître des radars mais relancera son arnaque grâce à Instagram et il aura les honneurs de Forbes, GQ, Newsweek, Esquire… dans des articles où les journalopes armés d’une forte brosse à reluire racontent dix mille flatteries d’enfiotés. Les valets bavent mot pour mot ce que leur dit leur maître Gianni, pas un ne vérifie, ils encaissent et publient leur charabiade. Au final ça ne change pas beaucoup des blogs. Plus la marchandise est vaine, plus le client est con, alors pourquoi se priver ? Il n’y a rien qu’un peu de marketing ne puisse arranger. Aux dernières nouvelles le Ponzi de la soie s'est même essayé à la politique… malheureusement Gianni n’a pas choisi le bon corps de métier pour réussir dans ce domaine, il est pseudo cravatier, pour bien faire il aurait fallu être maçon. Et puis surtout être franc. Un politicien véreux, corrompu, voire même franchement salope, tout le monde sait que ça n’existe pas.

Petit florilège des articles élogieux sur Gianni, tous datent d'après le scandale... (Source: Newsweek, Luxemagazine, GQ)
Petit florilège des articles élogieux sur Gianni, tous datent d'après le scandale... (Source: Newsweek, Luxemagazine, GQ)
Votez Gianni ! Admirez l’artisanat de l’affiche, réalisée à l'ancienne “like 100 years ago”. (Source: ilnuovolomellino)
Votez Gianni ! Admirez l’artisanat de l’affiche, réalisée à l'ancienne “like 100 years ago”. (Source: ilnuovolomellino)
À en croire cet avis laissé en Juillet 2021 sur Google review par un utilisateur mécontent, Gianni exerce toujours son art. (Source: Google)
À en croire cet avis laissé en Juillet 2021 sur Google review par un utilisateur mécontent, Gianni exerce toujours son art. (Source: Google)

Mise à jour du 27/01/2023

Un de nos lecteurs nous a fait savoir qu'avec les progrès récents effectués par l'impression numérique, il semble qu'il soit depuis peu possible d'obtenir une bonne traversée de l'encre. Cela ne change rien au contenu de l'article, mais dans le futur il sera désormais plus difficile de reconnaître une soie imprimée par sérigraphie d'une soie à l'impression numérique. La vidéo suivante montre le résultat obtenu d'une impression numérique sur de la soie:

Anatomie de la cravate

Avant-propos

Cet article n’a pas pour vocation d’être une anthologie de la cravate, mais plutôt une réflexion sur l’objet, ses qualités et sa fabrication. Il ne va pas s’agir de débattre de l’utilité ou non de la cravate ou de sa place dans le vestiaire masculin, je laisse ça aux branlettes en cercle de forums.

Rapide histoire de l’objet.

La cravate est un accessoire moderne puisqu’elle apparaît, sous la forme qu’on lui connaît aujourd’hui, au début du 20ème siècle. En effet, le premier dépôt de brevet d’une cravate moderne similaire à ce qui se fait aujourd’hui remonte à 1922 et a été fait par l’américain Jesse Langsdorf. Notez que Langsdorf ne prétend pas avoir inventé la cravate, il a simplement amélioré ce qui existait déjà. Dans les pays anglo-saxons les hommes portaient souvent le four-in-hand qui était déjà une forme de cravate et qui aujourd’hui fait surtout référence à un type de nœud. De la même façon en France la régate était déjà un accessoire proche de la cravate actuelle. Le brevet de Langsdorf vise surtout à améliorer la durabilité et la tenue des four-in-hand en faisant en sorte que la souplesse de la triplure soit en adéquation avec celle de l’enveloppe. Il suggère pour cela l’utilisation de matériaux appropriés et coupés “on the bias” autrement dit, à un angle de 45°. Vous en savez maintenant assez pour briller dans les dîners mondains de la capitale, vous pouvez glisser cette anecdote au détour d’une discussion sur votre prochaine faillite frauduleuse ou entre deux petits fours. Ça impressionnera bien Karen cette riche américaine récemment divorcée d’un avocat devenu impuissant.

Schéma explicatif déposé par Jesse Langsdorf pour son brevet. (Source: Google patents)
Schéma explicatif déposé par Jesse Langsdorf pour son brevet. (Source: Google patents)
Une photo datant de 1890 illustrant le "four-in-hand". La différence avec la cravate moderne tient surtout dans le processus de fabrication.  (Source: photosmadeperfect)
Une photo datant de 1890 illustrant le "four-in-hand". La différence avec la cravate moderne tient surtout dans le processus de fabrication. (Source: photosmadeperfect)
Une page provenant d'un catalogue du magasin B. Altman & Company illustrant au milieu les nouveaux "four-in-hand". (Source: Harvard Library)
Une page provenant d'un catalogue du magasin B. Altman & Company illustrant au milieu les nouveaux "four-in-hand". (Source: Harvard Library)

Les critères de qualité, entre magie noire et science textile.

Contrairement à un soulier, probablement l'un des éléments les plus complexes du vestiaire masculin ou à une veste, il est très facile de décortiquer une cravate. Après tout, il ne s'agit que de tissu replié sur lui-même et cousu avec du fil. On ne parle donc pas exactement d'un élément qui nécessite un diplôme en physique nucléaire pour être compris. Pour autant, il serait trop simple de limiter la cravate à cette définition, il s'agit en réalité d'un élément plus complexe qu'il n'y paraît. Pas nécessairement dans sa fabrication, mais plus souvent dans ce qui fait ses qualités.

La cravate est un accessoire qui est par définition fasciste, de par sa connotation élitiste bien sûr, mais surtout elle élève au rang de qualité des critères que d'aucuns jugeront comme subjectifs alors qu'ils sont objectifs. Tout d'abord il y a la beauté du tissu, ses motifs et ses couleurs. Par exemple une cravate ornée d'un 7 démesuré dans des tons criards donnera immédiatement à son porteur l'apparence d'un gros plouc. Une cravate doit ensuite fournir un tombé qui soit satisfaisant, critère particulièrement abscons qui tient plus du vaudou que de la science dure, nous avons tous des cravates qui sont des gagneuses de peu de foi et refusent de produire le nœud qui leur a été demandé, tous les sacrifices humains du monde n'y changeront rien. Il y a aussi les cravates gauchistes, qui forment des nœuds impeccables car le tissu semble suivre comme un mouton vos mouvements, mais qui sont incapables de rester nouées convenablement, trahissant ainsi leur nature hypocrite, perfide et probablement pédophile. Enfin comme une femme battue, une cravate doit être capable de retrouver rapidement sa forme initiale, peu importe la façon dont vous la maltraitez, si la moindre occasion se présente elle doit être capable de cacher les atrocités que vous lui avez fait subir la veille afin d'avoir l'air présentable en public et de vous éviter des questions embarrassantes.

Le genre de cravate à éviter, sauf si vous voulez être le roi des ploucs. (Source: Delsignore)
Le genre de cravate à éviter, sauf si vous voulez être le roi des ploucs. (Source: Delsignore)
Une cravate objectivement atroce. Le porteur marque son appartenance à la communauté des iGents en laissant bien dépasser le petit pan. C'est un peu leur "code foulard".  (Source:rincondecaballeros)
Une cravate objectivement atroce. Le porteur marque son appartenance à la communauté des iGents en laissant bien dépasser le petit pan. C'est un peu leur "code foulard". (Source:rincondecaballeros)

La dichotomie commerciale, la belle cravate ou la cravate idéale?

Comme vous l'avez sûrement remarqué dans notre paragraphe précédent, les critères que nous retenons pour une bonne cravate ne sont pas des critères qui tiennent à la fabrication de la cravate, mais à sa tenue et à son apparence. Car comme il a été expliqué, c'est très con à fabriquer une cravate. N'importe qui peut le faire, ou presque. Munissez-vous du livre, “Custom Making Neckties at Home” achetez du tissu, du fil et des aiguilles et vous pouvez vous improviser maître cravatier es enculade. Avec un peu de chance, vous serez invité sur le talk show le plus célèbre de St Florentin. Un million d’abonnés selon lui, 170 000 selon la préfecture. Car bien qu'il soit très facile de comprendre comment est fait une cravate, personne ne prend vraiment la peine de le faire, et il est aisé à n'importe quel arnaqueur de devenir la coqueluche de toutes les influences sans trop d'effort. Plus d’information là-dessus dans un prochain article qui sera particulièrement savoureux.

La cravate est en réalité l'un des rares domaines dans lequel, cher ne veut pas nécessairement dire “mieux”. Alors évidement, il n'est pas question de dire que les cravates luisantes en polyester fabriquées en masse dans les pays du tiers monde sont meilleures que les cravates fabriquées à la main dans les ateliers Italiens par mama Rossa, le lecteur étant souvent distrait et parfois un peu con, il a tendance à extrapoler, il est donc bon de préciser ces évidences. Néanmoins les cravates des grands noms sont souvent plus des machines à marge qu'autre chose. Vous achetez avant tout un bel objet, cela ne veut pas pour autant dire que cet objet fera des nœuds impeccables ou qu'il aura un impact sur votre style proportionnel à son prix. De toute façon, la majorité des gens ne verront pas la différence entre une cravate Brooks Brothers et une Charvet et même les attar... génies des forums ne sont pas capables de faire la différence entre une véritable cravate E.Marinella, d'une contrefaçon. La preuve qu'il s'agit avant tout d'une question de perception et non de qualité intrinsèque.

Comment est fabriquée une cravate ?

Les différentes parties de la cravate et leurs matériaux.

Tout d’abord il faut comprendre qu’une cravate est généralement composée de trois parties : l’enveloppe, la doublure et la triplure. C’est le principe, et comme tout principe il y a des exceptions, certaines cravates ne sont pas doublées ou triplées, voire les deux à la fois.

Laine, cachemire, donegal tweed. Un simple exemple de matières disponibles. Notez que ces cravates 3 plis ne sont pas doublées. (Source: Styleforum)
Laine, cachemire, donegal tweed. Un simple exemple de matières disponibles. Notez que ces cravates 3 plis ne sont pas doublées. (Source: Styleforum)
L’enveloppe

L'extérieur de la cravate s'appelle donc l'enveloppe. Il est préférable que cette dernière soit fabriquée avec des fibres naturelles (soie, laine, cachemire, lin…) plutôt que des fibres chimiques (polyester, polyamide...). Non que cela ait un quelconque rapport avec l’écologie, je m'en tamponne les amygdales à coup de klaxon, il s’agit simplement d’une question de bonne tenue du tissu.

Mais cela n'est pas suffisant pour parler d’une “bonne cravate” il existe en effet différentes qualités de soies, de laines, etc... et toutes ne se valent pas loin de là. Dans le cadre de la soie par exemple il faut prendre en compte le poids, le détail du tissage, la qualité et la précision de l’impression. Non qu'une soie imprimée de façon industrielle soit meilleure qu'une soie imprimée par cadrage, au niveau de la tenue de votre nœud c’est du pareil au même, en revanche la différence est à chercher du côté du prix de vente et du marketing qui est fait autour. Vient ensuite la question de l'exclusivité du motif, un sujet que j’ai toujours trouvé particulièrement risible et qui est bien souvent l’apanage des ploucs les plus flamboyants, en général un grand nombre d’entre eux postent sur Style Forum ou Instagram pensant être les nouveaux Cary Grant. Les soieries et autres fabricants d’étoffes disposent tous d’une vaste librairie de motifs à leur disposition, certains “exclusifs” d’autres anciens, en fait il en existe tout simplement une quantité illimitée. Il est parfaitement ridicule de chercher “LE” motif parfait, ou original ou je ne sais quelle autre fadaise pour montrer votre individualité fantasmée quand on sait que les motifs sont copiés, refabriqués, dupliqué, modifiés en permanence et cela depuis des décennies. Si vous voulez impérativement le motif Hermès petit pingouin numéro 605988TA de je ne sais quelle année, votre existence est très certainement misérable. Que vous vouliez accorder le motif à votre tenue, c’est très bien, que vous vouliez achetez un motif uniquement parce qu’il est “rare” ou “vintage” c’est très con.

Le genre de motif enfantin qui hurle: "je fais ma crise de milieu de vie et je me crois drôle" ou pire  "je suis un membre de l’intelligentsia française et un kiddy fiddler". (Source: Grailed)
Le genre de motif enfantin qui hurle: "je fais ma crise de milieu de vie et je me crois drôle" ou pire "je suis un membre de l’intelligentsia française et un kiddy fiddler". (Source: Grailed)
En 1977, le président égyptien Anouar el-Sadate devient le premier dirigeant arabe à effectuer une visite officielle en Israël. Il arbore pour l’occasion une cravate au motif représentant le symbole universel de la paix et de l’amour chez les hindous, démontrant son fin flair sartorial ainsi que sa volonté de normaliser les relations entre les deux pays. (Source: Reddit)
En 1977, le président égyptien Anouar el-Sadate devient le premier dirigeant arabe à effectuer une visite officielle en Israël. Il arbore pour l’occasion une cravate au motif représentant le symbole universel de la paix et de l’amour chez les hindous, démontrant son fin flair sartorial ainsi que sa volonté de normaliser les relations entre les deux pays. (Source: Reddit)

L’enveloppe de la cravate est le plus souvent fabriquée en plusieurs parties, généralement entre deux et trois mais il existe parfois des cravates fabriquées en une seule pièce. La raison principale derrière le nombre de parties qui composent l’enveloppe est plus économique qu’autre chose, cela a une influence sur l’optimisation du patronage à la coupe et sur la taille de la pièce de tissu d’origine. Contrairement au cuir où le coupeur doit lever sa peau avec attention (dans le cadre de l’artisanat) afin d’éviter les défauts, un tissu ne présente pas les mêmes difficultés et de fait est beaucoup plus facile à travailler tout en générant moins de chutes. Cela ne veut pas dire qu’il n’existe pas d’imperfections sur les rouleaux de tissus, elles sont simplement beaucoup moins courantes.

Cette photo illustre parfaitement comment le tissu est utilisé à la découpe. En fonction du placement des différents patrons il est possible d'éviter au maximum les chutes et donc d'augmenter la rentabilité. (Source: Quarantalocatelli)
Cette photo illustre parfaitement comment le tissu est utilisé à la découpe. En fonction du placement des différents patrons il est possible d'éviter au maximum les chutes et donc d'augmenter la rentabilité. (Source: Quarantalocatelli)
Une cravate réalisée en deux parties, reconnaissable à la couture unique sur l'endroit. (Source: Sartorialisme)
Une cravate réalisée en deux parties, reconnaissable à la couture unique sur l'endroit. (Source: Sartorialisme)
Une cravate réalisée en trois parties, reconnaissable aux deux coutures sur l'endroit. (Source: Sartorialisme)
Une cravate réalisée en trois parties, reconnaissable aux deux coutures sur l'endroit. (Source: Sartorialisme)
La doublure

La doublure est visible sur le grand pan et sur le petit pan une fois la cravate mise à l’envers. Elle peut être réalisée dans le même tissu que l’enveloppe. On parle alors de self tipping. Ce morceau de tissu provient dans la grande majorité des chutes à la coupe et n’est donc pas facteur d’un coût supplémentaire, il s’agit au contraire d’une économie. Il est donc amusant de voir que certaines marques via l’intermédiaire des influenceuses fassent passer cela pour une finition de luxe coûteuse à réaliser. Il existe également des cravates sans doublures, également appelées untipped.
Certaines cravates utilisent une doublure dans un autre tissu que celui de la cravate, parfois en fibres synthétiques, très honnêtement cela ne change pas grand-chose à la qualité de la cravate, la seule différence encore une fois se jouera sur le babillage ennuyeux qu’on appelle “communication” ou encore enculage de mouches. Ça plait aux ploucs il paraît, la preuve certains blogs ne font que ça.

Une cravate en grenadine de soie avec doublure. (Source: Poszetka)
Une cravate en grenadine de soie avec doublure. (Source: Poszetka)
Une cravate en grenadine de soie, cette fois sans doublure. (Source: kydos)
Une cravate en grenadine de soie, cette fois sans doublure. (Source: kydos)
La triplure

La triplure est l’élément qui permet à la cravate de maintenir sa souplesse et son élasticité, tout en lui donnant la tenue voulue. C'est elle qui lui donne vraiment corps et d’ailleurs les Italiens qui aiment en faire des tonnes pour pas grand-chose appellent parfois cette partie “l’anima”, l’âme. Bon, ils l’appellent aussi “teletta” que l’on peut traduire par l’entoilage mais c’est tout de suite moins vendeur. La matière choisie pour la triplure est donc un point particulièrement important, traditionnellement la triplure est faite en laine, parfois en soie voire en coton. Il existe bien évidement de très nombreuses variations en fonction du résultat voulu, le poids, le tissage vont donc changer en fonction des objectifs que le fabricant cherche à accomplir. L’essentiel étant de faire correspondre les caractéristiques de la triplure avec celles de l’enveloppe. Par exemple les soies fines s’accommodent mal d’une triplure trop épaisse. En général toutes les cravates trois plis ont une triplure, au moins au niveau de l’encolure mais voilà, toutes les cravates n’ont pas de triplure. Si l’on suit la logique des Italiens, toutes les cravates n’ont donc pas d’âme. Un peu comme les roux quoi, surtout celui de B… oups je m’égare. Je disais donc que toutes les cravates n’ont pas de triplure. Les cravates sept plis en sont parfois dépourvues puisqu’elles réclament plus de tissus pour leur fabrication, il n’est pas forcément nécessaire de rajouter du poids via la triplure. Dans un sens c’est un pied de nez assez amusant fait par le vocabulaire. Certaines cravates sept plis sont donc sans âmes, alors qu’elles sont de loin les modèles les plus snobs… un juste retour de bâton au non-sens du marketing. Nous reviendrons sur les cravates sept plis un peu plus loin.

Un choix de triplures avec des compositions différentes. (Source: Artlining)
Un choix de triplures avec des compositions différentes. (Source: Artlining)
Installation d'une triplure à la main chez Drake's. (Source: Spitalfieldslife)
Installation d'une triplure à la main chez Drake's. (Source: Spitalfieldslife)
La même étape mais plus avancée. (Source: Spitalfieldslife)
La même étape mais plus avancée. (Source: Spitalfieldslife)

Les méthodes de fabrication.

Toutes les cravates ne suivent pas la même méthode de fabrication. Il y a plusieurs façons de procéder, comme pour les chaussures l’industrie aime perpétuer ses petits mensonges et faire croire au tout artisanal, la réalité est assez souvent autre. Pour faire simple disons qu’il y a trois façons de faire. La première et la plus artisanale est évidement la fabrication à la main. Il y a ensuite la fabrication semi mécanisée où certaines étapes sont faites à la main et d’autres à la machine. Et enfin il y a la production totalement mécanisée. Comme pour les souliers ou les costumes vous allez donc retrouver un certain nombre de fabricants qui vont se vanter d’une fabrication entièrement à la main, pour en réalité être essentiellement mécanisée.

Les machines de Brooks Brothers qui coupent la soie au laser viennent certainement de Dominion, vous n’avez donc aucune raison de douter de la mention “fait main”. (Source: Youtube)
Les machines de Brooks Brothers qui coupent la soie au laser viennent certainement de Dominion, vous n’avez donc aucune raison de douter de la mention “fait main”. (Source: Youtube)

Nous n’allons pas entrer dans les détails de fabrication, car il est impossible de synthétiser les différentes méthodes de production entre l’artisanat le plus traditionnel et l’industrialisation intégrale il existe un monde de différence et tout un lot de techniques qui mélangent les deux. Sachez simplement qu’il existe trois grandes étapes de fabrication, le coupage, l’assemblage et le repassage. Normalement la coupe s'effectue à 45° par rapport au sens des fibres du tissu, pour permettre à la cravate de facilement retrouver sa forme et afin d’éviter qu'elle ne se vrille une fois nouée. Plus on peut obtenir de cravates à partir d'un rouleau de tissu, moins elles sont chères à produire, ce qui explique à la fois la tendance des cravates “skinny” de ploucs, et pourquoi certaines marques ne coupent pas en biais. Dans le cadre d’une cravate sept plis une marque comme Drake’s réalise deux cravates par bloc de soie. D’après eux en ne coupant pas en biais ils pourraient réaliser le double de cravates par bloc de soie, donc quatre. Toujours chez Drake’s n’imaginez pas que le coupeur s’amuse à couper chaque cravate une par une, jusqu’à cinquante “feuilles” de soie sont coupées simultanément ce qui est un exercice assez délicat à réaliser. C’est pourquoi la coupe est maintenant très largement automatisée et peu de marques font cela à la main. Il en va de même avec l’assemblage, il est encore parfois réalisé à la main mais cela fait bien longtemps que beaucoup de fabricants prestigieux ou non ont recours à la LIBA, une machine qui se charge de l’entoilage des cravates.
Comme dans toute industrie de confection, l’excellence dans la maîtrise et la réalisation de chacune des étapes de fabrication va distinguer les bonnes usines des mauvaises.

Découpe de la soie à la main chez Drake's. Notez l'orientation du patron à 45°.  (Source: Spitalfieldslife)
Découpe de la soie à la main chez Drake's. Notez l'orientation du patron à 45°. (Source: Spitalfieldslife)
Toujours chez Brooks Brothers, “handcrafted in Queens” alors que l’entoilage est fait à la LIBA. Ce n’est pas l’utilisation de machines qui est gênant, mais l’usurpation de la mention “fait main”. L’usurpation, un problème qui semble courant ces derniers temps outre-Atlantique. (Source : Youtube)
Toujours chez Brooks Brothers, “handcrafted in Queens” alors que l’entoilage est fait à la LIBA. Ce n’est pas l’utilisation de machines qui est gênant, mais l’usurpation de la mention “fait main”. L’usurpation, un problème qui semble courant ces derniers temps outre-Atlantique. (Source : Youtube)
Certains ateliers vont jusqu'à coudre les étiquettes à la main. (Source: Timeslessman).
Certains ateliers vont jusqu'à coudre les étiquettes à la main. (Source: Timeslessman).

Les finitions manuelles ou l’art du décorum superflu.

Il existe pléthore de finitions et autres arguments marketing qui sont avancés par les marques bien souvent pour justifier un prix de vente plus élevé, et qui ont en général peu ou pas du tout d’impact sur la qualité finale du produit. L’objectif est avant tout de générer de l’attrait “artisanal” pour un objet qui devient de plus en plus marginal dans le vestiaire d’aujourd’hui. Cela permet de faire fonctionner le commerce et de brosser le plouc dans le sens du poil puisqu’il a l’impression d’acheter un objet “rare”. Je n’ai absolument rien contre le superflu, le beau inutile et tout autre finition qui n’a pour finalité que l’embellissement de l’objet, après tout je m’extasie bien devant des roulettes d’emboitage. Mais il faut bien comprendre une fois pour toute que l’objectif est ici purement marketing et ne vise qu’à embellir l’objet. Les conséquences sur la qualité sont négligeables voire inexistantes malgré ce que peut avancer la clique d’influenceuses habituelle.

Voici quelques exemples de finitions futiles mais belles:

- Le roulottage à la main. Une finition très populaire ce qui en soi devrait déjà être une bonne indication qu’elle n’est pas si difficile à réaliser. Il est toujours amusant d’entendre parler de “finitions exclusives” alors qu’elles sont très répandues. Pour information une roulotteuse expérimentée ne passe pas plus d’une à deux minutes maximum pour faire un roulottage à la main. Il n’existe d’ailleurs pas de modification congénitale qui empêcherait les Chinois de roulotter aussi bien que les Italiens, vous avez donc potentiellement un milliard de roulotteurs dans le monde, cqfd.

Roulottage main sur une cravate Calabrese 1924. (Source: Zampa di gallina)
Roulottage main sur une cravate Calabrese 1924. (Source: Zampa di gallina)

- Arrêt de la dernière couture avec un fil de friction, il s’agit d’une petite longueur de fil qui dépasse pour pouvoir retendre le fil et donc la cravate. Parfois le fil forme une simple boucle parfois il est agrémenté d’un bouton, ou même d’une décoration. Je n’ai jamais eu à retendre mes cravates mais peut être que je ne traîne pas dans les bons cercles.

Fil de friction sur une cravate Shibumi Firenze. Notez que le roulottage est également fait main. (Source: Shibumi Firenze)
Fil de friction sur une cravate Shibumi Firenze. Notez que le roulottage est également fait main. (Source: Shibumi Firenze)
Juste pour le plaisir, voici une finition inutile supplémentaire, le travetto aux couleurs du drapeau Italien. (Source: Lanieri)
Juste pour le plaisir, voici une finition inutile supplémentaire, le travetto aux couleurs du drapeau Italien. (Source: Lanieri)

Enfin comment ne pas parler de l’un des “nouveaux” arguments de vente et d’inflation des prix, la multiplication des plis.

La cravate que l’on connaît aujourd’hui ne comporte historiquement que trois plis. La multiplication du nombre de plis est une invention récente. Il existe un nombre incalculable d’histoires sur l’apparition des cravates sept plis toutes plus improbables les unes que les autres. C’est le propre du monde des “élégants”, s’inventer une histoire est quelque chose de très courant dans le milieu, cela passe parfois des changements de patronymes. d’Olga Squeri on devient Olga Berluti, de Massimo Caiselli on devient Massimo Cifonelli. Certain s’inventent des clients prestigieux, des vies antérieures, d’autres ont des délires de noblesse, ou s’inventent des compétences qu’ils n’ont pas. D’apiéceur on devient tailleur, d’alcoolique dépressif on devient bottier formé chez Bemer. Vous l’avez compris, le révisionnisme est une pratique courante dans le milieu.
Certains attribuent l’apparition des cravates sept plis à une pénurie de triplure dans l’Italie d’après-guerre. D’autres disent que la technique est ancestrale mais avait disparue parce que les nonnes qui les fabriquaient avaient cessé de les produire. Dans les années 80, Robert Talbott racontait dans le cadre d'une campagne de marketing pour sa nouvelle ligne de cravate sept plis qu’il aurait "redécouvert" cette technique perdue depuis longtemps lorsqu'il a rencontré Lydia Grayson, une immigrée yougoslave qui les fabriquait aux alentours de 1920. Certains aurait vu des publicités pour des sept plis dans des magazines américains des années 30, mais leurs photos sont toujours floues. Luca Rubinacci lui, les a vues dans une révélation que la Sainte Vierge lui a fait alors qu’il comptait ses millions…bref on ne sait pas d’où ça vient, juste que ça sert à faire de la thune.

Les cravates sept plis peuvent être doublées comme celles de chez E.Marinella ou juste roulottées comme celles de chez Arnys ou de Ralph Lauren. Elles utilisent plus de tissus que les cravates normales et demandent plus de travail au niveau du pliage. La réalité est qu’elles permettent de tromper le plouc en lui expliquant que plus il y a de plis, mieux c’est. Le raisonnement numérique prévaut et comme pour les laines et leur “super 100, 120, 130…” le chaland va penser qu’il est l’homme du 21ème siècle si à la place d’une 3 plis on lui propose une 7 plis. Ou une 9 plis. Voire une 12 plis. La seule limite étant la crédulité du client et le niveau de fumisterie du vendeur. Les deux étants infinis j’annonce en exclusivité pour Sartorialisme le lancement de notre collection de cravates 77 plis au prix “très serré” de 3250 euros. Cheers les cons.

Une sept plis de chez Turnbull & Asser (Source: turnbullandasser)
Une sept plis de chez Turnbull & Asser (Source: turnbullandasser)
Un patron pour cravate sept plis. La multiplication du nombre de plis demande plus de tissus. (Source: Tieatie)
Un patron pour cravate sept plis. La multiplication du nombre de plis demande plus de tissus. (Source: Tieatie)