Le guide complet du portfeuille

Avant-propos

Cet article dédié au portefeuille vise à expliquer les bases techniques de cet objet et à vous fournir quelques clés de compréhension afin que vous puissiez différencier un article de qualité d’un produit industriel quelconque promis à une désintégration certaine. Une connaissance d’autant plus utile que nous publions ce guide à l’approche des fêtes de Noël, période durant laquelle le portefeuille fait partie des cadeaux fréquemment offerts.
Ceux qui lisent régulièrement nos articles consacrés à la maroquinerie y retrouveront sans doute quelques notions déjà évoquées ; les autres découvriront un milieu où, trop souvent, la médiocrité a supplanté l’excellence : des marques prétendument luxueuses qui ne valent guère mieux que celles d’entrée de gamme, en passant par les faux artisans et autres opportunistes, le milieu de la maroquinerie est bien loin de l’image d’excellence couramment véhiculée dans les médias. .

L'origine du portefeuille et ce qu'il est devenu.

Nous allons commencer par un peu d’histoire afin de planter le décor. L’évolution du portefeuille suit d’assez près celle des moyens de paiement. Historiquement, on retrouve des objets en cuir servant au transport de petits objets et de documents de valeur bien avant l’Antiquité. Avant que les billets ne fassent leur apparition (aux alentours du XIᵉ siècle), la monnaie existait sous forme de pièces et était transportée dans une bourse attachée à la taille ou autour du cou. L’apparition de la monnaie papier, d’abord sous forme de titres financiers, puis sous la forme de billets tels que nous pouvons les connaître de nos jours, a changé la façon dont les gens transportent leur argent.

À la Renaissance, le portefeuille se démocratise en même temps que les billets et autres titres financiers, mais demeure un objet relativement volumineux puisqu’il est calqué sur la taille des documents qu’il doit transporter. Au fur et à mesure que les billets rétrécissent, le portefeuille suit la même évolution.

Portefeuille en maroquin du début du 19ème siècle. (Source : proantic)
Portefeuille en maroquin du début du 19ème siècle. (Source : proantic)

L’invention de la carte de crédit et sa démocratisation rapide depuis les années 50 ont vu naître un nouveau type de portefeuille, couramment appelé bifold. Ce portefeuille est composé d’une poche à billet centrale et de deux compartiments à cartes qui peuvent comporter deux espaces supplémentaires « cachés » (pour des reçus, par exemple).  C’est plus ou moins le type de portefeuille le plus répandu de nos jours, mais il existe bien évidemment des variantes. Par exemple, on peut trouver des trifold, qui viennent ajouter un compartiment à cartes supplémentaire.

 Les éléments de base déjà en partie assemblés qui composent un bifold. (Source: Sartorialisme)
 Les éléments de base déjà en partie assemblés qui composent un bifold. (Source: Sartorialisme)
Un catalogue des années 50 présentant une sélection de portefeuilles. (Source : archive.org)
Un catalogue des années 50 présentant une sélection de portefeuilles. (Source : archive.org)

Aujourd’hui, un portefeuille qui ne sert pas à emporter des cartes de crédit est plutôt rare, même si cela existe. Une alternative qui s’est beaucoup développée est le porte-cartes, avec une poche à billet centrale. La différence entre le portefeuille et le porte-cartes tient essentiellement à l’encombrement, le porte-cartes n’ayant pas pour vocation d’emporter autant de documents. Il existe des portefeuilles avec un compartiment destiné aux pièces de monnaie, mais il n’y a guère que les fous qui veulent transporter des pièces dans un portefeuille. De toute façon, la monnaie ne sert plus à rien de nos jours, si ce n’est à être jetée au visage des loufiats, de préférence parisiens, même si Hunter Thompson a démontré que la pratique est valide dans d’autres régions du globe. Idéalement, si vous avez besoin de transporter des pièces de monnaie, achetez un porte-monnaie, et non un portefeuille : la différence sémantique n’est pas là uniquement pour faire beau. Nous n’allons pas aborder la question du porte-monnaie au-delà de ce qui vient d’être évoqué, car c’est un objet à part.

Il y a globalement trois catégories de clients : ceux qui veulent un objet basique, fonctionnel et pas cher ; ceux qui veulent un bel objet, bien fabriqué et durable ; et puis il y a les maîtres du (gros) logo, qui veulent un symbole à agiter sous le nez des autres. Paradoxalement, les gens de la première et de la troisième catégorie achètent parfois le même genre de produit sans le savoir, car certaines maisons "de luxe" proposent des portefeuilles tout ce qu’il y a de plus mal fabriqué, car cela leur donne une excellente marge, et ils ne veulent pas que leur durée de vie soit trop grande, afin de pouvoir vous en vendre plusieurs.

Un portefeuille d’entrée de gamme qui coûte environ 100€ (Source: Atelier Auguste)
Un portefeuille d’entrée de gamme qui coûte environ 100€ (Source: Atelier Auguste)
Un portefeuille d’une grande maison de luxe, Goyard pour ne pas la citer qui coûte environ 9 fois plus. Ce sont, malgré la grande différence de prix des objets très, très similaires. (Source: Goyard)
Un portefeuille d’une grande maison de luxe, Goyard pour ne pas la citer qui coûte environ 9 fois plus. Ce sont, malgré la grande différence de prix des objets très, très similaires. (Source: Goyard)

Vous pouvez voir dans la vidéo qui suit, les défauts de durabilité qu'un client rencontre avec son portefeuille Goyard, Après seulement 54 jours d'utilisation. Cas typique du touriste pigeon qui croit que les grandes marques représentent le "savoir faire Fronçais", alors qu'elles en sont les destructrices.

À l'opposé, il existe encore un savoir-faire en France mais il est représenté par une poignée d'artisans indépendants et bien souvent inconnus du grand public.

Un portefeuille de fabrication artisanale, qui n’a absolument rien à voir avec les deux précédents, que ça soit en matière de matériaux, de qualité de fabrication et de durabilité. (Source : Victor Dast)
Un portefeuille de fabrication artisanale, qui n’a absolument rien à voir avec les deux précédents, que ça soit en matière de matériaux, de qualité de fabrication et de durabilité. (Source : Victor Dast)

Avant d’aller plus loin, nous allons clarifier certaines définitions. Il existe en maroquinerie tout un tas d’expressions et d’appellations totalement dépourvues de sens. N’ayant aucune définition ni protection légale, elles se sont retrouvées galvaudées, malmenées et usurpées..

Vous allez régulièrement voir des marques utiliser les expressions “maroquinerie de luxe”, “haute maroquinerie”, “maroquinerie d’art”, “sellier”, “maroquinerie artisanale”, “maroquinerie d’exception”, et j’en passe, sans que cela n’ait la moindre valeur ni ne garantisse en rien la qualité du produit qui vient avec. Même un titre comme “Meilleur Ouvrier de France (MOF)” est parfois à prendre avec des pincettes. Sans une certaine connaissance du milieu, il est très facile de s’y perdre – c’est d’ailleurs l’objectif des commerçants. Nous allons essayer d’apporter quelques éclaircissements afin de vous permettre d’y voir un peu plus clair..

Parmi les métiers du cuir, il existe plusieurs corporations : les maroquiniers, les bourreliers, les gainiers, les selliers, les bottiers (qui sont un peu à part). Toutes ces familles exercent des métiers différents..
Le bourrelier, par exemple (métier qui n’existe pratiquement plus), fabriquait entre autres des attelages de travail pour chevaux, des harnais, etc., dans les campagnes. Son métier était axé sur la fourniture d’objets en cuir pour les chevaux utilisés dans le milieu agricole, à la différence du sellier, qui fabriquait des objets en cuir destinés à la pratique de l’équitation ou au travail dans les villes du temps des voitures hippomobiles..
Les maroquiniers, quant à eux, fabriquent des sacs, cartables et autres objets de petite maroquinerie (portefeuilles, porte-cartes, porte-monnaie...). Il n’est pas sans intérêt de noter qu’à l’époque, les maroquiniers travaillaient déjà beaucoup à la machine. Gardez cela en mémoire, nous allons revenir sur ce point un peu plus tard..

Comme vous l’avez peut-être remarqué, l’invention du moteur à explosion a bouleversé les moyens de locomotion, et le cheval a été remplacé par les véhicules automobiles. Plutôt que de totalement disparaître, certains selliers – et, de façon plus anecdotique, certains bourreliers – ont préféré diversifier leur activité et ont commencé à faire de la maroquinerie, en y transposant leurs savoir-faire respectifs (bord franc, point sellier...). C’est ainsi que sont apparu les selliers-maroquiniers. Notez qu’on ne parle pour ainsi dire jamais de “bourrelier-maroquinier” : la profession s’est surtout reconvertie dans la fabrication d’étuis, de besaces, de poches, même si certains peuvent faire de la petite maroquinerie (portefeuilles et porte-monnaie, par exemple). Comme nous l'avons évoqué précédemment, le maroquinier travaille depuis longtemps avec l’assistance de machines, contrairement aux selliers, qui travaillent normalement à la main et font eux-mêmes “tout le travail de table”, c’est-à-dire qu’ils effectuent eux-mêmes toutes les opérations, de la coupe à l’assemblage en passant par les finitions, là où les maroquiniers divisent typiquement le travail en plusieurs postes (coupeur, piqueur, encolleur…). C’est aussi, malheureusement, là qu’il y a le plus de confusion, puisque chacun fait ce qu’il veut avec ces appellations (sellier, maroquinier, artisan, etc.) et, plus globalement, avec le vocabulaire (fabrication main, etc.)..

Sachez qu’en règle générale, il n’existe que très peu de maroquiniers qui réalisent toutes les étapes de A à Z, sauf s’ils sont indépendants, auto-entrepreneurs. La vaste majorité des usines (ateliers, en vocable d’école de commerce) divisent toujours le travail et, à chaque maroquinier (ouvrier, en vocable gauchiste), correspond un poste : découpe, piqûre, etc. Même Hermès, qui prétend qu’un seul employé (artisan, en vocable des maisons de luxe) fabrique les objets de A à Z, ne raconte pas exactement la vérité : la découpe et l’examen des peaux sont assurés en amont.

Exemple : David Hanna et le mélange des genres

Nous allons donner un exemple du niveau de confusion qui est entretenu dans le milieu de la maroquinerie.

Si nous prenons le cas de David Hanna, il se présente sur le site internet de sa marque Prouès comme ayant suivi une formation de sellier-harnacheur et comme ayant remporté le concours de Meilleur Ouvrier de France (MOF) en 2004 dans le domaine de la sellerie.

 Sur le site de la marque Prouès une page est consacrée à l’obtention du titre de MOF par David Hanna. (Source : Prouès)
 Sur le site de la marque Prouès une page est consacrée à l’obtention du titre de MOF par David Hanna. (Source : Prouès)

Sur son site, vous allez trouver des mentions comme « métiers d’art », « atelier en France »… Le client a donc toutes les raisons de penser qu’il est en présence d’une marque qui fabrique dans le respect des règles et avec les plus grandes exigences en matière de qualité.

 Notez les différents mots clefs que nous avons soulignés. (Source : Prouès)
 Notez les différents mots clefs que nous avons soulignés. (Source : Prouès)

Encore mieux : si vous allez sur l’Instagram de sa marque Prouès, vous trouverez des mises en scène comme celle-ci :

(Source : Prouès)
(Source : Prouès)

… ou encore celle-là :

(Source : Prouès)
(Source : Prouès)

En toute logique, le client peut penser que ces objets sont cousus à la main, au point sellier. Pourtant, les coutures que vous voyez sur les deux photos sont effectuées à la machine. À moins qu’ils n’utilisent une griffe inversée, ce qui serait très étrange…

En réalité, David Hanna travaille dans le domaine de la maroquinerie industrielle de luxe. Il possède une grosse usine et son groupe génère des millions.

Les résultats du groupe Prouès de David Hanna (Source : pappers)
Les résultats du groupe Prouès de David Hanna (Source : pappers)

Mais, pour des raisons d’image, il fait croire que le travail est effectué à la main et utilise son parcours comme argument marketing. C’est une technique de publicité comme un autre.

Au final, vous allez vous retrouver avec un portefeuille qui n’a rien d’exceptionnel, mais qui est cher. Vous avez donc l’impression d’avoir un objet « de qualité », alors qu’il n’est pas particulièrement différent de ce que peuvent produire d’autres industriels. Et bien évidemment, pour le même prix, vous pouvez trouver des portefeuilles véritablement fabriqués à la main ailleurs.

Vous comprenez donc que le milieu de la maroquinerie n’est pas particulièrement transparent. Et des exemples, il y en a plein, mais vous avez compris le principe : c’est un lac rempli de requins.

Les différents styles en maroquinerie

Maintenant que vous êtes plus familier avec les différentes corporations qui existent au sein de la maroquinerie, nous allons parler des différents styles qui sont représentés.

Il existe, d’un côté, une maroquinerie rustique et, de l’autre, une maroquinerie fine. Ce ne sont pas exactement les mêmes domaines. Techniquement, la maroquinerie rustique est plus proche de la tradition bourrelière, c’est-à-dire qu’elle est essentiellement utilitaire. La maroquinerie fine est, à l’opposé, essentiellement luxueuse. Du moins, c’est le principe. Car la réalité peut être bien différente selon les cas.

Dans cet article, nous allons essentiellement traiter du portefeuille de maroquinerie “fine”, mais nous allons tout de même aborder la question du portefeuille rustique, car beaucoup trop de marques utilisent l’argument de la rusticité pour vendre des rebuts d’avortements – c’est-à-dire des produits dont on ne sait pas s’ils sont à moitié terminés ou à moitié commencés, mais qui, dans tous les cas, ne sont pas bien beaux à voir et dont on peut légitimement douter de la viabilité.

La maroquinerie rustique

La maroquinerie rustique est avant tout d’inspiration américaine, mais on la retrouve aussi partout en Europe ainsi qu’en Asie. Il y a plusieurs différences fondamentales entre la maroquinerie fine et la maroquinerie rustique, puisque ce ne sont globalement ni les mêmes cuirs, ni les mêmes techniques qui sont employées. La différence est bien plus que stylistique, même si, bien évidemment, il existe de très nombreux parallèles.

 Un exemple de maroquinerie rustique comme on en trouve absolument partout. (Source : Etsy)
 Un exemple de maroquinerie rustique comme on en trouve absolument partout. (Source : Etsy)

La maroquinerie rustique fait une utilisation très importante du cuir au tannage végétal, teinté ou non. C’est un cuir qui va se patiner avec le temps, qui est idéal pour le repoussage et qui est de base assez rigide. Sans que cela soit péjoratif, c’est ce que l’on peut considérer comme un cuir adapté aux débutants, car il est à la fois relativement abordable et plutôt facile à travailler (parage, filetage, etc.). C’est d’ailleurs pour cela que c’est typiquement le type de cuir proposé dans les kits d’initiation pour amateurs.

Un kit pour débutant comme on en trouve partout. (Source : Buckleguy)
Un kit pour débutant comme on en trouve partout. (Source : Buckleguy)

Il y a bien évidemment des artisans très talentueux qui œuvrent dans la maroquinerie rustique. Comme nous l’avons dit, c’est avant tout un style de maroquinerie, ce qui ne préjuge en rien du niveau de compétence de l’exécutant. Il y a donc des artisans qui travaillent très bien dans ce domaine.

Et puis, il y a les autres.

On pourrait les regrouper sous l’appellation générale de « gros profiteurs ». Dans la maroquinerie moderne, ils sont la norme, pas l’exception.

Maroquinerie rustique : l’exemple Bleu de Chauffe

Pour illustrer ce point, nous allons prendre l’exemple de la marque Bleu de Chauffe. Mais il ne s’agit que d’un exemple : on pourrait faire le même exercice avec des dizaines d’autres marques.

Bleu de Chauffe est une marque qui existe depuis 2010 et qui surfait à l’époque sur la vague du workwear, un style qui a poussé une génération entière de développeurs informatiques et autres gringalets urbains à s’habiller comme s’ils étaient des ouvriers campagnards.

La marque fabrique avant tout des sacs, mais elle propose également, et pour notre plus grand plaisir, des « portefeuilles » dont la rusticité est telle que vous risquez de les confondre avec des déchets industriels.

Quand vous allez sur le site de la marque, vous êtes accueilli par une quantité d’images sans contexte, accompagnées d’un texte générique rempli de mots galvaudés qui ressemblent à des "inspirational quotes" pour idiots du genre : « Ce n’est pas l’événement qui détermine nos vies, mais ce que nous en faisons. »

En général, quand un site vous accueille de cette façon, c’est qu’il vous prend pour un gros dindon – ce que beaucoup de gens sont. J’adore surtout l’image sur l’écologie, vous allez voir pourquoi après. (Source : Bleu de chauffe)
En général, quand un site vous accueille de cette façon, c’est qu’il vous prend pour un gros dindon – ce que beaucoup de gens sont. J’adore surtout l’image sur l’écologie, vous allez voir pourquoi après. (Source : Bleu de chauffe)

Quand on regarde leur gamme de portefeuilles, on a droit à de très belles surprises.

Si l’on prend, par exemple, le modèle Peze, un nom facétieux mais pas pour les raisons que vous imaginez, car on ne fait vraisemblablement pas référence à l’argent que vous mettez dans le portefeuille, mais plutôt à celui que vous mettez dans les fouilles des propriétaires – lesquels semblent vous prendre pour des poubelles à recycler.

Le modèle Peze chez Bleu de chauffe. N'hésitez pas à ouvrir l'image dans un nouvel onglet pour lire la description faite par la marque de son produit. (Source : Bleu de chauffe)
Le modèle Peze chez Bleu de chauffe. N'hésitez pas à ouvrir l'image dans un nouvel onglet pour lire la description faite par la marque de son produit. (Source : Bleu de chauffe)

Nous avons là un exemple parfait de la "rusticité" utilisée comme excuse pour cacher la misère. Vous avez devant vous un portefeuille épais comme une part de flan, car visiblement, réaliser un parage ou sélectionner un cuir d’une épaisseur raisonnable était trop demander aux « artisans » de la marque. Le portefeuille n’est pas doublé, ce qui, sans être véritablement problématique (c’est un style en maroquinerie rustique), reste quand même mesquin – sans compter que le côté chair est plus susceptible d’absorber les liquides. Le portefeuille est bien évidemment piqué à la machine, alors que la marque prétend fabriquer à la main. Et enfin, vous avez un portefeuille de 10 cm de largeur et 8,5 cm de hauteur, qui n’offre que deux emplacements pour cartes de crédit. Un bifold traditionnel, lui, mesure environ 11 cm par 8,5 cm et permet de stocker six cartes. Autrement dit, le design n’est pas là pour être pratique, mais pour économiser un maximum de thunes. Tout ça pour un objet dont la fabrication pourrait être assurée par un pingouin ivre en 15 minutes. MAIS tout va bien, CAR il est fabriqué dans un cuir au TANNAGE VÉGÉTAL.

Si l’on regarde l’onglet « Matière » sur la page produit (visible sur l’image au dessus) la marque énonce quelques généralités très approximatives sur le cuir et présente le tannage végétal sous l’angle d’une alternative « naturelle », comme s’il s’agissait d’un tannage effectué dans la soupe de poireaux de votre grand-mère.

Ce qui, bien sûr, n’est pas du tout le cas. Mais il parait que c'est la mode de jouer aux écolos anxieux.

Je ne vais pas rentrer dans les détails ici : d’autres articles sur le site abordent cette question. Sachez simplement que certaines études récentes suggèrent qu’il est possible que le cuir au tannage végétal présente une génotoxicité supérieure à celle du cuir tanné au chrome. D'autres études, montrent que c'est l'impact environnemental de l'industrie du cuir ne dépend pas tant du type de tannage effectué (chrome/végétal) que de la tannerie elle même. Il existe par exemple cette étude qui se penche sur la question. Bien qu'imparfaite, cette étude permet d’enterrer beaucoup de mensonges avancés par les marques écolo-bobos qui pullulent de nos jours.
L’idée n’est pas de dénigrer le tannage végétal, qui est une très bonne méthode de tannage, mais de remettre les choses dans leur contexte. Et c’est en éludant le contexte que ces marques font des raccourcis qui les arrangent. Par exemple, en crachant sur le tannage au chrome, la marque passe ainsi sous silence la provenance de son cuir, qui peut être indienne, chinoise, brésilienne, etc. Notez qu’ils vont jusqu’à affirmer que le cuir au tannage végétal est plus durable que le cuir tanné au chrome – ce qui, encore une fois, est totalement sorti de tout contexte et au final assez hilarant. Mais ils ne s’arrêtent pas là. Ils continuent de vous jeter des crottes de nez à la figure en vous affirmant que leur cuir a une « finition naturelle souple », ce qui ne veut absolument rien dire. Littéralement, hein. Je n’ai pas la moindre idée de ce qu’ils bavent quand ils annoncent ça. Encore mieux : ils vont jusqu’à faire passer leur flemme (ne pas doubler un cuir est, au mieux, de la flemme, au pire, de la pingrerie) pour une « finition », puisqu’ils annoncent que « l’envers du cuir est poncé façon velours ». Alors qu’il ne s’agit ni plus ni moins que de la chair du cuir laissée exposée – ce qui leur permet d’économiser quelques centimes en doublure bas de gamme. Mais bon, on va dire que c’est pour le "style".

Là où la marque Bleu de Chauffe excelle dans l’art du foutage de gueule, c’est que certains modèles de sa gamme se rapprochent dangereusement de kits pour débutants que l’on trouve chez de nombreux revendeurs, comme Déco Cuir ou Tandy.

Si l’on prend le modèle Corto, par exemple.

Le modèle Corto de Bleu de chauffe (source : Bleu de chauffe)
Le modèle Corto de Bleu de chauffe (source : Bleu de chauffe)

Il ressemble beaucoup à ce kit disponible chez Tandy, un gros fournisseur pour amateurs aux États-Unis.

Un kit pour débutant de la marque Tandy, à assembler vous même. Le prix est ici affiché pour un paquet de 10. (Source : Tandy)
Un kit pour débutant de la marque Tandy, à assembler vous même. Le prix est ici affiché pour un paquet de 10. (Source : Tandy)

Ne vous méprenez pas : je ne suis pas en train de dire que Bleu de Chauffe a copié Tandy. Ce n’est pas ça qui est intéressant. Qui plus est, tout le monde copie tout le monde dans la maroquinerie, c’est un fait.

Non, ce qui est plus intéressant, c’est de voir que Tandy propose ces kits pour amateurs aux alentours de 34 € l’unité. N’importe qui avec deux neurones et trois doigts est capable d’assembler ce portefeuille en un rien de temps. En réalité, vous n’avez même pas besoin de doigts : si vous avez suffisamment de dextérité dans vos pieds, cela suffit. Chez Bleu de Chauffe, il faut payer 195 €… Ça fait cher le portefeuille rustique. Mais ça doit être à cause du prix de la main-d’œuvre artisanale au savoir-faire millénaire, ces fameux « passeurs d’un patrimoine culturel ».)

Parce que c’est notre proooojet (Source : Bleu de chauffe)
Parce que c’est notre proooojet (Source : Bleu de chauffe)

Si la connerie était au patrimoine culturel français, Bleu de Chauffe pourrait potentiellement prétendre à une protection par l’UNESCO. En réalité, le business model de Bleu de Chauffe semble être tout l’inverse de ce que la marque prétend. Leur but n’est très probablement pas une « sobriété écologique ». Leur but, c’est vraisemblablement de vendre des produits qui ne coûtent rien à fabriquer, avec une très forte marge, pour pouvoir investir un maximum dans la communication afin de vendre encore plus de merdes à forte marge à d’autres ploucs. C’est un processus de création industrielle qui vise donc à produire toujours plus, et qui s’inscrit directement dans la lignée de n’importe quel grand groupe industriel.Ce qui est, au fond, tout à fait normal… pour une marque industrielle.

Pour le client, en revanche, on se demande où est l’intérêt, puisqu’il y a des randoms sur Etsy qui proposent des portefeuilles similaires pour une fraction du prix.

Comme vous pouvez le voir sur l’image ci-dessous :

85 $, sur une boutique Etsy, pour un portefeuille dont la qualité de fabrication est, si ce n’est supérieure, au moins égale…(Source Etsy)
85 $, sur une boutique Etsy, pour un portefeuille dont la qualité de fabrication est, si ce n’est supérieure, au moins égale…(Source Etsy)

Alors certes, le random sur Etsy n’a pas de service client, n’a pas à payer de charges, et opère dans une structure moindre, ce qui lui permet de proposer un prix plus bas. Je note simplement que, du point de vue d’un client lambda, il coûte moins cher de faire traverser l’Atlantique à un portefeuille que de l’acheter en France… et ne commencez pas avec vos histoires de bilan carbone à la con. D’une part, vous ne savez pas si le cuir utilisé par Bleu de Chauffe vient de Chine ou d’ailleurs. D’autre part, un lambda qui fabrique ce genre de chose chez lui dès qu’il a une commande aura toujours un bilan carbone moindre qu’une usine qui les fabrique à la chaîne, même si le portefeuille doit prendre l’avion pour arriver chez vous. Avion qui, de toute façon, volera que vous passiez commande ou non.

A

vant de clore cette longue parenthèse sur la maroquinerie rustique, nous tenons à dire qu’il existe plein d’alternatives pour ceux qui veulent acheter chez des marques qui ne les prennent pas totalement pour des dindons. Vous pouvez aller voir du côté d’une marque comme Le Sac du Berger, qui propose des articles fabriqués à la machine, bien faits et à des prix raisonnables.Mais ils ne sont pas les seuls.

Pour ceux qui préfèrent le travail à la main, il existe des artisans comme Atelier Subdivise ou Esthète Maroquinerie. En Asie, il y a beaucoup de choix, avec des artisans comme ropapa_leather ou encore Hoy Seoul (spoiler : l’Asie est aujourd’hui en position dominante). Pour ceux qui aiment le style anglais, il y a les légendaires MacGregor & Michael. Bref, vous avez le choix.

Nous allons maintenant commencer par attaquer le cœur du sujet.

Comment choisir un portefeuille

Ce qu’il faut savoir avant d’acheter

Les cuirs

Le cuir est une matière relativement méconnue du grand public. Au-delà des quelques mentions légales qui permettent de différencier le cuir de la croûte de cuir etc. il n’y a pas une grande compréhension des différents types de cuir et de leurs caractéristiques.

Pour beaucoup de gens, le plus important est qu’il s’agisse de « vrai » cuir.

Ce qui, d’ailleurs, m’amène à faire une rapide aparté sur les imitations modernes en champignon, ananas et autres matières pétrochimiques.Ce sont des déchets industriels pour idiots utiles. Le seul « cuir vegan » qui puisse exister serait celui réalisé avec la peau de Greta Thunberg et sa clique d’angoissés climatiques. En dehors de ce cas de figure, il n’existe pas de « cuir vegan ». Refermons cette parenthèse.

La relative méconnaissance du cuir par le grand public donne un avantage considérable aux marques, qui peuvent raconter un peu n’importe quoi. Vous n’avez en général que très peu d’informations sur le cuir utilisé, en dehors du fait qu’il est toujours présenté comme étant de la plus haute qualité, puisque toutes les marques, des chinoiseries bas de gamme aux grands noms du luxe, prétendent toutes avoir le meilleur cuir du monde. Au mieux, certaines marques vont nommer une tannerie, mais il serait naïf de considérer que cette information garantit quoi que ce soit, puisqu’au-delà de la tannerie, il y a bien d’autres aspects qui entrent en considération pour déterminer si un cuir est de qualité ou non. Il y a sur ce site de très nombreux articles et développements sur la qualité du cuir. Plutôt que de les répéter ici, je vous y renvoie. Vous pouvez trouver des informations sur ce sujet ici par exemple : (utilisez le sommaire pour aller à la partie en question).

Il est en revanche plus intéressant de s’intéresser aux caractéristiques des cuirs que l’on peut retrouver utilisés dans la fabrication des portefeuilles. Contrairement aux souliers, où vous avez globalement une sélection assez limitée de cuirs à votre disposition pour la tige, en maroquinerie, beaucoup plus d’options s’offrent à vous. D’autant plus que rien ne vous empêche d’avoir plusieurs cuirs différents sur un même portefeuille. En fonction du cuir utilisé, c’est même fortement recommandé si vous voulez avoir une belle structure.

Tout dépend si vous voulez un portefeuille souple ou rigide.

- Plus il sera souple, plus il sera facile à emporter partout, mais plus il se déformera avec le temps.

- Plus il sera rigide, plus il sera durable, mais il peut être peu pratique à emporter et à manipuler.

Tout n’est pas toujours une question de durabilité : on peut vouloir un portefeuille très souple. Sachez simplement qu’il aura tendance à se former en fonction du contenu qu’il contient. Typiquement, les poches prennent souvent le contour des cartes de crédit, comme c’est le cas dans l’exemple ci-dessous.

Un portefeuille souple a tendance à se mouler sur les cartes de crédit, plus rigides. (Source : Ebay)
Un portefeuille souple a tendance à se mouler sur les cartes de crédit, plus rigides. (Source : Ebay)

L’idéal est d’essayer d’avoir un compromis entre souplesse et rigidité. Il existe beaucoup de cuirs souples, comme le cuir de chèvre, qui est très utilisé. Le cuir de chèvre est assez peu coûteux, mais il est également très souple. Même les cuirs de chèvre présentés comme relativement rigides (le Sully d’Alran par exemple) restent toujours assez souples. Idéalement, vous allez vouloir contrebalancer en doublant votre cuir avec du boxcalf (cuir de veau), qui est au contraire un cuir rigide. L’inconvénient de cette technique est qu’elle nécessite du temps et un cuir assez cher, ce qui augmente donc le prix du produit.

Beaucoup de marques ne prennent pas le temps de faire ce travail, car ce sont des étapes supplémentaires, qui viennent complexifier leur chaîne de production ainsi que leur approvisionnement. Typiquement, ce sont donc plus souvent les artisans qui proposent des montages de ce genre.

Chez Asprey ils utilisent de la soie pour doubler leurs portefeuilles. C’est une matière très souple qui ne permet pas de structurer la pièce comme du boxcalf. C’est également une façon pour la marque d’économiser de l’argent tout en faisant croire qu’elle utilise un matériaux luxueux. Ce qu’elle présente comme un avantage au client est en réalité une double économie puisque le portefeuille leur coûte moins cher à fabriquer et qu’il durera moins longtemps. (Source : Asprey)

Voici une vidéo réalisée par le sellier-maroquinier Parisien Victor Dast qui montre comment le parage est effectué à la main sur des poches en cuir de chèvre doublées dans du boxcalf noir, pour une plus grande rigidité.

Au contraire, les marques industrielles, qu’elles soient de luxe ou non, aiment proposer des portefeuilles très souples, voire trop souples, afin qu’ils se déforment rapidement et qu’elles puissent vous en vendre un autre… et un autre… et un autre. Certains cuirs ont tendance à être trop souples pour faire un portefeuille entier. C’est par exemple le cas de l’agneau, dont l’utilisation est plus appropriée en doublure. Bien évidemment, tout cela est à nuancer en fonction du tannage, puisque cette étape a un impact sur la rigidité du cuir. Et là, vous commencez à comprendre pourquoi les marques ne donnent pas beaucoup d’informations sur les cuirs qu’elles utilisent : le sujet est vaste et complexe, et elles n’ont aucun intérêt à donner trop d’informations au client.

Une description qui parle pour ne rien dire, c’est la technique employée par beaucoup de marques (ici Edward Green) quand il s’agit de donner des informations sur les cuirs utilisés. (Source : Edward Green)
Une description qui parle pour ne rien dire, c’est la technique employée par beaucoup de marques (ici Edward Green) quand il s’agit de donner des informations sur les cuirs utilisés. (Source : Edward Green)

À l’opposé des cuirs souples (chèvre, certains veaux, agneau…), vous avez des cuirs typiquement rigides : les exotiques. Le crocodile ou l’alligator sont des cuirs particulièrement difficiles à travailler, car non seulement les peaux ne sont pas des surfaces planes, mais elles changent également de densité. En effet, les écailles, que l’on appelle scutelles, sont constituées, sur leur face externe, de bêta-kératine, et sont plutôt rigides et hautes, tandis que les charnières entre scutelles sont plus basses et faites d’alpha-kératine, qui est plus souple. L’autre inconvénient présenté par les cuirs exotiques réside dans le motif de leurs écailles. Il est de bon ton de garder une certaine harmonie dans le placement des écailles sur le portefeuille, encore plus si ce dernier est intégralement réalisé en exotique.

Voilà typiquement ce qu’il ne faut pas faire quand on réalise un portefeuille intégralement en alligator/crocodile. (Source : johnallenwoodward)
Voilà typiquement ce qu’il ne faut pas faire quand on réalise un portefeuille intégralement en alligator/crocodile. (Source : johnallenwoodward)
Voilà, en revanche, un agencement infiniment plus harmonieux. (Source : Victor Dast)
Voilà, en revanche, un agencement infiniment plus harmonieux. (Source : Victor Dast)

Enfin, et pour conclure sur le sujet du cuir, il faut savoir que les portefeuilles sont des objets très souvent soumis à des forces de friction. Cela va avoir son importance, car énormément de cuirs proposés en maroquinerie sont pigmentés – c'est-à-dire peints, pour simplifier. Avec le temps, et à force de frotter contre vos poches ou l’intérieur de votre sac, il est très probable que la pigmentation commence à disparaître. Le cuir perd alors de son éclat, les couleurs deviennent fades, et, au pire, la finition va tout simplement peler.

Un superbe exemple de cuir pigmenté chez Prada qui a perdu de sa ... superbe. (Source : Ebay)
Un superbe exemple de cuir pigmenté chez Prada qui a perdu de sa ... superbe. (Source : Ebay)

L’autre problème qui peut se poser est celui du transfert des couleurs. Pour faire très simple, comme beaucoup de cuirs de maroquinerie sont peints, les fabricants peuvent se permettre de sélectionner des couleurs très claires. Il n’est pas rare de voir des roses vifs, des blancs éclatants, des jaunes brillants…Toutes ces couleurs sont susceptibles de subir un transfert, surtout si vous portez un jean, par exemple. À force de frottements, la teinture de votre jean va se déposer sur votre portefeuille, qui aura ainsi des marques bleutées.

En général, voilà à quoi ressemble un portefeuille avec un cuir pigmenté après quelques années d’utilisation. Vous avez un peu de tout, du Hermès, Vuitton, Prada… (Source : Ebay)
En général, voilà à quoi ressemble un portefeuille avec un cuir pigmenté après quelques années d’utilisation. Vous avez un peu de tout, du Hermès, Vuitton, Prada… (Source : Ebay)

Ces problèmes se posent moins souvent avec les cuirs anilines ou semi-anilines, car ce n’est pas une peinture qui est appliquée sur le cuir. La couleur est obtenue à partir d’une teinture qui pénètre les fibres. L’avantage de ces cuirs est qu’ils prennent généralement une belle patine avec le temps. L’inconvénient est qu’ils demandent un peu plus d’entretien.

La technique

Le degré de technicité d’un portefeuille varie en fonction de plusieurs facteurs, notamment le patron utilisé et les méthodes de fabrication employées. Globalement, il y a une très forte uniformité dans la façon dont les portefeuilles industriels sont fabriqués, mais il existe bien évidemment quelques différences.

La différence entre le véritable artisanat et l’industrie

Bien que le portefeuille soit, en théorie, un objet assez simple à réaliser, vous avez la possibilité de pousser le raffinement très loin… comme d’en faire le moins possible. La question centrale étant celle de la rentabilité. Sur un portefeuille, les marges des artisans sont très, très minces – bien plus minces que celles de n’importe quelle marque industrielle prétendant faire de l’artisanal. Les cuirs utilisés par les maroquiniers sont chers, beaucoup plus chers que ceux utilisés par les industriels car les artisans favorisent les cuirs avec une finition aniline ou semi-aniline. Ces cuirs ont un aspect et un grain beaucoup plus naturels, mais cela signifie aussi qu’ils sont moins rentables à employer, car une plus faible partie des peaux est utilisable. Les artisans n’utiliseront pas non plus les parties flancheuses ou présentant des défauts, là où beaucoup d’industriels n’ont pas de scrupules. Si vous ajoutez à cela le coût de la main-d’œuvre (temps passé à la coupe, au parage, à la couture, aux finitions…) et les taxes mortifères de l’État bananier… vous obtenez une équation assez difficile à résoudre. Comment se payer un salaire et vivre à Paris (là où est basée une bonne partie de la clientèle) sans tomber dans la semi-clochardisation ? C’est, d’une certaine manière, le problème rencontré par les bottiers indépendants, qui sont tous en train de disparaître.

La solution est bien souvent de se passer de communication. Ils prennent eux-mêmes leurs photos, utilisent essentiellement Instagram et ne sont connus que d’un petit cercle de personnes. C’est l’une des raisons pour lesquelles il y a très peu de maroquiniers ou selliers-maroquiniers en France qui proposent des portefeuilles intégralement réalisés à la main avec une couture au point sellier : ce n’est pas une activité très rentable. D’autant plus que la clientèle française est fauchée… Les marchés porteurs sont plutôt asiatiques, avec également, et de manière un peu moins marquée, le marché américain.

Comme la demande est très forte en Asie, il y a une chaîne de valeur qui est en train de se créer directement sur place. Les Japonais sont encore de bons clients en France, mais beaucoup d’Asiatiques passent maintenant commande directement en Asie, notamment au Vietnam, où vous avez des artisans qui sont en pleine émergence. Le problème, pour ceux qui lisent cet article et qui seraient intéressés par ces nouveaux artisans, c’est qu’ils vont devoir composer avec des achats internationaux. Et donc qu’il faudra payer les taxes à l’importation et potentiellement se prendre la tête avec le CITES, si vous avez envie de commander quelque chose réalisé en cuirs exotiques. Ce qui fait que les options sont plutôt limitées. Il existe par exemple l’excellent Victor Dast, qui nous a fourni des photos et vidéos pour la réalisation de cet article. Il y a Decoster en Belgique et quelques autres, mais c’est un petit monde où être doué n’est pas forcément une garantie de succès.

De l’autre côté, les industriels peuvent vomir des dizaines de portefeuilles à l’heure tout en s’attribuant les mérites de l’artisanat et en inventant littéralement la majorité des « qualités » de leurs produits. Forcément, le combat est inégal. En achetant chez eux, vous devrez remplacer votre portefeuille assez régulièrement, mais c’est apparemment devenu un gage de qualité.

En ce qui concerne la technique pure, le portefeuille est surtout déterminé par sa capacité d’emport et par ce que souhaite en faire le client. On peut faire du très simple comme du très compliqué, le plus complexe étant d’avoir une bonne capacité d’emport tout en préservant au maximum la finesse. Pour obtenir une belle finesse, il y a plusieurs options. Au-delà du simple parage, nous allons parler rapidement du type de poches qu’il est possible d’utiliser. Il en existe globalement trois.

Le type de poche le plus simple à fabriquer est une poche que l’on va appeler, pour des raisons de simplicité, « poche à fente ».

La poche à fente

Il s’agit simplement d’une fente pratiquée dans un morceau de cuir, doublé d’une poche interne en tissu.

Un exemple de poche à fente chez Louis Vuitton avec une vue rapprochée. (Source : Louis Vuitton)
Un exemple de poche à fente chez Louis Vuitton avec une vue rapprochée. (Source : Louis Vuitton)

Si vous vous demandez pourquoi ces fentes sont terminées par un trou de chaque côté, c’est tout simplement pour éviter que la coupe qui est pratiquée ne s’élargisse avec le temps. Sans ces trous, la coupe migrerait et finirait par conduire à l’arrachement de la pièce de cuir dans laquelle elle est pratiquée.

Ces poches sont pratiques pour plusieurs raisons. D’une part, elles sont faciles à réaliser ; quand elles sont bien effectuées, elles sont aussi plutôt solides. Enfin, elles permettent de garder une relative finesse, surtout si vous n’avez pas accès à une pareuse ou que vous voulez économiser en étapes de fabrication. Les industriels qui ont recours à cette technique le font essentiellement en raison du coût bas et de leur simplicité, puisque c’est la façon la plus simple d’avoir des poches « fines ». Notez également que si ces poches ne sont pas bien fabriquées, il peut arriver que la doublure en tissu s’arrache et que votre carte tombe dans le carnet de cartes.

Si je trouve que l’utilisation de ces poches est peut-être justifiée sur un petit objet comme un porte-cartes, leur utilisation sur un portefeuille est plus critiquable, car il existe des solutions plus élégantes. On pourrait donc penser que ces types de poches se retrouvent essentiellement sur des marques d’entrée ou de milieu de gamme. Mais il n’en est rien, et on les retrouve assez couramment chez des marques de luxe détentrices d’un savoir-faire millénaire et qui embauchent des milliers d’artisans d’art aux gants blancs.

C’est notamment le cas chez Goyard, qui propose probablement les portefeuilles les plus cheapos de toutes les marques de luxe. Enfin, cheapos pour eux à fabriquer, pas pour le client. Cela leur garantit une marge fort grasse. (Source : Goyard)
C’est notamment le cas chez Goyard, qui propose probablement les portefeuilles les plus cheapos de toutes les marques de luxe. Enfin, cheapos pour eux à fabriquer, pas pour le client. Cela leur garantit une marge fort grasse. (Source : Goyard)

Les « visites ».

Ces poches sont coupées afin de faire toute la largeur du carnet de cartes. Le problème de ces poches est qu’elles ont tendance à ajouter très rapidement de l’épaisseur à un portefeuille. C’est notamment le cas si elles sont effectuées de la manière la plus basique possible. Certains artisans qui prennent le temps de faire ces poches correctement obtiennent des portefeuilles très fins, au prix de beaucoup d’efforts. Nous ne trahissons aucun secret en disant que la manière d’obtenir un portefeuille fin en utilisant ces poches repose sur deux éléments : minutie et précision. Sans entrer dans les détails, il faut beaucoup plus d’étapes de fabrication pour obtenir un portefeuille fin en utilisant des poches de type visite, et cela coûte donc beaucoup plus cher.

Deux carnets de poches de types visites (Source : Victor Dast).
Deux carnets de poches de types visites (Source : Victor Dast).
L’épaisseur en tranche est d’1,5mm. Ce qui est extrêmement fin. Chez les industriels comptez plutôt 3mm d’épaisseur en tranche. (Source : Victor Dast)
L’épaisseur en tranche est d’1,5mm. Ce qui est extrêmement fin. Chez les industriels comptez plutôt 3mm d’épaisseur en tranche. (Source : Victor Dast)

C’est pourquoi les industriels ne s’embêtent pas et restent en général soit sur des versions très basiques des visites (deux morceaux de cuir collés ensemble sans le moindre traitement en dehors d'un rapide parage machine). Bien évidemment, les industriels ont aussi des petites astuces pour essayer de limiter l’épaisseur. Il est assez courant qu’ils n’appliquent pas de doublure au dos des poches et laissent donc la chair du cuir telle quelle, parfois ils doublent avec du tissu. Ce qui leur permet d’économiser quelques millimètres mais fragilise la poche, surtout si le cuir employé est très souple. Cela ne se voit pas pour le client, mais si vous passez votre main à l’intérieur de la poche, vous pouvez sentir si le cuir est doublé ou s’il est laissé à nu.

C’est pourquoi les industriels ne s’embêtent pas et restent en général soit sur des versions très basiques des visites (deux morceaux de cuir collés ensemble sans le moindre traitement). Bien évidemment, les industriels ont aussi des petites astuces pour essayer de limiter l’épaisseur. Il est assez courant qu’ils n’appliquent pas de doublure au dos des poches et laissent donc la chair du cuir telle quelle, parfois ils doublent avec du tissu. Ce qui leur permet d’économiser quelques millimètres mais fragilise la poche, surtout si le cuir employé est très souple. Cela ne se voit pas pour le client, mais si vous passez votre main à l’intérieur de la poche, vous pouvez sentir si le cuir est doublé ou s’il est laissé à nu.

Les poches en T

Les poches en T sont une variante du type de poche précédent. Il s’agit en réalité d’une petite astuce afin de gagner en finesse tout en restant à un niveau technique assez simple. Plutôt que d’être coupées en rectangle, ces poches sont coupées en T, comme leur nom l’indique.

Une image sera ici plus pertinente que des explications :

Des poches en T. (Source : Instagram)
Des poches en T. (Source : Instagram)

Les poches en T permettent ainsi de limiter une accumulation de matière sur la tranche, puisque seule la partie haute de la poche vient ajouter de la matière, contrairement à tout le côté sur une poche rectangulaire.

 Voilà comment se monte un carnet de cartes avec des poches en T. La dernière poche qui viendra couvrir le bas sera rectangulaire. (Source : Instagram)
Voilà comment se monte un carnet de cartes avec des poches en T. La dernière poche qui viendra couvrir le bas sera rectangulaire. (Source : Instagram)

Ces poches ont toutefois quelques inconvénients, notamment du point de vue de la netteté de la tranche. Elles peuvent aussi être plus fragiles si elles sont mal fabriquées.

La piqûre/couture

À quelques très rares exceptions, aucun industriel ne propose de portefeuilles cousus à la main, ils utilisent tous une piqûre machine.

Et cela est aussi vrai pour les grands du luxe, donc Louis Vuitton, Goyard, Gucci, Delvaux, Chanel, Cartier et tous les autres n’utilisent pas le point sellier. Hermès fait figure d’exception, où l’on peut trouver quelques coutures effectuées à la main, mais c’est occasionnel. Même leur modèle Sellier Compact semble être piqué à la machine (à l’exception du monogramme), à moins qu’ils n’utilisent une griffe inversée, ce qui est possible mais serait étonnant puisqu’ils ne le font pas sur leurs sacs.

Le problème de la piqûre machine est sa fragilité. Si un point saute, toute la couture va sauter à la suite au fil du temps. C’est inévitable.

Ici un exemple de couture qui se défait. Tout ce qui est dans le cercle rouge est décousu, et cela va continuer après la flèche. (Source : Ebay)
Ici un exemple de couture qui se défait. Tout ce qui est dans le cercle rouge est décousu, et cela va continuer après la flèche. (Source : Ebay)

Les portefeuilles sont des objets du quotidien, ils sont soumis à beaucoup de frottements, mais aussi à beaucoup de tension, surtout si vous avez toujours un portefeuille plein à craquer.

Il n’est donc pas rare que les piqûres sautent.

Pareil ici, mais sur un portefeuille Goyard. (Source : Ebay)
Pareil ici, mais sur un portefeuille Goyard. (Source : Ebay)

Les industriels utilisent le piquage machine, car le gain de temps est considérable. C’est une façon très rapide et donc peu chère d’assembler un portefeuille, ce qui leur permet d’avoir une grosse marge et de faire beaucoup de volume.

Qu’est-ce que le point sellier ?

C’est une façon de coudre le cuir qui permet de nouer chaque point. Si un point saute, il n’entraîne pas les autres avec lui. Comme son nom l’indique, cette manière de coudre le cuir vient de la sellerie, où il est utilisé pour réaliser des pièces d’attelage pour le travail des chevaux. Cette solidité permet de faire des pièces qui résistent très bien au temps. Il n’est pas rare que la couture excède la durée de vie de la pièce de cuir elle-même. L’inconvénient du point sellier réside dans sa technicité : c’est une façon de coudre le cuir qui est très lente et donc chère. Au grand regret des industriels, il n’est pas (encore) possible de mécaniser le point sellier.

Dans cette vidéo réalisée par Victor Dast vous avez toutes les étapes d’une couture réalisée au point sellier.
Détail d’une couture réalisée au point sellier. (Source : Victor Dast).
Détail d’une couture réalisée au point sellier. (Source : Victor Dast).

Tous les artisans n’utilisent pas nécessairement le point sellier, certaines petites marques piquent à la machine, car cela leur permet de travailler beaucoup plus vite. C’est en général reflété dans le prix de vente, mais pas toujours… Sans entrer dans les détails, il est assez facile de reconnaître une couture effectuée à la main. C’est avant tout une question d’orientation de la couture. En réalité, cette méthode d’identification n’est pas infaillible, mais elle permet dans la grande majorité des cas d’avoir une réponse assez fiable. La raison pour laquelle je ne rentre pas dans les détails tient surtout à la technicité du propos : il est possible de modifier l’orientation d’une couture main comme d’une couture machine, mais on entre là dans le domaine des exceptions et non de la norme.

La différence d’orientation entre une couture point sellier et une piqûre machine. (Source : Sartorialisme)
La différence d’orientation entre une couture point sellier et une piqûre machine. (Source : Sartorialisme)

La finition des tranches

Les tranches sont importantes sur un portefeuille, car elles participent à l’épaisseur globale de l’objet. Plus un portefeuille va être épais, plus il va être ennuyeux à transporter. Elles ne sont bien évidemment pas le facteur le plus déterminant de l’épaisseur : il est évident que si vous avez un compartiment pour pièces de monnaie dans votre portefeuille, vous avez déjà l’équivalent d’un parpaing dans votre poche. Alors que les tranches fassent 1,5 mm ou 4 mm, ça n’a guère d’importance.

Il existe plusieurs façons de finir les tranches d’un portefeuille, chaque méthode ayant ses avantages et ses inconvénients. Globalement, les deux finitions les plus représentées sont le rembord et le bord franc peint.

Le rembord

Le rembord est une technique qui consiste à amincir le cuir et à le replier sur lui-même afin de cacher la tranche. C’est une finition que l’on trouve typiquement chez les industriels et qui précède l’invention de la peinture de tranche. Son aspect est donc assez classique, c’est pour cela qu’on le retrouve assez régulièrement sur des marques un peu plus conservatrices.

Une finition rembordée sur un portefeuille Prada. (Source : Ebay)
Une finition rembordée sur un portefeuille Prada. (Source : Ebay)

Un rembord effectué à la main peut être très fin, mais cela demande beaucoup de temps. Afin de gagner en productivité, aujourd’hui, tous les industriels font leurs rembords à la machine. Malheureusement, les machines n’atteignent pas un grand niveau de finesse, et beaucoup de rembords s’apparentent à des bourrelets disgracieux.

Comme vous pouvez le voir ici sur ces portefeuilles de marques Anglaises :

Ettinger (Source : Ettinger)
Ettinger (Source : Ettinger)
John Lobb UK (à ne pas confondre avec John Lobb Paris qui appartient à Hermès) (Source : John Lobb UK)
John Lobb UK (à ne pas confondre avec John Lobb Paris qui appartient à Hermès) (Source : John Lobb UK)

Le rembord a l’avantage d’être une finition assez solide puisqu’elle résiste bien aux frottements. En revanche, une fois que la tranche est endommagée, la réparation n’est pas nécessairement très évidente.

La peinture de tranche

À l’origine, les tranches peintes sont apparues pour gagner du temps par rapport au rembord. Mais aujourd’hui, cela n’est plus tellement vrai, puisque faire de belles tranches peintes demande énormément de temps. Il faut effectuer et répéter toute une succession d’étapes (filetage, ponçage, peinture…).

Le filetage, une étape préparatoire avant la peinture des tranches. Cela permet d’écraser la tranche afin de faire ressortir l'excédant de colle. (Source : Victor Dast)
Le filetage, une étape préparatoire avant la peinture des tranches. Cela permet d’écraser la tranche afin de faire ressortir l'excédant de colle. (Source : Victor Dast)

Les industriels, en revanche, ne s’embarrassent pas et proposent des tranches peintes de très mauvaise qualité. L’inconvénient de la peinture tient dans sa faible résistance à la friction. Les pigments de la peinture ne pénètrent pratiquement pas dans le cuir, ils se déposent dessus et, tôt ou tard, la peinture finira par peler. Avec les tranches peintes des industriels, cela peut arriver très rapidement.

Un portefeuille neuf Louis Vuitton, avec deux mois d’usage. La tranche est déjà en train de s’en aller. (Source : reddit)
Un portefeuille neuf Louis Vuitton, avec deux mois d’usage. La tranche est déjà en train de s’en aller. (Source : reddit)
 Idem. (Source : reddit)
Idem. (Source : reddit)
Après quelques années, la tranche ressemble à ça, et le portefeuille commence à partir en miette puisqu’il n’y a plus rien pour protéger le cuir. (Source Ebay)
Après quelques années, la tranche ressemble à ça, et le portefeuille commence à partir en miette puisqu’il n’y a plus rien pour protéger le cuir. (Source Ebay)
 Idem, le cuir s’endommage et d’autres problèmes arrivent, le cuir s’abîme, les piqûre sautent... (Source : Ebay)
Idem, le cuir s’endommage et d’autres problèmes arrivent, le cuir s’abîme, les piqûre sautent... (Source : Ebay)

La peinture a en revanche un avantage : elle est facilement réparable. Il suffit d’enlever l’ancienne peinture et d’en refaire une nouvelle. Chez les artisans, les peintures sont effectuées avec beaucoup plus de soin, et vous devez normalement obtenir une bien plus grande durabilité de leurs tranches peintes. Notez quand même que la peinture de tranche reste un produit qui fait un peu comme bon lui semble… personne n’est à l’abri de (mauvaises) surprises avec.

Une peinture de tranche effectuée par Victor Dast. (Source: Vitor Dast)
Une peinture de tranche effectuée par Victor Dast. (Source: Vitor Dast)
Chez Louis Vuitton, la peinture de tranche fait des saluts Romain. La consigne a été donnée au RN de ne pas acheter chez cette marque qui fait l’apologie des heures les plus sombres de notre histoire. (Source : Reddit).
Chez Louis Vuitton, la peinture de tranche fait des saluts Romain. La consigne a été donnée au RN de ne pas acheter chez cette marque qui fait l’apologie des heures les plus sombres de notre histoire. (Source : Reddit).

Pour finir sur le sujet, vous verrez que toutes les marques qui utilisent cette finition ne parlent jamais de peinture de tranche, mais de teinture de tranche. C’est une coquetterie mensongère pour ne pas effaroucher le client.

Si vous voulez absolument tout savoir sur le travail des tranches, nous avons un article dédié au sujet.

Savoir regarder au-delà des photos

Afin de conclure cet article, nous allons maintenant vous donner une sorte de guide des prix.

Le portefeuille étant un objet utilitaire, vous avez une palanquée de marques à votre disposition, avec des prix qui peuvent commencer assez bas et monter très haut.

Sans faire de distinction au niveau du style de portefeuille, globalement, le marché est structuré de la façon suivante : vous avez l’entrée de gamme, qui va de la chinoiserie en cuir de pékinois aux « petits artisans du… » (au choix, Tarn, Normandie, Portugal…) qui font de l’industriel fort laid (genre Atelier Fourès, Allen St, Atelier Auguste), et dont les prix tournent aux alentours de 100 €.

Aux alentours de 100 €

Même si beaucoup de marques dans cette gamme de prix disent utiliser des « ateliers » et les « meilleurs cuirs de luxeuh », dans cette gamme de prix, il ne faut pas espérer de miracle. La marque doit couvrir les taxes, sa marge, son marketing pour ploucs…

C’est donc de l’industriel à 100 %, qui doit produire beaucoup et pour pas cher. Bref, vous savez donc que si le portefeuille vous est facturé 150 €, il aura coûté bien moins que ça à fabriquer.

Et vous avez donc dans les mains un produit qui ne vaut pas grand-chose, pas plus de quelques dizaines d’euros. Les marques ont ensuite plusieurs façons de manier leur équation. Si elles fabriquent en France, elles doivent compenser par du cuir vraiment cheap et des produits simples. C’est par exemple le cas chez Atelier Fourès.

Atelier Fourès (Source : Atelier Fourès)
Atelier Fourès (Source : Atelier Fourès)

Leur portefeuille le plus cher, à 114 €, est un parpaing qui fait tout : vous avez de la poche pour la monnaie, du plastique pour mettre vos papiers, des rabats… Bref, c’est de l’utilitaire de base et franchement laid. Si elles fabriquent en dehors de France (notamment au Portugal ou en Espagne), elles ont des coûts de production plus bas et se rattrapent donc sur des cuirs d’aspect (j’insiste sur le mot aspect) immaculé et des designs plus élaborés. C’est un peu la nouvelle mode du « quiet luxury », c’est-à-dire des marques pour pauvres qui pensent avoir un produit de luxe au juste prix. Ce qui est également le nom d’une émission de télé pour ploucs, coïncidence… je ne pense pas.

On peut donner l’exemple d’Atelier Auguste.

Belle peinture de tranche... (Source : Atelier Auguste)
Belle peinture de tranche... (Source : Atelier Auguste)

À 125 €, vous avez un portefeuille en cuir atrocement pigmenté (pour faire très simple, le cuir est caché sous une forte couche de pigments, aka peinture, je simplifie, mais c’est l’idée). Et vous avez un design de bifold tout ce qu’il y a de plus traditionnel, tel qu’on peut les retrouver un peu partout. Les poches sont doublées en coton et non en cuir, pour économiser de la thune. Notez que je vous ai mis la version anglaise de la description, car elle est plus rigolote.

Ça parle en toute décontraction de fabrication main et de « refined craftsmanship », tout en montrant un superbe exemple de je-m’en-foutisme complet sur la finition des tranches (cercles rouges sur la photo).

La version fronçaise, elle, se contente de parler de leur « meilleur cuir de veau ».

C’est assez drôle quand on sait à quoi il ressemble vraiment.

La couche de pigments sur les couirs d’exception utilisés par Atelier Auguste (Source : Youtube)
La couche de pigments sur les couirs d’exception utilisés par Atelier Auguste (Source : Youtube)

Une fois passé à l’acétone (un test classique pour déterminer le niveau de pigment appliqué à un cuir), voilà la couche de merde que vous avez par-dessus. Ça n’est bien évidemment pas du cuir en finition aniline ou semi-aniline, en même temps, ça n’est pas le même prix…

Bon, chez d’autres marques, ici Allen St, à ce prix, ils ne savent même pas coudre droit à la machine…Paradoxalement, c’est aussi le cas chez Vuitton, mais ça, il ne faut pas trop le dire… (Source : Allen St)
Bon, chez d’autres marques, ici Allen St, à ce prix, ils ne savent même pas coudre droit à la machine…Paradoxalement, c’est aussi le cas chez Vuitton, mais ça, il ne faut pas trop le dire… (Source : Allen St)

Entre 250 et 350 €

Les marques « premium » (JM Weston, Montblanc, Carmina, Ettinger...) ont des tarifs qui commencent en général aux alentours de 300 €. Les marques industrielles qui prétendent faire de l’artisanal ou du luxe (marques d’école de commerce et/ou de bobos, genre Laperuque, Léo et Violette, etc.) sont en général juste en dessous (à partir de 200 €) pour faire genre ils sont ultra-disruptifs avec leurs produits d’exception à pas cher.

Pour les marques qui sont en bas de ce segment de prix, comme Léo et Violette, par exemple, qui affichent des prix allant de 180 à 220 €, il n’y a globalement pas de différence flagrante avec les marques du segment inférieur. Vous avez droit à des designs un peu plus recherchés, la fabrication est italienne plutôt qu’ibérique, mais cela ne change pas grand-chose, si ce n’est que ça doit leur coûter un poil plus cher. Les cuirs sont toujours entartés de pigments. Comme toutes les marques de pseudo-luxe, ils se la jouent savoir-faire artisanal alors qu’ils montrent du travail industriel dans la plus grande décontraction.

La finition des tranches artisanale selon Léo et Violette, en toute décontraction. (source : Léo et Violette)
La finition des tranches artisanale selon Léo et Violette, en toute décontraction. (source : Léo et Violette)

Certaines marques comme Laperuque proposent des cuirs plus intéressants, par exemple du cordovan ou du Baranil de la tannerie Degermann, qui a l’avantage de ne pas être atrocement pigmenté. Mais vous êtes sur de la fabrication tout ce qu’il y a de plus basique.

C’est aussi dans ce secteur de prix que vous allez trouver beaucoup de fabricants de chaussures, dont nous allons parler dans une section à part.

À partir de 300 € et au-delà, on commence à trouver des artisans qui fabriquent intégralement à la main.

Mais il y a plein de facteurs à prendre en compte, notamment le lieu où habite l’artisan. Par exemple, les artisans asiatiques peuvent être moins chers, mais vous allez payer les droits/frais de douane et la TVA à la réception du paquet. De la même façon, les types de cuir vont avoir une influence, ainsi que le type de finitions que vous voulez (fil de lin/polyester, doublure, etc.). Comptez donc, de façon plus réaliste, entre 500 et 900 € pour de l’artisanal de qualité, en dehors d’une commande spéciale ou de cuirs exotiques. Ça tombe bien, puisque c’est également la fourchette de prix dans laquelle vous trouvez beaucoup de marques de luxe (Asprey, Lobb, Cartier, Delvaux…).

Chester Mox est un petit atelier basé en Californie proposant des portefeuilles bifold en chèvre à partir de 365 €.

Un modèle de portefeuille chez Chester Mox (Source : Chester Mox)
Un modèle de portefeuille chez Chester Mox (Source : Chester Mox)

Mais en fonction des options et une fois qu’on y ajoute les frais pour faire venir le produit en France, vous arrivez très rapidement aux alentours des 500 €.

Avant d’aller plus loin, nous allons ouvrir une parenthèse sur le cas des marques de chaussures qui font de la petite maroquinerie.

Le cas des chausseurs

Beaucoup de marques de chaussures pour homme (C&J, Edward Green, Lobb, Weston, Carmina, etc.) proposent de la petite maroquinerie, et plus spécialement des portefeuilles à leurs clients. La raison est assez simple : ils ont un accès direct et abondant à la matière première et peuvent ainsi proposer aux obsédés d’acheter un portefeuille assorti à leur dernière paire de pompes. Il est toutefois bon de savoir quelques choses sur ces portefeuilles.

Tout d’abord, dans la vaste majorité des cas, ces derniers sont fabriqués par un sous-traitant. Il n’y a donc pas de corrélation entre la réputation supposée d’une marque de chaussures et la qualité de ses portefeuilles. Certes, les chausseurs vont avoir un cahier des charges, avec des exigences spécifiques (ou non), mais vous ne savez pas qui est derrière la production. Edward Green, par exemple, se contente de mentionner que le sous-traitant est italien. Il faut également prendre en considération le fait que les chausseurs souffrent des mêmes travers que les autres marques de maroquinerie, à savoir qu’ils mentent beaucoup. Par exemple, quand Edward Green dit que ses portefeuilles sont fabriqués à la main, c’est bien évidemment un mensonge complet. Par ailleurs, il n’est pas rare de voir certaines marques utiliser leurs chutes de cuir provenant de la production de leurs chaussures pour réaliser leurs portefeuilles. C’est par exemple le cas avec Carmina, surtout en ce qui concerne les cuirs exotiques. La marque récupère ce qui n’a pas été utilisé pour les chaussures et le réutilise en maroquinerie.

Un portefeuille Carmina qui tape dans une zone qui semble correspondre au cou de l’animal, juste entre les pattes avants. Ce qui explique le prix bas pour de l’exotique. (Source : Carmina)
Un portefeuille Carmina qui tape dans une zone qui semble correspondre au cou de l’animal, juste entre les pattes avants. Ce qui explique le prix bas pour de l’exotique. (Source : Carmina)

’est le cas avec le cordovan, qui, sans être un cuir exotique, est un cuir assez cher. C’est aussi ce qui explique le prix assez attractif des portefeuilles en alligator de la marque, qui sont vendus aux alentours de 500 €, alors qu’il faut en règle générale s’attendre à payer au grand minimum 1 500 € en passant chez un artisan, et beaucoup plus chez une marque de luxe. En utilisant la tête, la queue, les flancs, la marque rentabilise la totalité de sa peau. Mais elle le fait au détriment de la qualité du produit final. Vous allez vous retrouver avec un portefeuille qui sera au mieux laid, au pire rigide et peu durable. Au passage, c’est encore pire sur leurs porte-cartes en exotique, là ils vont vraiment taper dans les fins de poubelles.

Pareil chez Edward Green, ici il semble que ça soit de la queue qui soit utilisée, une zone bien moins désirable que le ventre, ce qui leur permet de se positionner sur des prix très bas. (Source : Edward Green)
Pareil chez Edward Green, ici il semble que ça soit de la queue qui soit utilisée, une zone bien moins désirable que le ventre, ce qui leur permet de se positionner sur des prix très bas. (Source : Edward Green)

Ensuite, même si la vaste majorité des marques de chaussures proposent en général des portefeuilles de milieu de gamme, certaines ont essayé, avec plus ou moins de succès, de se lancer dans le luxe. C’est le cas par exemple avec Berluti – la marque appartenant à LVMH, ça n’a rien de surprenant. Mais ça a également été le cas avec Corthay, qui a lancé une gamme de portefeuilles et de petite maroquinerie en 2015. Et je crois que ça ne s’est pas très bien passé…

Il faut dire que le milieu des portefeuilles de luxe est assez compétitif et codifié, pour ne pas dire tribal. C’est l’identité de la marque qui fait l’intérêt. Pour faire simple, les clients hominoïdes qui achètent un portefeuille Goyard le font pour avoir le motif caractéristique de la marque, les clients Vuitton veulent leur toile PVC, les clients Berluti veulent leurs inspirational quotes et leur patine immonde… Or, chez Corthay, c’est justement l’absence de patine qui faisait défaut. La marque a lancé une gamme autour d’un concept de bande dessinée. Mais en réalité, en dehors d’un design asymétrique tout en arêtes, il n’y avait pas grand-chose d’original. Ni de spécialement Corthay.

L’annonce de la bande dessinée Corthay. Ça n’est pas du Moebius, et ça n’enchante pas les foules. (Source : Instagram Corthay)
L’annonce de la bande dessinée Corthay. Ça n’est pas du Moebius, et ça n’enchante pas les foules. (Source : Instagram Corthay)
Les modèles de la gamme Corthay au lancement. Chaque modèle a sa petite histoire en lien avec le monde de la bande dessinée. Les scénarios ça doit au moins être du Cauvin tant ils sont haletants… (Source : Corthay)
Les modèles de la gamme Corthay au lancement. Chaque modèle a sa petite histoire en lien avec le monde de la bande dessinée. Les scénarios ça doit au moins être du Cauvin tant ils sont haletants… (Source : Corthay)

Cela a donné lieu à un échange très amusant sur BFM Business, quand Pierre Corthay est venu faire la promotion de sa nouvelle gamme de portefeuilles et que la présentatrice a fait remarquer que tout cela était bien beau, mais qu’on ne retrouvait pas la patine typique de la marque.

Nous avons résumé pour vous, à la façon d’un youtube poop simien ce moment télévisuel dans la vidéo ci-dessous :

Un grand moment télévisuel.

Pour ceux qui veulent l’entretien d'origine dans son intégralité, il est disponible ici

Comme vous pouvez vous en douter, la collection de petite maroquinerie de la marque n'a pas fait long feu.

Après avoir été en stock quelques années, elle a disparu du site. Et bien qu’elle se soit « très bien vendue » (dixit Corthay chez BFM). Elle s’est tellement bien vendue que vous pouvez trouver énormément de stock neuf en vente sur les sites de seconde main, ce qui n’est jamais vraiment un témoignage d’une grande réussite. Car on en trouve, vraiment partout...

Les invendus de la collection qui s’est bien vendue. (Source : Ebay)
Les invendus de la collection qui s’est bien vendue. (Source : Ebay)
Et le tout en neuf (Source : vestiaire collective)
Et le tout en neuf (Source : vestiaire collective)

Fermons là cette parenthèse sur les chausseurs.

Au delà des 900€

À partir de 900 € et au-delà, on trouve essentiellement les marques qui appartiennent à des grands groupes du luxe, donc Hermès, Vuitton, Goyard, etc.

Il faut noter que ces marques peuvent avoir dans leur gamme des produits d’appel pour Nabilas/Michou et autres créatures lobotomisées, avec des prix qui peuvent commencer aux alentours des 500/600 €.

En réalité, le portefeuille est globalement un moyen pour ces marques de toucher une clientèle qui ne peut pas se payer leurs sacs. Il est facile d’être très critique des sacs produits par ces marques, mais ils bénéficient au moins d’un certain sens du style. Et, sans qu’ils ne soient bien fabriqués, certaines marques font tout de même quelques maigres efforts pour que le produit ne soit pas bon à jeter au bout de deux ans. C’est beaucoup moins le cas des portefeuilles et de la petite maroquinerie en général, qui sont des produits servant uniquement à faire du volume et à engranger du chiffre. Comme souvent dans les marques de luxe, le prix est sans commune mesure avec les coûts de fabrication. La notion de qualité n’est pas vraiment prise en compte : pour leurs portefeuilles, seule l’image compte. Vous avez l’avantage d’avoir des designs bien pensés, mais qui ne sont pas bien exécutés. Certaines marques se paient le luxe ultime de faire des produits moins bien fabriqués que ce que vous pouvez trouver pour 300 € ailleurs. Je pense par exemple à Goyard, qui, comme nous l’avons vu, fait très fort dans ce domaine, mais ils sont loin d’être les seuls. Je n’ai même pas mentionné des marques comme Yves Saint Laurent ou Balenciaga, car nous sommes des gens sérieux.

Les artisans

Comme nous le disions, il y a assez peu de maroquiniers-selliers en France qui sont spécialisés dans le portefeuille, car ils font face à un problème de taille.

Non seulement ils habitent dans un pays qui n’a globalement pas les moyens d’acheter leur production, mais en plus, ils doivent supporter des taxes aberrantes et un coût de la vie élevé. La France est devenue petit à petit un pays musée. C'est un fait. Ne croyez pas les médias qui s'astiquent en permanence sur la "maroquinerie de luxe" française. Elle n'existe pour ainsi dire presque plus, car ça ne sont pas Hermès et les autres qui sont les véritables représentants du luxe. Aujourd'hui c'est plutôt au Vietnam, au Japon, voire même en Chine que les choses se jouent. Les Chinois font des contrefaçons de produits Hermès qui sont dans certains cas d'une meilleure qualité que l'original...

Bien évidemment, je recommande de passer commande chez un artisan si vous en avez la possibilité. Mais il est difficile d'en faire un catalogue, entre ceux qui exercent à l'étranger, ceux qui ne prennent pas de nouvelles commandes, ceux qui arrêtent leur activité, ceux qui ne sont pas très bons mais ont de gros Instagram, ceux qui sont excellents mais sont très discrets... c'est un milieu de niche. Je verrai dans le futur si j'écrirai une sélection d'artisans, mais j'en doute. Je ne peux dans tous les cas que recommander de contacter Victor Dast si jamais vous avez des envies de petite maroquinerie, il est parmi les plus compétents en France dans ce domaine.

Le polo : votre meilleur allié durant la période estivale.

Avant-propos

Salut les ploucs, c’est bientôt l’été, c’est l’heure de montrer vos petits biscotaux saillants sur les plages, et il semble donc opportun de parler d’un classique du vestiaire estival : le polo.
Je ne vais pas aborder l’origine historique du polo en tant que vêtement dans cet article ; je réserve cette partie pour un autre article passablement débile, qui sera un pot-pourri de toutes les stupidités que l’on rencontre dans le microcosme sartorial.
À la place, je préfère donc prendre un autre point de départ, qui est plus arbitraire, mais aussi beaucoup plus utilitaire, à savoir la place qu’a ce vêtement dans le vestiaire masculin. On parlera quand même un peu de l’histoire de la pièce, mais uniquement de façon anecdotique.
Pour une raison que j’ignore, la sphère "sartoriale" française a longtemps délaissé le polo, allant parfois jusqu’à le moquer, car "pas assez formel". C’est bel et bien une citation ; je précise, car il faut en tenir une couche pour reprocher son manque de formalité à un vêtement décontracté.
Enfin, ce n’est guère étonnant quand on sait que la vaste majorité des gens dans notre microcosme se prennent pour le grand Gatsby et que, dès qu’ils sortent de leur appartement tout Ikea, c’est le bal de Sissi l’impératrice dans leur tête.
J’exagère à peine, mais nous aborderons cette question plus en détail dans un article dédié au vestiaire estival. Sachez simplement que certaines personnes ont une aversion pour le polo car ce sont des idiots.

Heureusement, les temps changent. Le polo s’est aujourd’hui largement imposé, et il est désormais rare – bien que pas encore impossible – de croiser, en plein centre de Paris, un ahuri dégoulinant dans un complet en lin ou en seersucker par 30 °C. Et que l’on ne me parle pas d’impératifs professionnels : ces gens le font par plaisir masochiste, et non pour respecter un quelconque dress code.

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Quand les influenceurs découvrent la chemise en denim

Avant-propos

Il y a quelque chose de fascinant – et d'un peu exaspérant – dans la manière dont certains influenceurs semblent redécouvrir des concepts qui existent depuis des lustres, puis les exploitent de façon gimmick. Il n’aura échappé à personne que, depuis au moins quatre ans, tout le monde s'habille de manière plus décontractée, abandonnant ainsi les vêtements à connotation formelle. Cela semble avoir déclenché une réaction en chaîne chez les influenceurs experts en cravates sept plis, qui ont été obligés de s'adapter sous peine de devenir insignifiants. Le résultat ne s'est pas fait attendre, et il y a eu une batterie de changements radicaux qui peuvent se résumer à : "Je viens de virer ma cravate et remplacer ma chemise en popeline par une chemise en jean." Autant de radicalisme à notre époque est absolument bouleversant, le monde n'est pas fait pour des révolutions aussi révolutionnaires. Bref, il y a eu un barrage d'artillerie, et à pratiquement une semaine d’écart, on retrouvait Simone Crouton, Peter Zottolo et Mitchell Moss dans des tenues avec une chemise en denim, à croire qu'ils s'étaient donnés le mot.

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La nouvelle "tendance"

Source: Instagram Urbancomposition
Source: Instagram Urbancomposition
Source: Instagram Permanentstylelondon
Source: Instagram Permanentstylelondon
Source: Instagram menswearmusings
Source: Instagram menswearmusings

Notez que des trois menswearmusings est le seul à être resté fidèle à la pochette, par fidélité au hanky code sartorial. Leur timing est amusant, mais guère surprenant. Les influenceurs fonctionnent tous de la même façon ; leur cerveau n’a qu’un logiciel, celui des algorithmes, et comme si cela ne suffisait pas, ils se copient les uns les autres.

Source: Instagram menswearmusings
Source: Instagram menswearmusings

Il était d'ailleurs sapé de la même façon pour la dernière édition du Pitti Uomo, qui tient maintenant plus du rassemblement de COTOREP que du trade show.

D'ailleurs sans surprise il n'était pas le seul, puisque cette année il y avait une chiée de chemise en denim au Pitti.

Error 404, can't compute. (Source: Instagram)
Error 404, can't compute. (Source: Instagram)
Le style Far West et MST est en vogue. (Source: WWD)
Le style Far West et MST est en vogue. (Source: WWD)
Mauvais cosplay de Sébastien Tellier (Source: Instagram)
Mauvais cosplay de Sébastien Tellier (Source: Instagram)
On a aussi le classique riche qui cosplay en pauvre. Je me demande juste s'il a poussé la vice à sentir la pisse et la Maximator. (Source: WWD)
On a aussi le classique riche qui cosplay en pauvre. Je me demande juste s'il a poussé la vice à sentir la pisse et la Maximator. (Source: WWD)
Job title: Bull semen collector. (Source WWD)
Job title: Bull semen collector. (Source WWD)
Forcément Rubinacci garde la cravate car il a du stock à écouler.  (Source GQ)
Forcément Rubinacci garde la cravate car il a du stock à écouler. (Source GQ)

La tendance est actée car on la retrouvait aussi à la Fashion Week, avec une forte présence du denim on denim, aka the canadian tuxedo, aka le look du lumberjack pédé.

Source: Fashion Week
Source: Fashion Week

Ça existe depuis les années 70, et c'est toujours aussi moche.

(Source: Status Quo)
(Source: Status Quo)

L'origine du mal

En ce qui concerne les influenceurs, cela les arrange. Ils n’ont également qu’un seul sujet de prédilection à la fois : globalement, pour eux, il n’y a qu’UN style : celui qu’ils prônent, celui des marques qui veulent bien leur donner de l’argent. Les types fonctionnent donc tous en unisson, puisqu’ils vont là où il y a de l’argent à prendre. À une époque, c’était la guerre des cravates 7 plis, des pochettes roulottées mains et tout le monde se battait pour savoir "qui c'est qui avait le Goodyear le plus durable de la planète dans le meilleur couir du monde". Aujourd’hui, c’est la chemise en denim western fabriquée À LEUH JAPON. Car en réalité, les influenceurs n’aiment pas LE vêtement, ils aiment l’argent. Si demain leur niche venait à s’assécher, ils se lanceraient dans un sujet parallèle où ils pourraient conserver une partie de leur audience : les cigares, les steaks, les spiritueux ou les salons de massage, pour eux, c’est la même chose. Notez, je ne leur reproche pas d’aimer l’argent, c’est très bien l’argent. À mon sens, il est plus grave qu’ils aient tous autant de personnalité qu’une serpillière à foutre, et qu’ils pensent découvrir l’eau chaude à chaque fois que les tendances changent. Ces gens sont des girouettes perpétuelles. Il faudrait faire une étude de faisabilité pour voir s'ils peuvent permettre de fournir une petite ville de province en électricité tant ils moulinent dans le vent.

Pour Crouton et Moss, avant 2019, le denim, ça n’existait pour ainsi dire pas. L’un pensait que c’était un tissu avec lequel on pouvait faire des costumes croisés bespoke chez Chifonelli ou des collaborations avec un chemisier italien ; l’autre n’en portait pratiquement jamais, en dehors du " casual friday", et jamais avec une veste sport. Je n’ai pas été vérifier pour Zottolo, parce que, franchement, j’aurais trop l’impression de consulter un numéro de "Têtu".

Par curiosité, j’ai été voir ce que Simone avait en stock sur son blog sur le sujet du jean. En 2014, il pense que c’est une matière intéressante, au même titre que les vestes rase pet trop étroites et les grigris à porter au poignet, car cela permet de "saper le conservatisme attaché au costume". On croirait entendre une féministe intersectionnelle à la fête de l'Huma… et le pire c'est que c'est une citation.

L'inspiration denim selon Simone, so 2014, so plouc.  Source: permanent style
L'inspiration denim selon Simone, so 2014, so plouc.  Source: permanent style

Le seul point où il n’a pas totalement tort, c’est quand il évoque le fait que les costumes en jean n’ont rien de neuf, puisqu’ils existaient déjà du temps de l’infâme Tommy Nutter. J’ai toujours un article en cours sur lui et sur Sexton ; je ne sais pas quand il sortira, car je suis actuellement le seul rédacteur encore à l’œuvre et j’ai un véritable métier à côté, mais c’est toujours un sujet au programme. Tout ce que l’on peut dire, c’est que la période Nutter, et plus globalement les années 70, n’étaient pas vraiment une époque glorieuse pour le vêtement masculin. Notez qu’il parle du jean dans le cadre du "tailoring". Car il y a eu longtemps, chez Crouton comme chez d’autres, cette perception que c’était un style "total", et que tous les hommes portaient des complets trois pièces et un fedora pour aller chercher leur croissant à la boulangerie du coin un dimanche matin. On a eu notre équivalent en français avec le style "sartorial", qui est plus ou moins le même non-sens. C’est pour cela que nous préférons l’expression "style classique", mais passons.

Le point d’orgue est atteint en 2017, quand il "commande" un costume (mal coupé et mal proportionné) en jean chez Chifonelli. 2017 est une période sombre, car nous sommes au sommet d’une mode débile qui faisait la promotion de combinaisons improbables et importables… comme un costume en jean. C’était à cette époque que les gens pensaient rendre leur tenue "plus décontractée" en mettant des pochettes sur des vestes sport, ou en faisant faire des patines bariolées sur des Richelieus. Les patines sont mortes, pas encore les pochettes...

Notez que dans tout l’article, Simone n’explique jamais la logique de sa démarche. Je soupçonne qu’il n’y en ait pas. L’objectif était simplement de faire parler de lui avec une pièce extravagante, comme lorsque le journaliste automobile Chris Harris avait acheté une Lamborghini au début de sa carrière pour faire parler de lui. C’est une pratique assez commune dans la heu… " presse" ? On peut supposer que l’idée derrière ce costume en jean était de "rendre moins formel" le croisé. Ce qui est une démarche globalement stupide. Je sais que nous en parlons sur le blog et que nous donnons des conseils sur comment y parvenir. Mais, à titre personnel, je trouve la démarche débile. Une veste croisée plus décontractée porte un nom : c’est une veste à boutonnage droit… Vouloir "décontracter" quelque chose c'est vouloir se compliquer la vie. Mais comme je disais, ce ne sont que des suppositions. J’imagine qu’il y a une raison parfaitement logique pour justifier un costume croisé en jean....

"Un vêtement décontracté" stade de débilité avancé: patient incurable. (Source: Permanent style)
"Un vêtement décontracté" stade de débilité avancé: patient incurable. (Source: Permanent style)

Je note deux choses particulièrement hilarantes dans l’article. La première est que Simone mentionne avoir refusé un boutonnage en configuration 6x1 "car trop tapageur". Dixit le type qui vient de recevoir un costume en jean croisé Chifonelli. C’est l’équivalent vestimentaire de parader sur les Champs-Élysées avec des plumes dans le cul, mais à les demander noires plutôt qu’argentées, car sinon ça serait trop tapageur.

Un autre point dans la même veine : il aurait préféré une épaule de type "chemise", qui aurait selon lui rendu la veste moins "dramatique" et donc plus versatile… au risque de me répéter, on parle d’un croisé en jean de chez Cifo. La versatilité d’une telle pièce se passe surtout dans la tête du porteur…

Il ne me semble jamais avoir vu de photo avec le costume complet. Ni même de photo du pantalon. Peut-être que je me trompe, car très franchement je n’allais pas passer des heures à chercher. Mais je pense que c’est parce que c’était un foirage complet. Les photos ultra-proches du sujet dans l’article original vont dans ce sens.

Dès qu'on prend un peu de distance, on prend conscience du niveau de foirage... (Source: Permanent style)
Dès qu'on prend un peu de distance, on prend conscience du niveau de foirage... (Source: Permanent style)

Il serait toutefois de mauvaise foi de ne pas mentionner qu’en 2017, il parle pour la première fois de chemise en jean, dans le cadre d’une collaboration avec Luca Avitabile, un chemisier italien. Sur le principe, on n’est pas loin de la veste en jean Cifo. À savoir qu’on a l’impression qu’il s’agit surtout d’une excuse. Je ne vois pas bien pourquoi ils ont favorisé le jean au chambray, si ce n’est pour faire parler. La démarche est à peu près la même.

Il y a eu un tournant avec la période de la panique sanitaire mondiale. À partir de ce moment, le vêtement s’est rapidement décontracté. On le voit assez clairement chez Simone, qui se met à parler beaucoup plus de jean qu’auparavant : il fait la promotion de Bryceland, il découvre la chemise western, etc. On a l’impression qu’il a récemment découvert quelque chose et en parle comme s’il venait de percer un mystère oublié du vestiaire masculin. Un peu façon "Martine au Grand Orient", "Martine fait sa première délation"... Soyons clairs : la chemise en denim n'est pas une nouveauté. Elle a été adoptée par les amateurs de sape depuis des décennies, des cowboys des plaines (qui n'existent que dans vos rêves et au Tegsas) aux ouvriers des grandes villes, jusqu'aux icônes de style contemporain. Mais quand un influenceur comme Simone s'empare du sujet, c'est comme si la chemise en denim venait tout juste de descendre des cieux, auréolée d'une lumière divine : "On va pouvoir faire des tunes avec nos chemises denim DU JAPONEUH !" Ça fait déjà des années que les marques de private label 2.0 se font des couilles en or avec des jeans nippons, il serait temps que le "monde sartorial" s’empare du sujet.

Je trouve cet engouement assez amusant : en général, quand les influenceurs commencent à parler d’un truc, c’est le moment d’aller voir ailleurs. Car ça va devenir débile très rapidement. Sur les réseaux, vous allez voir toute une réflexion sur les vertus cachées de la chemise en denim – sa texture robuste, sa capacité à se patiner avec le temps, sa versatilité… Ils vont faire des compétitions de distance, sur les toiles les plus robustes, les plus ceci, les moins cela. Lui et beaucoup d’autres semblent totalement ignorer que l'héritage vestimentaire est bien plus vaste et riche qu'ils ne l'imaginent, et cela ne fait qu'accentuer ce fossé entre ceux qui « vivent » la sape et ceux qui en « parlent ». Les chemises en denim n'ont pas besoin d'une nouvelle légitimité. Elles appartiennent à l'histoire du vêtement masculin, même si, à mon sens, elles n’ont pas un grand intérêt, à moins de vouloir faire son Gainsbourg sale, ou de jouer à Brokeback Mountain. Mais avant d’en parler plus en détail, je voulais juste revenir sur un point : dans les années 90, on voyait des chemises en jean un peu partout… mais Simone devait avoir la tête coincée entre ses fesses pour s’en apercevoir.

Bernard Rapp à France Télévision (au milieu) en 1997. (Source: Getty)
Bernard Rapp à France Télévision (au milieu) en 1997. (Source: Getty)

Delon était très coutumier du fait également (toutes ces photos sont des années 90)

(Source: Getty)
(Source: Getty)
(Source: Getty)
(Source: Getty)
(Source: Getty)
(Source: Getty)

Mais c'était loin d'être le seul.

On a ici Bernard Shaw. (Source: Getty)
On a ici Bernard Shaw. (Source: Getty)
Aznavour (Source: Getty)
Aznavour (Source: Getty)
Niels Arestrup (Source: Getty)
Niels Arestrup (Source: Getty)

Gainsbourg portait très souvent une chemise en denim.

(Source: Instagram)
(Source: Instagram)

C'est juste que chez lui c'était devenu une signature, comme son alcoolisme. C'est un style qui fonctionne bien hein, "le style crade", mais ça demande un certain niveau, le puceau de 18 ans qui veut se la jouer chanteur de varièt incompris va passer pour un gros autiste s'il a envie de copier ça.

Une tempête dans un verre d'eau

Maintenant que l’on a fait ce petit saut dans le temps, il est temps de dire pourquoi la chemise en jean n’est pas la révélation attendue. À titre personnel, je trouve que c’est un vêtement qui n’est ni confortable ni très pratique. Le jean, en veste comme en chemise d’ailleurs, ne protège ni du vent, ni du froid, ni de la pluie. Le denim est historiquement un tissu de travail, conçu pour être robuste et résistant, pas pour être confortable. Il est associé aux vêtements utilitaires, aux cow-boys et aux ouvriers avant d’être récupéré par la mode décontractée. Je comprends l’inspiration workwear et je vois ce que certains en font, mais cela n'est pas très intéressant. C'est plus un gimmick qui va et qui vient comme tous les gimmicks. Ça peut avoir son utilité, parfois ça fonctionne bien, mais globalement c'est assez "meh" et c'est une rustine pour les influenceurs qui ont besoin de toujours parler de "trucs neufs".

Il faut aussi noter que la chemise en denim est utilisée par les bobos depuis fort longtemps. Quand je vois ça: je vois ce genre d'énergie.

Source: Instagram)
Source: Instagram)

Mais globalement ça n'est pas ultra intéressant.

On se demande ce que vient faire la pochette là dedans. (Source: Instagram)
On se demande ce que vient faire la pochette là dedans. (Source: Instagram)
Mouais... (Source: Instagram)
Mouais... (Source: Instagram)
Cosplay (Source: Bryceland)
Cosplay (Source: Bryceland)

Parfois on frise le ridicule tant la parodie est prononcée :

(Source: Instagram)
(Source: Instagram)
(Source: Alittlebitofrest)
(Source: Alittlebitofrest)

On a aussi rapidement un effet Used car salesman, Florida, colorized. Comme ici:

(Source: Instagram)
(Source: Instagram)
 Il a l'air cool ce reboot d'Indiana Jones. (Source: alittlebitofrest)
 Il a l'air cool ce reboot d'Indiana Jones. (Source: alittlebitofrest)

Pendant ce temps, en Fronce, on arrive à faire pire. Personne n'a encore envoyé le mémo à Huguette que le denim c'était décontracté maintenant. Chez lui on est resté bloqué en 2017. Du coup quand ils sortent un article sur le sujet ça donne un beau tas de fumier écolo bio 2.0

"La terreur du Marais" (Source: PG)
"La terreur du Marais" (Source: PG)
 "La question est vite répondue" (Source: PG)
 "La question est vite répondue" (Source: PG)
"Je ne sais pas choisir des vêtements à ma taille, mais je vais tout t'apprendre sur la sape" (Source: PG)
"Je ne sais pas choisir des vêtements à ma taille, mais je vais tout t'apprendre sur la sape" (Source: PG)
Dimitri Popov, le boucher de Vladivostok, son sens du style est tellement à chier qu'il est une arme chimique. Les Russes sont en train d'envisager son déploiement en Ukraine. La France espère les en décourager avec leur nouvelle arme secrète. (Source: PG)
Dimitri Popov, le boucher de Vladivostok, son sens du style est tellement à chier qu'il est une arme chimique. Les Russes sont en train d'envisager son déploiement en Ukraine. La France espère les en décourager avec leur nouvelle arme secrète. (Source: PG)

L'arme secrète de la France :

Les Russes doivent se chier dessus...  (Source: Instagram)
Les Russes doivent se chier dessus... (Source: Instagram)