Petit manuel de survie sartorialiste en open space

Les codes vestimentaires n’ont jamais été aussi relâchés dans les entreprises. Et pourtant, à en croire les experts, le moral des salariés français est au plus bas. Faut-il y voir une relation de cause à effet ? Une chose est sûre, pour le sartorialiste qui a juré sur une paire de John Lobb de ne jamais trahir les lois sacramentelles de l’élégance classique, la vie de bureau peut vite devenir un enfer.

Avant-propos

Ce modeste guide s’adresse prioritairement aux employés qui fréquentent des environnements de travail où les termes open space, conf call, slides et burn-out permettent de donner un peu de contenance à des fonctions qui n’en ont à peu près aucune. Dans ces bureaux de seconde zone, où le costume a été banni par le régime du casual lifestyle, le sartorialiste mène une lutte quotidienne contre la barbarie du cool. Pour tous ceux qu’une mauvaise fortune condamne à la domesticité salariale, le sartorialisme représente bien plus qu’un délire érotomane sur instagram ; c’est une philosophie de combat. 

Décrypter les codes vestimentaires de l’entreprise

Qu’ils soient écrits ou tacites, les codes vestimentaires ont valeur de norme sociale et concourent, en tant que tels, à la cohésion du groupe. S’éloigner de ces règles, c’est prendre le risque d’être considéré comme déviant ; ce qui peut rapidement devenir problématique, particulièrement dans le monde de l’entreprise où l’intégration est une condition de survie. Voilà pourquoi tout bon sartorialiste se doit de maîtriser les usages vestimentaires en vigueur dans son environnement professionnel, y compris s’il les désapprouve.

Les spécialistes du menswear ont l’habitude de situer les registres stylistiques les plus couramment observés dans les entreprises sur une échelle allant de la tenue la plus stricte (formal) à la plus décontractée (casual), en passant par des niveaux intermédiaires (business casual et smart casual). 

Cette classification, qui doit sans doute son pragmatisme à ses origines anglo-saxonnes, permet d’identifier rapidement le code vestimentaire d’une unité de travail. Quelques illustrations permettront de se faire une idée de la méthode et de soulager provisoirement les neurones de nos plus jeunes lecteurs (fainéants et analphabètes comme chacun sait).

Une silhouette éminemment formelle composée d’un imposant trois-pièces bleu marine marié à une cravate de soie un peu folâtre sur fond de popeline blanche, le tout accompagné des éternels richelieus noirs ‒ méticuleusement cirés comme il se doit. La tenue idéale si vous êtes PDG d’une société du CAC 40 ou l’héritier putatif de ce dernier. Source : Andreas Weinas.
Une silhouette éminemment formelle composée d’un imposant trois-pièces bleu marine marié à une cravate de soie un peu folâtre sur fond de popeline blanche, le tout accompagné des éternels richelieus noirs ‒ méticuleusement cirés comme il se doit. La tenue idéale si vous êtes PDG d’une société du CAC 40 ou l’héritier putatif de ce dernier. Source : Andreas Weinas.
Une tenue business-casual façon scandinave, construite autour d’une veste sport gris texturé, d’un pantalon en twill de coton sable et de mocassins à pampilles en veau-velours marron. Autrefois, cette tenue aurait à peine été bonne pour emmener Marie-Cécile faire un tour de barque mais elle vous vaudra aujourd’hui les quolibets débiles de Seb, le blaireau du service informatique (Note : lorsqu’il s’est marié avec Lolo, Seb a opté pour une cérémonie champêtre). Source : @blugiallose.
Une tenue business-casual façon scandinave, construite autour d’une veste sport gris texturé, d’un pantalon en twill de coton sable et de mocassins à pampilles en veau-velours marron. Autrefois, cette tenue aurait à peine été bonne pour emmener Marie-Cécile faire un tour de barque mais elle vous vaudra aujourd’hui les quolibets débiles de Seb, le blaireau du service informatique (Note : lorsqu’il s’est marié avec Lolo, Seb a opté pour une cérémonie champêtre). Source : @blugiallose.
Une variation en smart-casual élaborée à partir d’un luxueux cardigan en maille bleu marine couvrant nonchalamment une chemise oxford bleu ciel à col boutonné, de  l’indispensable jean selveldge brut et de mocassins marron patinés par le temps. A la fois chic et moderne, ce look devrait vous permettre de passer relativement inaperçu, tout en ayant pour plusieurs milliers d’euros de frusques sur le dos. Source : Permanent Style.
Une variation en smart-casual élaborée à partir d’un luxueux cardigan en maille bleu marine couvrant nonchalamment une chemise oxford bleu ciel à col boutonné, de l’indispensable jean selveldge brut et de mocassins marron patinés par le temps. A la fois chic et moderne, ce look devrait vous permettre de passer relativement inaperçu, tout en ayant pour plusieurs milliers d’euros de frusques sur le dos. Source : Permanent Style.
Un look casual qui allie blouson en coton vert militaire, t-shirt gris clair débordant sur jean brut semi-slim et sneakers minimalistes blanches. Conseil de style : usez un peu et ajoutez un gilet jaune ; vous êtes prêt pour aller casser du sartorialiste. Source : @sunspelclothing.
Un look casual qui allie blouson en coton vert militaire, t-shirt gris clair débordant sur jean brut semi-slim et sneakers minimalistes blanches. Conseil de style : usez un peu et ajoutez un gilet jaune ; vous êtes prêt pour aller casser du sartorialiste. Source : @sunspelclothing.

Certains secteurs professionnels comme le droit, les finances ou encore les pompes funèbres, sont réputés plus conservateurs que d’autres. Notons également que dans certaines organisations, les tenues les plus formelles sont réservées aux membres du personnel encadrant ; lesquels verront généralement d’un très mauvais oeil vos audaces vestimentaires et chercheront à vous détruire en représailles (ce à quoi ils se seraient employés de toutes les manières puisque c’est précisément l’objet de leurs fonctions). 

D’autres indices tels que le spectre chromatique, les marques ou la qualité des étoffes vous donneront de précieux indices sur les rapports de force au sein de l’unité de travail mais aussi sur les principales caractéristiques identitaires de vos collègues : statut professionnel, orientation sexuelle, patrimoine, confession religieuse, opinions politiques… etc. Autant de renseignements qui pourront être mis à profit dans le cadre de vos plans de carrière machiavéliques.

Faire preuve de mesure

Il faut se faire à l’idée que dans bon nombre de milieux professionnels, où le jean-basket règne désormais en maître absolu, le costume-cravate fait aujourd’hui figure d’anti-conformisme. Paradoxalement, la tenue de prédilection du sartorialiste, qui a longtemps incarné le symbole du conservatisme bourgeois, est devenue une forme de subversion sous l’ère digitale. On s’est d’ailleurs félicités un peu vite d’une supposée libéralisation des codes vestimentaires au sein de l’entreprise, alors qu’on assistait en réalité au remplacement d’un uniforme par un autre…

Le gourou des sartorialistes millionnaires, Monsieur Hugo Jacomet, a dit : “aujourd’hui, les vrais rebelles sont ceux qui portent le costume” (citation approximative, amen).
Le gourou des sartorialistes millionnaires, Monsieur Hugo Jacomet, a dit : “aujourd’hui, les vrais rebelles sont ceux qui portent le costume” (citation approximative, amen).

Il est toujours possible de forcer les limites du code vestimentaire de votre entreprise mais pas de beaucoup, sauf à vous sacrifier littéralement sur l’autel de la cause sartoriale. Rappelons tout de même, à des fins préventives, les principaux risques psycho-sociaux encourus : toxicomanie, harcèlement, syndrome anxio-réactionnel,  déchéance sociale (liste non exhaustive). 

Dans certains contextes, le degré business casual représentera déjà un niveau de formalité élevé compte tenu de la légèreté des mœurs et du goût très prononcé de vos collègues pour les lookbooks des pires enseignes de prêt-à-jeter. On déconseillera, dans un premier temps, de dépasser de plus d’un cran le niveau de formalité moyen observé dans l’unité de travail. Dans une logique de management bienveillant et empathique, vous pouvez aussi choisir d’habituer progressivement les yeux de vos collègues à la splendeur de mise et, qui sait, susciter des vocations sartoriales (on peut rêver). 

Ne perdez pas de vue votre allure générale ainsi que la cohérence entre votre tenue et votre statut social. Une inadéquation trop flagrante entre votre mise et votre identité véritable produira immanquablement une dissonance cognitive, laquelle se traduira par un malaise assez déplorable en terme de gestion d’image de soi. Le pire consisterait évidemment à donner dans le cosplay, en jouant les gentlemen à la petite semaine ou les dandys décadents, alors qu’aussi loin que vous pouvez remonter dans votre arbre généalogique, il n’y a pas l’ombre d’un titre de noblesse. Et même si l’un de vos lointains aïeux a été fait chevalier de Sainte-Verge (79), ce n’est franchement pas une raison pour vous la raconter. 

L’élégance est indéniablement une affaire de contexte et il ne faudrait surtout pas confondre votre petit bureau avec le pitti uomo. Dans son livre intitulé Le Courtisan - que les amateurs de sprezzatura pepperoni n’ont pas pris la peine de lire et encore moins de comprendre - Castiglione explique qu’en toute chose, la médiocrité est plus louable que l’excellence. Il faut comprendre par là que la mesure est une vertu cardinale de l’élégance et que l’excès est son péché mortel. Pour le dire encore autrement, être trop bien habillé c’est être mal habillé.

Opter pour le flexible dress code

Dans un environnement défiguré par les ravages du look valley casual, nous ne saurions trop inciter nos lecteurs à opter pour un style rassurant, du moins jusqu’à ce qu’ils parviennent à s’imposer dans les plus hautes sphères de leur entreprise. Après avoir identifié le registre stylistique en vigueur au bureau, il s’agira de déterminer les occasions de passer au registre supérieur (ce qui constitue évidemment le but ultime de tout sartorialiste). 

Cette aptitude à la souplesse vestimentaire, la banque d’investissement américaine Goldman Sachs en a fait une doctrine avec son flexible dress code (auquel nous avons déjà consacré un article). Concrètement, il s’agit pour le collaborateur de développer une capacité à adapter en permanence ses tenues à son environnement professionnel. Cela étant, à moins que vous ne soyez trader dans ladite firme, la stratégie de la flexibilité peut vite s’avérer assez ruineuse. C’est pourquoi, nous vous recommandons d’opter pour des pièces à la fois polyvalentes et relativement intemporelles, de manière à pouvoir construire des tenues au gré des circonstances. 

Nous avons sélectionné pour vous quelques pièces hybrides, reconnues les meilleurs arbiter elegantiarum de la blogosphère et d’ailleurs pour leur fort potentiel d’adaptation.

La veste sport se mariera avec la plupart des pantalons dépareillés, y compris les jeans à condition d’opter pour une coupe relativement droite. A noter que si la plupart des costumes ne doivent jamais ô grand jamais être dépareillés, sous peine d’excommunication du cercle sartorialiste, certains modèles permettent de faire coup double, notamment si vous optez pour une veste coupée dans un tissu texturé et dotée d’épaules souples et de poches plaquées, c’est-à-dire les caractéristiques habituelles de la veste sport. Source : Drake's.
La veste sport se mariera avec la plupart des pantalons dépareillés, y compris les jeans à condition d’opter pour une coupe relativement droite. A noter que si la plupart des costumes ne doivent jamais ô grand jamais être dépareillés, sous peine d’excommunication du cercle sartorialiste, certains modèles permettent de faire coup double, notamment si vous optez pour une veste coupée dans un tissu texturé et dotée d’épaules souples et de poches plaquées, c’est-à-dire les caractéristiques habituelles de la veste sport. Source : Drake's.
Si le pantalon en flanelle gris est l’un des pivots de la garde-robe sartoriale, c’est parce qu’il est le compagnon idéal de la veste sport. Notez qu’il accompagnera tout aussi bien des pièces plus décontractées, comme un blouson en cuir veau-velour ou un pull col-roulé, ce qui ne manquera pas de faire craquer les rombières du service comptabilité. Source : He Spoke Style.
Si le pantalon en flanelle gris est l’un des pivots de la garde-robe sartoriale, c’est parce qu’il est le compagnon idéal de la veste sport. Notez qu’il accompagnera tout aussi bien des pièces plus décontractées, comme un blouson en cuir veau-velour ou un pull col-roulé, ce qui ne manquera pas de faire craquer les rombières du service comptabilité. Source : He Spoke Style.
Les derbies marron foncé incarnent le soulier polyvalent par excellence. Elles se porteront aussi bien avec un pantalon habillé qu’avec un chino ou un jean à condition toutefois que sa coupe ne soit pas calquée sur celle d’un legging. Ici un demi-chasse de chez Zonkey Boot. Sources : @burzanblog (gauche), @gongdrew (droite).
Les derbies marron foncé incarnent le soulier polyvalent par excellence. Elles se porteront aussi bien avec un pantalon habillé qu’avec un chino ou un jean à condition toutefois que sa coupe ne soit pas calquée sur celle d’un legging. Ici un demi-chasse de chez Zonkey Boot. Sources : @burzanblog (gauche), @gongdrew (droite).
Les chemises à col italien se prêtent pour la plupart aussi bien au port de la cravate que sans. La même chose pourrait éventuellement être tentée avec un col dit button-down, même si l’option cravate suscite encore un débat dans la mouvance sartorialiste intégriste. Source : Trunk Clothiers (gauche), Drake's (droite).
Les chemises à col italien se prêtent pour la plupart aussi bien au port de la cravate que sans. La même chose pourrait éventuellement être tentée avec un col dit button-down, même si l’option cravate suscite encore un débat dans la mouvance sartorialiste intégriste. Source : Trunk Clothiers (gauche), Drake's (droite).
Un par-dessus bien coupé, relativement souple et surtout assez long vous apportera de l’allure en toute circonstance et pourra être facilement être utilisé dans une registre tant formel que casual. Source : Andreas Weinas.
Un par-dessus bien coupé, relativement souple et surtout assez long vous apportera de l’allure en toute circonstance et pourra être facilement être utilisé dans une registre tant formel que casual. Source : Andreas Weinas.
Le cardigan est sans doute la maille préférée du sartorialiste. Glissé sous une veste ou porté comme une veste, il permet d’envisager tous les registres stylistiques. Source : Permanent Style.
<a href="https://www.sartorialisme.com/cardigan-style-sartorial/">
Apprenez-en plus sur le cardigan en lisant notre article dédié</a>
Le cardigan est sans doute la maille préférée du sartorialiste. Glissé sous une veste ou porté comme une veste, il permet d’envisager tous les registres stylistiques. Source : Permanent Style. Apprenez-en plus sur le cardigan en lisant notre article dédié

D’un point de vue psycho-social, il pourrait être judicieux d’intégrer dans votre tenue au moins l’un des signes ostensibles d’appartenance au groupe, afin de satisfaire aux instincts grégaires de vos collègues sans pour autant céder à l’appel de la vulgarité. La chemise en jean, les sneakers minimalistes ou le bombers en laine pourraient ainsi devenir de précieux alliés pour aller remplir vos tableurs excel. 

Notons qu’il est plus facile d’obtenir des tenues décontractées cohérentes à partir d’une garde robe relativement formelle que l’inverse. C’est sans doute ce qui explique le succès du business casual depuis plusieurs décennies. Attention toutefois ; ce style est bien plus complexe à maîtriser qu’il n’y paraît et peut vite s’avérer désastreux si vous confondez encore veste de costume et veste sport, par exemple.

Cultiver des soft skills

De nos jours, la revendication d’une élégance classique et intemporelle ‒ parfois assez fantasmée, il faut bien le reconnaître ‒ peut vite prendre des allures de provocation. D’autant que dans l’inconscient collectif, le costume continue d’incarner le symbole ostentatoire d’une classe sociale qui concentre les pouvoirs politiques et économiques (quoique assez largement désavouée par l’opinion publique). Si vous n’en êtes pas persuadé, allez donc faire un tour dans un rassemblement gilet jaune en costume croisé bleu marine à rayure tennis.

En revanche, il n’y a franchement plus rien de subversif à s’afficher dans une tenue logotypée prétendument avant-gardiste ou à porter des marques se revendiquant d’on-ne-sait quelle contre-culture moribonde, sauf à affirmer son adhésion aux valeurs de la consommation de masse. De même, personne ou presque ne s’étonne de voir des adolescents prépubères manipuler des smartphone dont la valeur peut dépasser le millier d’euros, alors qu’une simple pochette délicatement plié dans la poche d’une veste suscitera à coup sûr l’indignation d’un parterre de collègues.   

A une époque où l’apparence semble avoir pris le dessus sur le fond, où la réalité virtuelle prétend dépasser la réalité matérielle, il est crucial d’interroger sa propre cohérence. Les vêtements sont un langage muet et il faut prendre garde de ne pas trop les faire mentir. Plutôt que de vouloir jouer un rôle, cherchez à sublimer votre personnalité profonde. En peu de mots, privilégiez l’esprit plutôt que la tenue. Ainsi, vous éviterez peut-être d’être de ceux qui, comme le léopard dans la fable de La Fontaine, « n’ont que l’habit pour tous talents ».

Le Mythe du « flexible dress code » ou le Jugement de Solomon

On peut lire, dans cette somme de psychologie féminine qu’est le magazine Marie-Claire, qu’ « un changement d’apparence n’est jamais anodin ». Impossible de la contredire. Les apparences ont toujours pesé dans la vie humaine et c’est peut-être d’autant plus vrai aujourd’hui. 

Prenons l’exemple de Goldman Sachs. Dans une note de service publiée au mois de mars dernier, la banque d’affaires américaine a mis un terme à l’hégémonie du costard-cravate. Quelques mois auparavant, le nouveau patron, David Solomon, avait déclaré qu’il soignerait l’image du secteur ; il est vrai, salement amochée par le scandale des subprimes. L’affaire a d’ailleurs valu au géant de wall street une amende de 5 milliards de dollars. Une goutte d’eau dans un océan de requins mais là n’est pas la question.  

A n’en point douter, le « Firmwide Flexible Dress Code » participe à ce plan de reconquête de l’opinion. Paradoxalement, le relâchement des codes vestimentaires peut être une manière de rendre l’entreprise plus présentable aux yeux du grand public. Il faut bien avouer que les mises ostentatoires des golden boys sont devenues les symboles d’une finance dégénérée et destructrice qui n’a plus vraiment la côte. Pire, les boursicoteurs se sont fait damer le pion par une bande de geeks californiens qui amassent des milliards en hoodie-baskets. Dans l’ère du numérique, les gourous cool de la silicon valley sont devenus les maîtres du monde. 

L’évolution des habitudes de travail, « généralement en faveur d’un environnement décontracté » (sic) est une réalité à laquelle Goldman Sachs doit s’adapter tant bien que mal. David Solomon qui, du haut de ses presque soixante ans, officie à ses heures perdues aux platines sous le nom de « DJ Sol » en sait quelque chose. Pour rester dans le coup et appâter du millenials, la vieille new-yorkaise a besoin d’un sérieux lifting.

Deux visions du monde s’affrontent : Mark Zuckerberg vs David Solomon.
Deux visions du monde s’affrontent : Mark Zuckerberg vs David Solomon.

Le Firmwide Flexible Dress Code est plus qu’un avenant au règlement intérieur de l’entreprise. C’est la déclinaison d’une doctrine qui postule l’obligation pour chaque salarié de s’adapter en permanence à son environnement de travail dans le but de maximiser les gains et rester dans la partie. Toujours selon le mémo, il s’agit de répondre aux attentes des clients, de manière à ce qu’ils se sentent à l’aise et en confiance avec les équipes de Goldman Sachs. Une ruse qui n’est pas sans rappeler celle du caméléon qui se fond dans le décor pour mieux surprendre sa proie… Et pourquoi pas lui injecter pour quelques millions de dollars d’actifs toxiques. 

Cet art de la duplicité n’est pas sans inconvénient. Pour le salarié lambda, la notion de flexibilité est dénuée de toute portée pratique. Elle suscitera à coup sûr les plus grands dilemmes matinaux, devant une penderie dont on se demandera en vain si elle est suffisamment flexible compte tenu des enjeux de la journée. Avec le costume-cravate, les choses étaient tellement plus simples ; on se trompe difficilement en revêtant un uniforme.

Fort heureusement pour le devenir de l’humanité, tout le monde n’a pas vocation à jouer les icônes de mode sur instagram. Le conformisme et les conventions vestimentaires conservent un intérêt, même à l’heure du streetstyle. Ils permettent à chacun de s’identifier au sein du groupe, à travers son rôle et son statut social. Pour se faire respecter dans le monde cruel qu'est l’entreprise, le mieux est parfois d’éviter le chino moule-frite à la sauce casual-chic...

Alors, comment déterminer au quotidien ce qui est adapté ou non à son environnement de travail ? Et bien Goldman Sachs invite tout simplement ses collaborateurs à exercer en permanence leur « bon jugement ». Evidemment, il ne s’agit pas de faire n’importe quoi : « une tenue décontractée n’est pas adaptée à tous les jours ni à toutes les interactions ». Merci oncle Sol pour ce bon conseil digne des meilleurs blogs de mode.

On ne peut évidemment pas demander à tout le monde d’exercer un “bon jugement” en matière vestimentaire.
On ne peut évidemment pas demander à tout le monde d’exercer un “bon jugement” en matière vestimentaire.

N’en déplaisent à certains commentateurs candides (ou complices) – qui présupposent que Goldman Sachs serait une entreprise philanthropique – le flexible dress code n’est certainement pas le produit d’une politique bienveillante. Ainsi que la note de service le laisse clairement entendre, la direction se réserve un pouvoir d’appréciation discrétionnaire sur la qualité du jugement de ses salariés en matière vestimentaire. Le critère retenu sera celui du goût du client et des profits réalisés avec ces derniers. Or, on voit bien à quelles dérives exposent une politique qui consiste à se plier systématiquement aux caprices de la clientèle, notamment sur le plan des discriminations.

On l’aura compris, le programme de flexibilité vestimentaire de Goldman Sachs porte en lui les germes d’une tyrannie particulièrement insidieuse : celle des apparences. Après La Grande Renonciation, avec laquelle les hommes du 20e siècle ont dû abandonner leurs fastueux atours d’ancien régime, voici venu le temps de La Grande Flexibilisation. Une révolution vestimentaire qui témoigne de profondes mutations sociales. La disparition des institutions traditionnelles au profit d’un individualisme autorégulé n’ira pas sans quelques heurts identitaires. Sur ce chapitre, il serait probablement dommage de laisser à Marie-Claire et consorts le monopole des réflexions sur l’importance des codes vestimentaires dans nos sociétés contemporaines. 

Cinq-Mars.

En bonus, la transcription du mail reçu par les quelques trente-six mille salariés de Goldman Sachs :

email dress code goldman sachs